Amour libre
« L'amour n'est libre que dans une société d'individus libres. (...) La liberté peut signifier l'indépendance (n'être asservi à aucune autorité), la disponibilité (rester ouvert à toutes occasions), la souveraineté (imposer aux autres son bon plaisir), la responsabilité (assumer les conséquences de ses actes). Or trois de ces modalités contrarient le type de relation qu'implique la vie à deux. Nous voici soumis, hommes et femmes, à une exigence contradictoire : aimer passionnément, si possible être aimé de même tout en restant autonome. Être entouré sans être entravé avec l'espérance que le couple manifestera assez de souplesse pour permettre cette coexistence harmonieuse.
Je demande à l'autre de renoncer librement à sa liberté et je m'engage à faire de même. Mais je suis un captif retors qui veut pouvoir se reprendre à tout moment. Si la volupté de l'amour est de ne plus s'appartenir, la volupté du moi est de ne jamais s'abandonner. Formule tragi-comique que le roman contemporain exploite à satiété : celle d'homme ou de femmes qui veulent éprouver le grand frisson sans se perdre et redoutent d'être floués. D'où cet effroi relationnel des couples modernes qui se cherchent, se fuient, ce ballet d'engagements passionnels et de retraites précipitées. »
Le paradoxe amoureux, Pascal Bruckner