Ecrire en périphérie
Peut-on éviter indéfiniment ce que l'on cherche ?
Le billet qui aura suscité le plus de commentaires ici est incontestablement celui que j'avais intitulé "Le sens du silence". Il était ébauche de réponse à des questions que je me posais autour du refus de dialogue, porteur pour moi d'aspects bien mystérieux et fortement angoissants. Rédigé il y a près de cinq ans ce texte a de nombreuses fois été ravivé par des personnes trouvant des éléments de réponse à leur propre questionnement. A chaque fois cela m'a rappelé qu'un certain silence était au coeur de mon expression puisque, de façon assez paradoxale, j'ai ouvert ce carnet pour me taire. Plus exactement pour faire diversion : écrire, sans continuité, sur d'autres sujets que celui que je pensais devoir taire. Je voulais ainsi contrecarrer ma tendance à un épanchement sans fin, que je savais préjudiciable...
Vos apports de lecteurs-commentateurs ont fort heureusement ouvert mes interventions à de nouveaux champs d'échange et de réflexion. Il n'empêche qu'une notable part de mes billets est plus ou moins influencée par un noyau indicible. Je me demande même si mon inspiration n'y a pas trouvé sa plus abondante source...
Ce blog je l'ai ouvert en plein processus de rupture. Je voulais me taire alors j'ai écrit... Ecrit en périphérie, autour d'un silence fermé que je ne comprenais pas, n'acceptais pas. J'avais alors trop de colère, de douleur, d'attentes, de peurs, de déception, d'espoirs, pour aborder tout cela sereinement. Submergé par des émotions contradictoires, porté par des élans sans issue, j'étais incapable de stabiliser l'orientation de mon énergie : lâcher ou tenir ? Achever ou persévérer ? J'hésitais entre la radicalité de la destruction libératrice et le long cheminement de la libération par le dépassement. Mon choix profond s'imposait assez immuablement mais je me suis souvent interrogé sur sa pertinence : et si je me trompais ? N'étais-je pas trop naïf, idéaliste, rêveur ? Trop compréhensif ? Ne fallait-il pas que j'opte résolument pour une autre façon de voir le monde ? Fallait-il que je remette fondamentalement en question mon rapport à la confiance ? Que je renonce à un optimisme qui fait ma force et me structure ?
Je me questionnais en silence car l'exposer ici clairement n'était pas souhaitable : le lieu n'a jamais été neutre. Alors j'ai parlé d'autres choses... tout en revenant bien souvent tourner, de loin, autour de ce que je tentais d'éviter. Mais en contournant l'obstacle je n'ai jamais pu m'abstraire de son évidence.
Non, on n'évite pas indéfiniment ce que l'on cherche.
Les années ont passé. Colère, douleur, attentes, peurs, déception, espoirs, se sont atténués jusqu'à une sorte de neutralisation. Le noyau indicible s'est réduit à force d'en user les couches superficielles. Le besoin d'expression périphérique a décru dans la même proportion et, inéluctablement, ce que je cherchais finit par tendre à l'émergence. La diversion perd sa nécessité. Qu'en sera t-il de l'inspiration ?
A l'origine il y avait eu dialogue et partage. Lumineux, sincère, libre, enthousiasmant, fertile, régénérant. Hélas, faute d'ouverture suffisante à la différence de l'autre, il s'est progressivement grippé. Opposition de sensibilités et mise en évidence de limites personnelles ont finalement mené à un refus de contact autoprotecteur. Une réaction de repli qui a réveillé en moi un cortège d'angoisses existentielles insoupçonnées : sentiments de rejet, d'abandon, de culpabilité, d'insignifiance, assortis d'une recherche pressante et tenace d'apaisement. Oui, c'était légèrement pathétique... Plus intéressante que ces signes frustes de détresse égotistes aura été la prise de conscience de mon incapacité à entendre suffisamment l'autre, à l'accompagner dans ses difficultés, et surtout à tenir compte de ses besoins exprimés ou non. La remise en question de la solidité de mes assises à été profonde. Bénéfique puisqu'elle m'a conduit à un important travail de consolidation, notamment en réévaluant mes capacités et en ajustant mes représentations de moi-même.
J'ai appris à me méfier de mes élans empathiques spontanés, en particulier dans les relations à forte teneur affective (dont, depuis cet échec, je me tiens prudemment à l'écart...), mais aussi dans toute autre situation relationnelle. Les bonnes intentions ne sont pas nécessairement judicieuses. Je crois être devenu plus vigilant, apprenant à garder le recul nécessaire pour ne pas être emporté dans le tourbillon des difficultés existentielles de l'autre, ni a répondre trop précipitamment à ses demandes inquiètes. Ce ne serait absolument pas aidant sur le long terme et je sais à quel point cela peut mener à des catastrophes.
Un tel détachement apparent peut passer pour de la froideur ou de l'indifférence lorsqu'il est attendu que je m'implique davantage que je ne le fais, mais je crois que c'est du contraire qu'il s'agit. La prudence issue de la connaissance de soi permet de porter davantage attention à l'autre et à ses sensibilités, selon ce que l'on perçoit de compatible. En choisissant soi-même jusqu'où on s'engage dans une relation à un instant donné, on se situe dans un rapport de confiance : « je n'irai pas au delà de mes capacités pour ne pas être un jour tenté de faire marche arrière ». Rester vigilant dans les relations affectives permet de ne pas se mettre en danger et ainsi de préserver le lien de confiance. L'essentiel. En sachant se protéger lorsque nécessaire je crois qu'on préserve l'autre (et la relation) de nos propres névroses.
Je connais pas mal de mes failles, désormais, et j'en tiens compte. Ainsi je peux rester "présent", "aidant", attentif et à l'écoute. Et tant pis pour l'intensités éphémère des illusions fusionnelles, finalement assez redoutables...
Je ne sais pas vraiment ce que je cherche, mais je crois en avoir déjà trouvé de précieux éléments.