Être soi en couple
La tonalité un peu péremptoire de mon précédent billet m'a surpris. Serais-je finalement plus sûr de mes idées que je ne le crois ?
À partir de la situation que je décrivais (le renoncement d'une part de soi à la demande du conjoint) est monté en moi une colère - plus précisément une révolte - dont j'ai immédiatement senti qu'elle provenait de tout autre chose que ce que j'observais. Il ne m'a pas fallu longtemps pour remonter aux origines : le couple de mes parents. Un rapport complexe de soumission et d'emprise croisées dans laquelle chacun avait sa part de responsabilité. Modèle plus ou moins reproduit, quoique de façon très adoucie, dans mon propre couple. Modèle rejeté, enfin, après qu'il fût fatal à une éphémère relation de couple qui méritait bien mieux qu'une fin précipitée.
Une révolte, donc. Or, dans le cadre de ma formation à l'accompagnement des couples sur le plan affectivo-relationnel, j'ai appris à faire preuve de la plus grande neutralité. Si j'avais été dans ce cadre il est évident que j'aurais dû réagir de façon adéquate, c'est à dire sans aucune trace de colère issue de mes projections. Il m'aurait donc fallu avoir l'esprit disponible pour être pleinement attentif à ce qui se joue dans une décision impliquant le fonctionnement d'un couple. Afin de ne pas être encombré par une colère qui monterait en moi je dois avoir appris à détecter ce qui peut la déclencher. Visiblement j'ai donc encore du travail à faire de ce côté-là ! Ce petit évènement réactionnel m'y pousse et m'aide à en prendre conscience.
Par ailleurs, sur le plan personnel, je sens bien que ma représentation du couple est devenue assez critique. J'y associe, probablement avec excès, un modèle de domination-soumission plus ou moins subtile. J'ai désormais quelques difficultés à croire qu'un fonctionnement harmonieux, équilibré et pleinement épanouissant pour chacun puisse exister sans un solide travail sur soi. Dans la plupart des couples je vois surtout le renoncement à soi, dans des proportions variables. Peut-être parce que je ne connais pas de couples que je sens à la fois pleinement "vivants" et équilibrés par rapport aux aspirations de chacun ? J'ai l'impression que ceux qui parviennent à un équilibre ont quelque chose de "mort", de figé, d'éteint. Tout simplement parce qu'à force de compromis les individualités se sont éteintes.
J'ai conscience que ma vision est certainement faussée et je suppose que des couples équilibrés et vivants existent ! Je les imagine alors ouverts, créatifs, partageurs, laissant à chacun une part de liberté correspondant à l'essentiel de ses besoins et aspirations. Autrement dit, sans que l'un exerce de pressions abusives sur l'autre. Des couples où l'un ne considère pas que l'autre lui "appartienne". Des couples où l'ingérence dans la vie de l'autre n'existe pas. Des couples où, plutôt que la peur de perdre l'autre, ou de ce qu'il a de différent de soi, règnent confiance réelle et respect.
Mais où sont-ils ?
Oh bien sûr, beaucoup de couples donnent l'impression de fonctionner de façon équilibrée. Et le fait qu'ils durent tend à prouver que l'équilibre est suffisamment satisfaisant. Il l'est d'ailleurs... tant qu'il n'est pas déstabilisé. On ne reste pas en couple si on n'y trouve pas satisfaction. Cette affirmation peut sembler bizarre quand les dysfonctionnements sautent aux yeux, mais le fait est là : on est toujours libre d'accepter ou de refuser. Cela a bien évidemment un coût. Reste donc à savoir à quoi chacun renonce pour conserver certains avantages, et ce qu'il en coûte. Les situations les plus flagrantes, avec violence conjugale avérée et réel risque de grave dérapage, montrent à quel point le système d'emprise-soumission peut "fonctionner" longtemps...
Alors que penser des situations où l'emprise est infiniment plus subtile que les coups, les insultes, les paroles dénigrantes ? Dans quelle mesure est-elle perçue par les protagonistes ? Si la grande violence est minimisée par les personnes qui en sont victimes, qui vont parfois jusqu'à protéger leur bourreau, que penser des systèmes où l'emprise s'exerce sans le moindre haussement de ton ? Est-il possible de percevoir la violence à dose homéopathique ?
Le terme de violence, lui-même, paraît largement excessif. On l'associe à brutalité, coups, agression. Quel terme employer pour des incitations à agir selon les désirs de l'un au détriment des besoins de l'autre ? Qu'est-ce qui se joue quand l'un renonce à ses aspirations pour satisfaire celles de l'autre ? Pour « lui faire plaisir ». On peut y voir de l'amour, quand ce renoncement est "offert" de bonne grâce. Ou un arrangement amiable quand il y a des contreparties librement acceptés. Mais c'est de la soumission dans tous les autres cas.
Soumission qui renvoie à la responsabilité de chacun, et en particulier à celle de celui qui se soumet. Dans un rapport égalitaire la "victime" consent toujours à l'être, aussi dérangeante que puisse être cette idée. Or un couple est un système égalitaire, du moins à notre époque et dans notre société. Et si nous n'avons pas tous les mêmes capacité à réagir face aux demandes de l'autre, en fonction de notre histoire personnelle, nous en avons tous le pouvoir. Celui de dire non. Celui de se positionner, de s'affirmer. Celui de s'indigner, pour reprendre une idée dans l'air du temps.