La sinuosité des parcours de vie me fascine. Par quels détours devons nous passer pour aller vers ce qui, en nous, se cherche ? Je suis convaincu que ce que nous faisons de nos vies, consécutivement aux évènements qui les parsèment, a un sens révélateur qui éclaire nos motivations profondes. Nos choix mettent alors en lumière des désirs inconscients qui nous sont difficilement perceptibles quand rien ne perturbe l'écoulement d'une vie sans heurts...

Ainsi, lorsque je regarde où j'en suis aujourd'hui après quelques turbulences, je me demande vers quoi je vais. En même temps j'ai confiance et je sens bien que saurai toujours tirer quelque chose de constructif de ce qui adviendra. Parce que, par évidence, j'ai fait le choix de me construire avec tout ce que je trouverai sur mon chemin.

Il n'empêche que je peux être surpris par ce qui se présente. C'est régulièrement le cas quand m'apparaîssent, dans ce que j'exprime, des idées, des ressentis, des évolutions, que j'ignorais être en moi. Il arrive souvent que cela survienne lors d'échanges oraux, quand je livre mes ressentis. Je peux alors être étonné de ce qui m'échappe dans le jaillissement spontané de mes paroles. Dans le registre des écrits publics c'est autre chose : rien ne m'échappe sans que j'ai pris le temps d'y réfléchir et de laisser mûrir. Ce que je donne à lire a été suffisamment pesé pour que je décide de le publier. Le choix de mes mots, leur assemblage et le sens qu'il veut induire, sont le fruit de tout un travail. Spécialement quand il s'agit d'idées fortes, signifiantes, importantes à mes yeux.

Quand, par exemple, je me vois étaler publiquement mon scepticisme à l'égard du couple, alors que j'en ai été un ardent défenseur pendant plus de vingt ans de vie conjugale, je m'interroge : qu'est-ce que je cherche à (me) dire ? En voilà un changement de cap ! Vers quoi vais-je ? Où en suis-je de mon parcours ? Quel est mon objectif ? Qu'est-ce qui reste immuable et qu'est-ce qui change, évolue, se transforme ? Que deviennent mes convictions anciennes, apparemment révolues ? Moi qui étais persuadé que par le dialogue on pouvait venir à bout de toutes les difficultés relationnelles, j'admet aujourd'hui que parfois il n'a même pas la place d'exister. Moi qui vantais les avantages des compromis, j'en viens à en redouter les dérives vers la négation de soi. Moi qui me réjouissais de m'épanouir dans un couple, voila que j'y vois surtout une co-dépendance aliénante. Moi qui parlais de bonheur et de chance extraordinaire d'avoir rencontré celles avec qui je m'ouvrais à la vie... voila que j'ai découvert une façon de vivre heureux dans la liberté que procure la vie en solo.

Avais-je besoin d'en passer par là ? Sans doute...

Il m'a fallu faire ce détour pour découvrir une aspiration longtemps masquée par des moments de bonheur. Car j'ignorais que je n'avais pas l'esprit en paix.

Aujourd'hui je parviens à vivre dans cette paix en m'épargnant des conflits affectifs avec autrui. Je me protège. J'évite ainsi ce qui pourrait trop souvent réveiller des sensibilités indomptées, chez moi et chez l'autre. Je n'investis pas trop les relations en sachant que l'ouverture en confiance peut cesser d'un jour à l'autre, suite à une blessure involontairement réactivée. Ne surtout pas m'attacher au delà du présent, pour ne pas craindre que la perte à venir ne m'atteigne trop fort, pour ne pas ressentir la morsure du manque, la tristesse de la rupture, le désastre de l'incommunication. Et cependant je veux rester ouvert, toujours, en apprenant à me détacher dès les premiers signes d'attaque. Ne pas me laisser atteindre par le mal-être de l'autre, qui pourrait me contaminer et déclencher le mien.

Difficile de trouver la proximité qui convient. C'est pourquoi les rencontres où s'invitent le désir et l'affectif, et plus encore le besoin d'amour, sont devenues pour moi le terrain de tous les dangers.

Pas étonnant qu'aujourd'hui me voila critique, incrédule, presque virulent envers le mythe du couple, ce lieu de rencontre le plus chargé d'attentes profondes et largement inconscientes. J'ai cependant conscience que ma réaction de méfiance est un peu trop exacerbée pour être juste, équitable, équilibrée. Ma virulence est à la hauteur de ma désillusion : excessive. J'ai encore à me questionner sur mes attentes et mes désirs, à me situer par rapport à mes besoins.

Pour autant je n'ai pas déserté le registre relationnel-affectif puisque tout ce qui tourne autour de l'amour constitue la trame de fond de mes réflexions. Beaucoup de mes billets s'en nourissent, d'ailleurs. C'est que, malgré ma mise en retrait prudente, je n'ai jamais totalement déserté les relations teintées de séduction. Je n'ai renoncé à rien et, tout en vivant ce qui est accessible, j'observe ce qui se joue dans mon rapport aux femmes. J'apprends de ce qui se vit de part et d'autre, de ce qui s'échange, de ce qui s'installe ou se délite.

Le plus significatif c'est que, bien que résolument anti-couple dans ma vie actuelle, j'ai choisi de rédiger un mémoire qui cherche à mieux connaître les représentations du couple ! Bizarre, non ?

D'ailleurs... je patine sur mon sujet depuis plusieurs mois. Ce qui me pose problème concerne les raisons inconscientes du choix amoureux et sa pérénnisation dans la durée...

La durée ? C'est probablement le point sur lequel j'ai le plus à m'interroger. Car en fin de compte c'est toujours au coeur de ma propre problématique. Soit que je redoute par anticipation la fin de ce qui me rend heureux au présent, soit que je craigne de devoir frustrer celle avec qui je n'aurais éventuellement plus envie de poursuivre. Inquiet de l'attachement de l'autre sur le court terme, du mien à plus long terme.

C'est pourquoi, depuis plusieurs années, je m'efforce de ne rien prévoir et de vivre les relations au présent. Je dois bien constater que, depuis, je n'ai pas "aimé" au sens où on l'entend. Serait-ce lié ? C'est un peu comme si, dans mon esprit, amour et durée avaient quelque chose d'indissociable. D'indiscernable. Amour = durée. Au point que je me demande si je saurai un jour aimer au présent, dans l'instant, sans me projeter vers ce qu'il pourra en advenir.