Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Alter et ego (Carnet)
Alter et ego (Carnet)
Derniers commentaires
Archives
Newsletter
9 juillet 2011

Le cercle des blogueurs disparus

Ce billet à caractère historique ne passionnera sans doute pas les foules : il répond seulement à une nécessité de cohérence personnelle.

Lorsque j'ai découvert le monde des écriveurs du net, bien longtemps avant de commencer ce blog, il se résumait à une centaine d'individus dans toute la francophonie (enquête de Philippe Lejeune pour son livre "Cher écran", en 1999). À cette époque antébloguienne ceux qui tenaient des "pages personnelles", et qui parfois se reconnaissaient sous le vocable de "diaristes", s'étaient regroupés pour avoir une plus grande visibilité ou, plus simplement, se reconnaître. C'est ainsi que s'était développé, en partant du Québec, le Cercle des jours et des écrits imagés, puis la Société des diaristes virtuels (SDV), avant que la Communauté des Écrits Virtuels (CEV) ne les supplante, à peu près au moment où je commençais. À l'aube du millénaire la pratique de l'écriture en ligne était en pleine expansion et, comme dans tout groupe prenant de l'ampleur, des dissentions avaient abouti à des luttes intestines et fratricides. La CEV n'y a pas échappé, dynamitée en 2003 avec l'arrivée d'une nouvelle génération d'écrivants ayant leur propre code de conduite : les blogueurs.

Ma représentation du monde de l'écriture en ligne reste marquée par le premier regard que j'ai eu sur lui : un cercle, une communauté, un groupe. L'idée de s'allier, d'agir ensemble tout en gardant son individualité m'enthousiasmait. C'est ainsi que j'ai perçu ce monde, à l'origine, découvrant les traces de ce qui avait été discussions et échanges passionnés entre des noms qui devinrent mes références. Attiré par une apparente convivialité, mais impressionné, j'avais tenté de m'immiscer discrètement dans cette sphère... avant de comprendre qu'elle n'existait déjà plus sous cette forme. Les véritables pionniers de l'écriture en ligne avaient disparu et ceux de deuxième génération avaient commencé à se disperser en masse. Je fais partie de la dernière génération des diaristes "à l'ancienne", c'est à dire avec une page construite "à la main" en langage html. Ce format d'écriture, un peu complexe à manier, à presque totalement disparu avec l'arrivée de l'outil blog, simple et interactif, ludique et coloré. Les diaristes d'autrefois se sont éteints, à de très rares exceptions près, tandis que déferlait la vague nouvelle. Je fais donc partie des survivants d'une époque révolue. Cette lignée, devenue si ténue, me relie encore à une micro-histoire qui s'oubliera lorsque nous cesseront de publier [Eva, tiens bon !]. Dans ce monde d'internet les cycles sont incroyablement accélérés et une décénnie vaut un siècle. Je me sens un peu comme ces vieillards qui ont vu disparaître tous ceux qu'ils connaissaient dans leur jeunesse et beaucoup de ceux rencontrés plus tard. C'est une sorte de solitude temporelle.

En l'an 2000 j'avais assez rapidement eu l'impression de trouver ma place dans une sphère aux dimensions encore représentables. Aujourd'hui je ne suis qu'une poussière dans une nébuleuse de millions de blogs très diversifiés. Je n'ai d'existence, en ce monde d'internet, que pour ceux qui, durant quelques semaines ou quelques mois trouvent en mes élucubrations égocentrées de quoi alimenter leurs propres réflexions, sensations, émotions. Rien n'a vraiment changé, en fait, si ce n'est ma représentation : je sais qu'il s'agit d'affinités temporaires, dans des cercles aux contours mouvants. Parfois ces affinités durent depuis des années, et même depuis l'origine, avec installation d'une connivence durable et entrelecture éventuelle. Ces présences se fondent alors dans l'entité que constitue mon lectorat, représentation plus ou moins imaginaire influant sur l'écriture que j'offre en partage. Lorsque l'intérêt est réciproque, et il l'est souvent, des liens se sont tissés, ainsi que des liens entre les liens. D'autant plus fortement que les rencontres réelles ont permis de connaître d'autres dimensions de l'échange, voire un esprit de groupe. C'est principalement en pensant à ces individualités bien identifiées et aux affinités qui les relient, assemblées par mon mental en cercle, groupe d'amis, "blogobulle", que j'écris. Communauté informelle fluctuant au fil du temps, avec ses disparitions et ses nouveaux arrivants, ses retours inattendus et ses signes de vie de loin en loin. Cette représentation m'est essentielle pour adresser mes écrits : je n'écris pas face au vide. J'ai besoin de sentir des "présences" attachées à une certaine réalité tangible. Parce que dans ce cercle qui m'entoure il y a des personnes qui me connaissent "en vrai" je peux écrire sous le sceau d'une réalité certaine.

Si je ne connaissais plus aucun de mes lecteurs j'aurais l'impression d'être déconnecté du réel. Tout ce qui s'est vécu "ici" et dans l'univers adjacent deviendrait comme... sans existence. Quand les souvenirs et les traces d'un passé commun ne sont plus partageables avec ses témoins, c'est la notion de réalité qui vacille.

Reste alors le temps présent, les sensations de l'instant...

.

 

  • Note : le lien vers Le cercle des jours écrits et imagés renvoie vers une liste de sites dont la plupart n'existent plus. Quelques uns, inactifs, sont encore en ligne. À ma connaissance deux seulement sont encore actifs (Regards solitaires et Journal de Sally). Ce cimetière de liens morts donne un aperçu de ce que sera la blogosphère actuelle dans une dizaine d'années. Ça relativise l'importance de nos écrits, dont l'intérêt réside surtout dans l'instant...

 

Commentaires
P
Oh, un vénérable ancien ! Je te salue, Nicolas ;) <br /> <br /> Oui, février 98, c'était bien la première génération puisque le site fondateur, considéré comme "historique", apparu en 1995 ("Montréal soleil et pluie") était encore actif. Je viens de voir qu'il y a même un article à ce sujet : <br /> <br /> http://www.lefigaro.fr/high-tech/20070720.WWW000000238_blogueuse_avant_lheure.html<br /> <br /> <br /> <br /> Continuer aussi longtemps... oui, parfois je me demande jusqu'à quand.
Répondre
N
Allo :-)<br /> <br /> Je ne sais pas si je faisais partie de la première génération (février 98) mais en tout cas ca me rappelle des bons ?) souvenirs toute cette époque. C'est sûr que si tu maitrisais pas un peu le html tu pouvais pas répandre facilement ta vie sur le web (contrairement aux blogs). Si ma mémoire est bonne c'est dans un article du journal Le Monde qui parlait de Michèle Senay ( http://journalintime.com/archives/sites/intimiste/ )que ca m'a donné l'idée de faire un journal web "intime".<br /> <br /> En tout cas tous mes respects pour avoir continué aussi longtemps, tout comme pour la diariste de Regards Solitaires. :-)
Répondre
P
Oui Cantabile, assurément une belle et enrichissante expérience. Ma vie en a été transformée. Moins par cette "double vie" sur le net, qui s'estompe avec le temps, que par le processus de conscientisation qui a eu lieu grâce aux échanges.<br /> <br /> Je te souhaite de vivre quelque chose de similaire sur ton blog, dont l'esprit suscite la réflexion et les prises de positions.
Répondre
C
Mais oui, c'est bien là la première question du blogueur? Quel intérêt à faire ce que je fais? Et d'ailleurs pour ma part, novice par rapport à toi puisque je n'ai passé le pas de la porte du web qu'en début d'année, cela m'avait paru être nécessairement l'objet du premier post que j'ai publié à l'époque (pas si lointaine). Cela me permettait certes de me présenter, mais également de rationaliser ma démarche vis-à-vis de moi-même! ( http://www.nethicalblog.com/about/ ).<br /> Et je dois dire que je n'ai pas été déçu : je présume qu'il en est de même pour toi, Pierre, et pour vous autres, le blog vit une vie propre, me nourrit, m'interpelle (merci à mes co-auteurs d'ailleurs! Arno, Adissam, Mike, Peerl) et chaque invité qui apporte sa pierre est comme une nouvelle fenêtre qui s'ouvre sur l'expérience relatée. Parfois la vue qu'elle dévoile nous plaît, parfois elle nous déplaît, elle est inattendue, convenue, pertinente ou déplacée... mais à chaque fois elle donne du sens...<br /> En tout état de cause, une belle expérience que ta longévité inspire!
Répondre
P
> K's role, je crois que ça dépend des blogs et du rapport que le blogueur entretient avec l'idée de publier ses idées : certaines personnes ne cherchent pas à "matérialiser" les liens, ni même à en créer...<br /> <br /> > Nat, voila qui confirme ce que je viens d'écrire :)<br /> <br /> > Valclair, c'est effectivement ton billet qui m'a inspiré ;)<br /> <br /> > Tanakia, je préfère voir la rencontre comme une chance que comme un risque ;)<br /> Bien sûr, il arrive que cette "rencontre textuelle" aboutisse à une rencontre réelle. C'est alors la rencontre d'autres dimensions des protagonistes. Quand ces rencontres sont possibles, c'est généralement une belle expérience :)<br /> <br /> > Charlotte, la question du « pour qui écrit-on ? » restera sans doute sans réponse. Pour ma part je crois qu'on écrit pour soi ET pour autrui, dans des propoptions variables et changeantes.<br /> <br /> Ce que tu décris du « risque » de la rencontre d'un écrivain ne me surprend pas : à moins qu'il ne se soit livré à une autobiographie ce n'est pas de lui dont il parle. L'être et l'oeuvre ont alors quelque chose de dissocié, même si l'oeuvre appréciée émane bien de l'être.<br /> Dans le cas des écrivants du net, pour peu qu'un désir d'honnêteté soit là, je ne pense pas que l'éventuelle rencontre rende l'auteur moins apprécié. En tout cas je ne l'ai jamais vécu ainsi en tant que lecteur, bien au contraire.
Répondre
C
L'écriture se tourne -t-elle vers les autres? Je crois qu'on écrit d'abord à soi,pour soi.<br /> Rencontrer un écrivain dont on lit les livres,est prendre un risque car ce n'est pas parce qu'on apprécie ce qu'il écrit qu'on va nécessairement l'apprécier en tant que personne.<br /> Je ne crois pas que j'aurais aimé rencontrer Dostoievski après avoir lu "Crime et Chatiment" ou "Les frères Karamazov".<br /> Après avoir lu ton texte je me suis précipitée sur un certain DVD "le cercle des poètes disparus"Quel grand film.
Répondre
T
Oui, je crois que tu as raison, c'est l'immédiateté ou presque du blog qui compte, comme le journal quotidien qu’on lit, qu'on jette et qu'on oublie. Reste que la lecture est toujours un risque, celui d'une rencontre qui nous fait dérailler et changer de représentation. A force de lire un auteur, nait un sentiment de proximité, de connivence parfois. nait le gout d'apprécier ses nuances, ses couleurs du jour. parfois assez fort pour briser l'écran de verre et prendre le risque de la rencontre, la personne en chair qui écrit mais qui fait tellement d'autres choses. Oui sans dotue écrit-on aussi pour être lu, et se désespérer du peu d commentaires, de la baisse du trafic, etc ou alors on écrit pour soi,un carnet numérique qu'on laisse à portée des voyageurs, pour le plaisir de rencontres fugaces. C'est toute la saveur du webmusardage.
Répondre
V
Évidemment ça me fait drôle de lire ça au moment où je m'apprête à mettre la clé sous la porte! Ton billet n'est peut-être pas sans rapport d'ailleurs avec cet actuel vent d'éloignement qui touche plusieurs d'entre nous.<br /> <br /> Marrant que cette vieille page du premier cercle diariste soit encore là. Moi je n'ai commencé à découvrir ce monde qu'un peu plus tard, au temps de la CEV. <br /> C'est émouvant de voir certains de ces noms, certains que l'on a lu. Et Sally donc qui publie toujours, toujours avec régularité à ce que je viens de voir, et toujours au même endroit! Cela faisait des années que je n'étais pas passé la lire et même je crois bien que je l'avais oubliée! Et puis il y a notre Eva bien sûr, mais elle on ne l'a pas oubliée! <br /> <br /> Quant au fond je partage ce que tu dis sur l'importance de nos cercles dans nos motivations d'écrire, on n'écrit pas face au vide comme tu le dis. <br /> Quant à l'effacement bien sûr il va très vite dès qu'on regarde au delà d'une échelle de quelques années même si les blogueurs d'aujourd'hui ont un peu plus de chance de laisser quelques traces que ceux du tout début, en un temps où il n'y avait aucune préoccupation d'archivage du web.<br /> <br /> Merci pour la promenade temporelle que ton billet m'a permis.
Répondre
N
Bonjour,<br /> j'ai découvert votre blog récemment.<br /> Je ne connaissais pas cette histoire passionnante. C'est presque une anthropologie que vous écrivez là. <br /> Je ne sais pas à quelle vague j'appartiens. J'ai ouvert mon premier blog en janvier 2006. J'ai le souvenir de plateformes suffisamment serrées pour tenir un échange qui durait un peu plus que ce que dure les 150 clics pour lire entre les lignes ce que les uns et les autres expirent de vie aujourd'hui.<br /> Et je dis cela... je n'ai pas de nostalgie. Sans doute parce que je n'ai jamais su faire communauté devant la planche à touches. C'est sans doute chez moi en rapport avec un puissant enracinement au concret, à la terre. <br /> J'ai toujours tenus des blogs assez "restreints" , avec peu de lecteurs, peu longtemps, quelques mois. Puis je ferme et réouvre des mois plus tard. C'est marrant d'ailleurs parce que des lecteurs du début sont là. Nous nous connaissons très bien, TRES bien et pourtant, aucun mail, aucune rencontre.<br /> Comme quoi, tout est dans la nature.<br /> Bonne soirée.
Répondre
K
je suis bien d'accord avec ça : il faut bien que d'une manière où d'une autre, entre blogueurs nous nous sentions en communauté d'esprit ou de cœur... souvent, les écrits ne sont pas suffisant, des rencontres permettent sans doute de se confronter à nos réelles présences qui parlent quelques fois mieux que nos mots... et puis je suis tour à tour lecteur et "écriveur" et c'est ce va et vient qui crée les liens... à nous d'en construire de nouveaux ! j'ai déjà rencontré quatre personnes que je lis et qui me lisent. C'est important pour moi !<br /> Bon dimanche !
Répondre