Féconder l'existence

« Tout ce qui reste de ma vie ce sont les notes. J'écris un journal intime pour lutter contre l'oubli, offrir un supplétif à la mémoire. Si l'on ne tient pas le greffe de ses faits et gestes, à quoi bon vivre : seules les heures coulent, chaque jour s'efface et le néant triomphe. Le journal intime, opération commando menée contre l'absurde.

J'archive les heures qui passent. Tenir un journal féconde l'existence. le rendez-vous quotidien devant la page blanche du journal contraint à prêter meilleure attention aux événements de la journée - à mieux écouter, à penser plus fort, à regarder plus intensément. Il serait désobligeant de n'avoir rien à inscrire sur sa page de calepin, le soir. Il en va de la rédaction quotidienne comme d'un dîner avec sa fiancée. Pour savoir quoi lui confier, le soir, le mieux est d'y réfléchir pendant la journée »

Sylvain Tesson, « Dans les forêts de Sibérie » 

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Comments

[Pierre]

« J'écris parce qu'il le faut »... j'aime bien cette idée, que je préfère à celle de « j'écris parce que j'en ai besoin ».



Il le faut parce que c'est ainsi que les idées circulent, se partagent, se dessinent et se tracent. Bien plus que l'expression orale, qui souffre de l'instantanéité autant qu'elle explose de spontanéité.



L'écriture, acte solitaire, n'est-elle pas la meilleure façon d'ouvrir ses pensées aux autres ?

[Pierre]

Merci Ariane, d'en dire un peu plus sur Sylvain Tesson. Il parle en effet de sa découverte du "voyage immobile", après avoir parcouru le monde.



Et dans le même registre que ta citation, cinglante de vérité, de "Into the wild", Sylvain Tesson écrit, de façon délicieusement absurde : « Rien ne vaut la solitude. Pour être parfaitement heureux, il me manque quelqu'un à qui l'expliquer ».



Sa réflexion au jour le jour, entre la réalité temporaire de son espace de solitude où le temps s'étire et son vécu dans notre société sous pression est assez savoureuse.

[Ariane]

Je me permets de vous partager la quatrième de couverture du livre, que je trouve très belle...



"Assez tôt, j'ai compris que je n'allais pas pouvoir faire grand-chose pour changer le monde. Je me suis alors promis de m'installer quelque temps, seul, dans une cabane. Dans les forêts de Sibérie.

J'ai acquis une isba de bois, loin de tout, sur les bords du lac Baïkal.

Là, pendant six mois, à cinq jours de marche du premier village, perdu dans une nature démesurée, j'ai tâché d'être heureux.

Je crois y être parvenu.

Deux chiens, un poêle à bois, une fenêtre ouverte sur un lac suffisent à la vie.

Et si la liberté consistait à posséder le temps ?

Et si le bonheur revenait à disposer de solitude, d'espace et de silence - toutes choses dont manqueront les générations futures ?

Tant qu'il y aura des cabanes au fond des bois, rien ne sera tout à fait perdu."



Sylvain Tesson - Dans les forêts de Sibérie.



En rappelant que Sylvain Tesson, avant de s'installer six mois devant le Baïkal, avait une toute autre conception de l'idée de "vivre pleinement sa vie" : il sillonnait le monde dans une course folle, partout, sans prendre le temps de vraiment s'arrêter, sans s'immobiliser. Faut-il courir après le temps pour le rattraper et l'arrêter enfin, ou simplement... vivre dans la contemplation et le silence ? En étant conscient malgré tout que même si la solitude vaut de l'or, elle peut aussi rendre fou... "Le bonheur n'est réel que lorsqu'il est partagé", conclue le film Into the Wild (qui est avant tout un livre), dont le personnage principal meurt à la fin de sa propre solitude...

A lire aussi : "Walden ou la vie dans les bois" d'Henry David Thoreau ; même rêve d'idéal que Sylvain Tesson, une vie à coucher dehors, seul, avec la nature pour seule amie.





Puis une citation de "Chatterton", une pièce d'Alfred de Vigny, qui pose des questions très intéressante sur le rôle de l'écriture, l'engagement, la question du "poète maudit", etc.





LE QUAKER : Et à présent que fais-tu donc ?

CHATTERTON : Que sais-je ?... J'écris. – Pourquoi ? Je n'en sais rien... Parce qu'il le faut.

[alainx]

Pierre, ma remarque à propos de la « fiancée », c'était juste une plaisanterie de fin d'année…



:-))

[Pierre]

> Alainx, si l'idée du partage est St augustinienne (?), alors je m'y reconnais bien. Cela dit cette idée n'est certainement pas une exclusivité chrétienne et point n'est besoin de devenir adepte :o)



Pour ta remarque à propos de la "fiancée" (ou de toute autre personne à qui l'on va partager des ressentis ou impressions) elle me surprend. Rassure-moi : tu ne considères quand même pas tes lecteurs ou tes interlocuteur comme une "mère" ?!



> Odile, merci de me faire part de ta satisfaction :)

[odile]

merci pour ce beau texte

j'écris moi-même depuis plusieurs années et quand je ne le fais pas chaque jour j'ai l'impression parfois de rater de belles pensées que j'aurais eu plaisir à relire, mes cahiers m'aident beaucoup

en tout cas je lis ton blog depuis le mois de mai et j'y prends bien du plaisir

[Julie M.]

Je ne connais Saint Augustin que de renommée... mais je prends ça comme un compliment AlainX ;))

Sinon... je suis animiste et agnostique :D

[alainx]

Je plains la fiancée de Sylvain Tesson !

La pauvre ! Elle va devoir se farcir tous les événements de la journée du type, et tous ses états d'âme…

C'est pas une fiancée ça ! C'est une mère !…

Maman, je vais te raconter ce qu'on a fait à l'école…

[alainx]

@ Julie M :

"et si la fiancée c'était l'humanité...?"

Wahouu !!

Tu t'es convertie au christianisme ? ( Et Pierre aussi alors qui aime bien l'idée…)

C'est du Saint-Augustin pur sucre ça !

[Pierre]

Aaaah oui, Julie : la fiancée serait l'humanité ! J'aime beaucoup cette idée :o)



Écrire à l'humanité/altérité, proposer des idées mises en mots, ordonnées ou en vrac, laissant chacun en faire ce qui lui convient. Offrir des mots, et tant pis si ce n'est pas reçu comme on le souhaite...



J'adore ta fougue, Julie.