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Alter et ego (Carnet)
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2 janvier 2011

En oubliant le temps qui passe

Depuis l'âge de vingt ans, et jusqu'à il y a quelques années, j'avais toujours passé le jour de l'an en couple. La dernière fête commune date de 2006, avec des amis dans une ferme du Vercors. A cette époque notre couple était déjà dans le processus de la séparation. Ensuite il y a eu diverses déclinaisons pour le célibataire que je devenais : avec des amis à Venise en 2007, dans la famille d'une amie lectrice en 2008, au Panama avec le couple d'une autre amie lectrice en 2009, et finalement seul en 2010. Je m'apprétais à réitérer cette expérience solitaire pour entrer en 2011 quand ma soeur m'a proposé de me joindre un groupe de très anciens amis communs. Un peu gêné de me voir rajouté assez tardivement [le frangin qu'on invite pour ne pas le laisser tout seul...], j'ai finalement accepté devant l'accueil chaleureux de l'invitant.

Il y avait là cinq couples... et moi. Cinq couples au long cours, bien représentatifs de la durée conjugale dans mon milieu d'origine, tant familial qu'amical. Je reste en effet, à l'exception d'une seule cousine, le seul divorcé. Je ne suis pas très à l'aise avec ce statut dès que je suis en présence de couples. Je me sens un peu en décalage, sorti du cadre de référence que j'ai si longtemps adopté. Un peu comme si j'étais sorti du rang. Je me sens à la fois fier d'être allé jusqu'au bout de mes choix et vaguement gêné d'avoir quitté le train en route.

Il se trouve que tous les convives présents avaient assisté à mon mariage, il y a fort longtemps, et j'avais assisté à la plupart des leurs. Avec Charlotte nous avions été les premiers à franchir le pas et à l'époque j'en étais fier. Actuellement nous sommes les seuls à avoir renoncé à poursuivre ensemble. Le sujet, sans être tabou, n'est jamais vraiment abordé. Il n'a pas de raisons particulières de l'être, d'ailleurs. En même temps ce silence a quelque chose de bizarre, à mes yeux. Il me semble qu'il y a une gêne, des non-dits... et cela contribue à ce que souvent je ne tienne pas à me joindre à ces gens "d'avant".

Je n'ai pas vraiment pensé à tout ça, en cette soirée de jour de l'an, remarquant simplement que par ma présence la parité n'existait pas. J'étais nettement plus fasciné par la situation singulière de retrouver cette bande « comme au bon vieux temps ». Dès l'apéritif quelques musiques datant de notre jeunesse avaient été lancées et immédiatement se sont retrouvés pour danser les partenaires d'autrefois. Quasiment pas changés, avec... trente ans de plus. Aussi fous, aussi rieurs, aussi énergiques... même si ça ne durait pas aussi longtemps ! Amusé je nous voyais réunis dans un drôle de raccourci temporel, à la fois jeunes et vieillis. Globalement encore épargnés par les marques du temps. Jusqu'à quand ? Les plus jeunes sont des quadragénaires avancés, d'autres ont déjà basculé dans la décénnie suivante. En pleine jouissance régressive nous avons repris certaines chansons, nous égosillant, hilares, ravis de ce pied de nez au temps qui passe. Le temps d'une illusion collective qui ne pouvait tromper personne. Oubliés nos enfants qui, à l'âge que nous avions alors, étaient tous occupés ailleurs à fêter ce changement d'année avec leur génération. Nous, parents rajeunis de nous voir libérés de ce rôle, retrouvions, le temps d'une soirée, un peu de notre lointaine jeunesse.

Autour d'un joyeux repas impair nous avons ri, dansé, chanté, bavardé. Insouciants sans l'être, assurément tous bien conscients que cette petite parenthèse était délicieusement anachronique. Un moment d'heureuse nostalgie, vaguement teintée du souffle de la vie qui passe. C'était bon...

Et moi je regardais de temps en temps ces couples, presque surpris de voir encore scintiller l'amour dans les regards que certains s'échangeaient. En serais-je arrivé, à force de le remettre en question, à devenir
incrédule devant l'amour qui dure ?

Commentaires
P
Nephelie, merci pour ce signe de présence. C'est toujours une heureuse surprise d'apprendre que je suis lu depuis longtemps par une personne qui ne s'était encore jamais manifestée :o)<br /> <br /> C'est vrai, il y a tant de forme d'amour. À tel point qu'on pourrait avantageusement dire "les amours" plutôt que "l'amour"...<br /> <br /> > Lukéria, bien qu'il me soit difficile d'entrer en contact avec ma propre perception de l'amour, donc d'en parler, je me sens plutôt en accord avec ce que tu en dis.
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L
Alors, je dirais que l'amour qui dure n'est pas statique, mais est un amour en perpétuel mouvement, où chacun des deux oeuvre pour son épanouissement personnel et par là se guérit, guérit aussi et enrichit la relation. Mais que de travail sur soi pour en arriver là... que de souffrances, d'embûches, de chutes et de rechutes pour devenir adulte et vivre une belle relation dans l'amour conscient. Mais tu vois, alors, après des années tu peux poser un regard qui scintille d'amour sur la même personne, parce que tu as grandi et que cette personne a grandi aussi et tu te dis : je sais pourquoi nous avons parcouru tout ce difficile chemin, souvent très loin de l'autre, pour être aujourd'hui, au plus près de lui !
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N
"fier d'être allé jusqu'au bout de mes choix et vaguement gêné d'avoir quitté le train en route."<br /> C'est tellement en phase avec ce que je ressens que la lectrice silencieuse (mais très dilettante) que je suis depuis quelques 3 ans sort du silence.<br /> <br /> Séparée cette année, après 21 ans, nous avons néanmoins passé ce réveillon ensemble et avec nos enfants. Mais mes reflexions et ressentis sont tout à fait ça : incrédule, voire désabusée... pourtant il y a deux ou trois ans, on aurait encore vu "scintiller l'amour dans les regards"<br /> <br /> Et puis il y a tant de formes d'amour !<br /> Alors, je ne sais pas... :)<br /> <br /> Mais... BONNE ANNEE ! :))
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P
> Coumarine, comparer l'amour passionné des débuts et l'amour éclairé par la durée n'aurait effectivement pas beaucoup de sens. C'est pourquoi je me méfie beaucoup de l'usage courant du mot "amour"...<br /> <br /> Tu as raison en parlant de sentiments mélangés. Ne ne se situant pas dans le même registre, ils peuvent être complètement inversés.<br /> <br /> > Françoise *au coeur qui bat*, je vais dans le même sens que toi : continuer ou arrêter une relation de couple est vraiment un choix individuel !<br /> Quant au « personne n'est à l'abri », je ne peux que l'approuver pleinement puisque je fais partie de ceux qui se croyaient à l'abri ;o)<br /> <br /> > françoise *qui joue au monde*, j'aime bien ce que vous dites du rôle social du couple. Cependant ce que j'ai perçu dans les yeux scintillants que j'ai évoqués était bien un regard "amoureux" et complice... du moins à l'instant où il se produisait. Ce qui n'indique évidemment pas un état permanent, d'où la possible illusion. Quand un couple se sépare c'est aussi parce que ces moments de complicité deviennent insuffisants pour maintenir la cohésion par rapport aux différends. On ne divorce pas nécessairement parce qu'on ne s'aime plus, mais parfois parce que l'amour, encore présent, ne suffit pas pour rester ensemble. D'où la surprise des amis qui n'avaient rien vu venir (ce qui fût le cas pour mon couple...). <br /> <br /> > Filo filo, c'est exactement ça : l'interdépendance :o)<br /> <br /> > Léon, merci pour l'explication et la phrase de Bobin
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L
tu vas dans le désert (facile c'est déjà au sud..) tu tombes sur un renard et il te demande: "s'il te plait dessine moi une perle de pluie"
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L
merci léon<br /> la dernière phrase est jolie, mais dans le Sud le Mistral souffle... je fais comment moi ?<br /> ;))
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L
euh...pour répondre à Léa que pourrai-je dire ?<br /> oui bien sur la formule est provocatrice et faite pour "faire des vagues" comme aiment à dire les psychanalystes !<br /> d'abord il semble bien que la citation exacte soit plus prêt de la tienne Pierre: <br /> "L'amour, c'est offrir à quelqu’un qui n’en veut pas quelque chose que l’on n’a pas"<br /> ce que Jacques Brel a traduit par: <br /> "moi je t’offrirai des perles de pluie venues de pays où il ne pleut pas"<br /> c'est tellement sublime dit comme ça ! <br /> ce que je comprends maintenant de la phrase de Lacan et que je ne percevais pas comme cela avant, c'est qu'aimer suppose d'abord un don, ("offrir à quelqu'un"), un acte de générosité totale sans création de dette.<br /> Ensuite que l'acte d'aimer fait basculer dans l'imaginaire:("quelque chose que l’on n’a pas") c'est de l'ordre de la magie, de l'enchantement (certains diront: de l'illusion).<br /> Enfin aimer serait indissociable de la surprise ("à quelqu’un qui n’en veut pas") du lâcher prise. Il y a innocence à aimer (au sens sans calcul) et acceptation de se laisser prendre (au sens quasi de la sorcellerie en opposition avec le contrôle et le matérialisme).<br /> Donc pour répondre à ta question: il veut dire que l'amour est là dans ce qui nous échappe et qui ne peut être réduit ni à un objet (on donne au delà de soi) ni à une volonté (l'acceptation de ce don est une surprise: nous sommes "ravis")<br /> <br /> Finalement c'est peut être Christian Bobin qui parle le plus poétiquement de cela en disant: <br /> "Aimer c’est balancer son cœur au ciel et récupérer ce qu’il en retombe"
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F
Bonsoir Pierre !<br /> <br /> Ce billet et les réponses sont très très intéressants !<br /> Oui, je pense que l'amour qui soude un vieux couple relève d'une curieuse alchimie, variable au quotidien, appréciée chaque jour pour les découvertes et la prise de conscience quelque part de son interdépendance.<br /> J'en profite pour te souhaiter une excellente année 2011 !
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F
D'après les derniers chiffres, 43% des mariages se terminent par un divorce, vous n'êtes donc pas une exception, loin de là. L'amour qui dure est un bonheur quand le lien survit joyeusement aux hauts et aux bas inévitables, c'est un boulet dans le cas contraire,mais il est évident qu'un soir de réveillon, personne ne montre le boulet. Il n'y a pas plus convenu que ce genre de soirées. Pour en avoir vécu quelques-unes avec des amis que je vois tantôt "en couple", tantôt séparément, je m'amuse à comparer ce qu'ils sont lorsqu'ils sont seuls, et lorsqu'ils sont deux: rien à voir. Ce n'est pas qu'ils mentent, non, ils s'aiment. Mais ils sont aussi dans le rôle social du couple, et le jouent avec talent. Vous avez peut-être connu de ces couples "modèles" qui annoncent un jour qu'ils se séparent: aucun ami n'a rien vu venir.<br /> Dernière chose: l'amour n'est pas plus ou moins fort, plus ou moins réussi, selon sa durée. La durée crée un lien évident, mais pas toujours épanouissant: si vous avez vu le film "Le chat", le couple Gabin/Signoret était uni par un lien d'une force incroyable... nourri par la rancoeur. En fait, je crois que nul ne peut savoir ce qui se passe réellement à l'intérieur d'un couple, c'est une alchimie bizarre et secrète, ce qu'on voit n'est que l'image, au sens "masque" du terme.<br /> En revanche, je comprends très bien votre plaisir à brailler de vieilles chansons, c'est jouissif!
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F
Le choix de chacun lui appartient, et personne n'a le pouvoir, ni même le droit de juger ce que fait, ce que vit l'autre. Chacun a un vécu différent, a une demande différente, une attente différente, personne n'est comparable. Personne n'a tort ni raison. Ce qui est primordial, c'est être en accord avec ce que l'on pense soi, et non pas vouloir rester dans un rôle pour vouloir se mettre au diapason de ceux qui nous entourent, mais qui ne nous convient pas. <br /> Il n'y a ni courage, ni lâcheté, il y a soi, uniquement soi... Ce qui est valable pour les uns ne l'est pas forcément pour les autres. <br /> Je suis toujours agacée par les gens qui se permettent de critiquer, Je vis en couple avec le même homme depuis de très nombreuses année, mais je défends pourtant farouchement les personnes qui divorcent. C'est leur choix, un point c'est tout. Et puis, personne n'est à l'abri. Il ne faut jamais dire: Fontaine, je ne boirai pas de ton eau... Personne ne sait. Donc, on se tait. ;-)<br /> <br /> Euh... il me semble que je me suis un peu éloignée du sujet... ;-)<br /> <br /> Bonne semaine à toi, Pierre, et encore bonne année 2011 !
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