Si je vis aujourd'hui en solo ce ne fut pas toujours le cas : dans des temps fort lointains [à l'échelle blogosphérique], certains s'en souviendront, j'étais marié. Eh oui : je vivais en couple, en famille, et j'en étais heureux ! Du moins je le ressentais ainsi à ce moment-là et, finalement, n'était-ce pas le plus important ? Tout comme aujourd'hui je me sens heureux dans la liberté du célibat... que je quitterai peut-être un jour parce que mon bonheur aura trouvé intérêt ailleurs. Ce qui compte c'est de se sentir en adéquation avec les besoins du moment, n'est-ce pas ?
Dans ma vie conjugale [autant dire dans une autre vie...], je disais parfois à Charlotte, « ma » femme [expression d'une possessivité qui m'effraie aujourd'hui !], que sans elle je ne serais plus rien. Que sans elle je serais perdu. Le pire c'est qu'alors je croyais vraiment à ces fadaises ! Je considérais qu'elle [ou la relation ?] était indispensable au bonheur de mon existence. Fichtre ! Rien que ça ? L'importance excessive que j'attachais à ce lien aurait pu me rendre terriblement inquiet puisque mon équilibre était censé en dépendre. Il n'en était rien : je n'imaginais même pas que notre couple, fort stable sur les vagues de son long cours, puisse un jour se disloquer. C'était inconcevable. Même lorsque Charlotte, dans des moments de défaitisme, brandissait l'éventualité du divorce, je restais imperturbable : ça ne pouvait pas arriver ! Moi-même je n'y avais jamais songé puisque je considérais que le dialogue permettrait de venir à bout de toutes les incompréhensions. En fait, seule la mort accidentelle suscitait mes craintes par anticipation.
Un ou deux ans plus tard, sans l'avoir vraiment cherché [!!], je mettais la solidité de ce lien à une des épreuves les plus redoutables pour une conjointe : une autre femme. Et pas pour une aventure passagère ! Le risque était évidemment grand, en voulant continuer à voir de près la verdeur attirante de l'herbe lointaine, d'être éjecté pour ce désir incongru de pluralité. Bizarrement, cette perspective tronquée ne me semblait pas réaliste : contre toute évidence je n'y croyais tout simplement pas ! Comme si ma conscience des conséquences prévisibles [et clairement annoncées] était aveuglée par le besoin irrépressible de m'émanciper. Comme s'il me fallait en passer par là ! Je n'avais aucune envie de délaisser le couple mais j'avais quelque chose de vital à vivre. Avec ou sans ma conjointe. Cette élan de vitalité, imprécis dans ses contours, était net dans ses aspirations : oser vivre ce dont j'avais envie. Oser m'écouter et cesser de me faire passer après autrui. Renoncer à satisfaire l'autre à mon détriment, même si je l'aime. Petite révolution personnelle...
Vu de loin ça paraît facile et, dans le contexte du couple, particulièrement égoïste [houuu, le vilain mot !]. C'est précisément ce jugement, et la culpabilité qui s'y rattache, qui m'ont rendu les choses difficiles...
J'ai souvent entendu dire que les hommes préféraient ne pas partir par crainte de perdre les avantages de la vie en couple, incapables qu'ils seraient de se débrouiller seuls. Pour ma part je n'avais pas cette crainte matérialiste. Je crois que nombre d'hommes ont une crainte moins avouable : celle de perdre l'attention quasi-maternelle de leur épouse...
Il serait malhonnête de ma part d'affirmer que la peur de renoncer à l'assurance affective de la conjugalité n'existait pas. Une angoisse lourde se manifestait dans les sursauts de lucidité qui me frappaient, régulièrement, au réveil ou à l'endormissement... mais sans jamais me faire changer d'avis. Je reconnais qu'aller vers une vie en solo à long terme m'inquiétait quelque peu. J'imaginais que, devenu vieillard, cette solitude me deviendrait peut-être pesante. Mais bon... je n'allais pas m'empêcher de vivre au présent pour me soumettre à des craintes aussi intéressées ! Le corollaire, en revanche, titillait un peu mes principes moraux : en choisissant de suivre mon chemin j'avais l'impression de me désister de mes engagements à l'égard de mon épouse [j'ai admis plus tard que c'est elle qui y renonçait]. Tel que je suis mentalement construit la question de la moralité a pesé très lourd dans mes choix. Mon élan d'émancipation était fortement ralenti par des valeurs fortes dont il me fallait analyser le bien-fondé. Ce travail demandait du temps : mes principes (solidarité, respect, confiance, engagement...) constituaient une part de mes repères existentiels et il m'était impossible de m'en affranchir globalement sans me perdre moi-même. Il m'a fallu les décortiquer pour en atteindre l'épure.
Dans le même temps j'avais la volonté d'éviter les dégâts collatéraux : j'aurais voulu que personne ne souffre de ma démarche exploratoire. C'était évidemment impossible, après plus de vingt ans de vie commune. J'espérais cependant qu'à partir de cette épreuve s'ouvre un dialogue approfondi. Que naisse un nouveau rapport au sein du couple. Quelque chose de plus adulte, de plus fort, de plus solide. Je m'appuyais sur des témoignages et des livres qui démontraient qu'une évolution du couple était possible. Beaucoup de personnes ont vu cela comme une naïveté, d'autres y ont vu mauvaise foi, manipulation ou perversité. Moi je ne faisais que transposer mon mode de pensée : l'essence d'une relation c'est le dialogue. Quoi qu'il puisse advenir, rien de devrait empêcher définitivement de trouver ensemble que faire pour qu'une relation évolue mais se maintienne. Sauf si l'un des deux refuse, évidemment. Et ça, je n'y avais pas vraiment pensé...
J'ai donc dû finir par accepter, à coups de massue répétés, que ma façon de concevoir les relations était loin d'être une évidence universelle !
Avec le recul je peux dire que le retrait de mon épouse a été la meilleure chose qui pouvait arriver au petit garçon quadragénaire que j'étais ! J'ai été obligé de grandir. Obligé de dépasser l'évidence d'un accompagnement-partage. Obligé de me débrouiller seul. C'est ainsi que j'ai conquis une nouvelle liberté.
Aujourd'hui je vis très bien sans Charlotte. Sa présence ne me manque pas, son absence ne me pèse pas. Pareil pour ce qui est de la vie en couple : aucune envie de renoncer à la sensation de liberté qu'offre le célibat !
Quand je parle de sensation de liberté je ne pense pas uniquement à celle qui consisterait à agir à ma guise : une infinité de limites, principalement matérielles, rendent toute liberté très relative, et ce indépendamment de l'altérité. Non, je pense surtout à une liberté dont j'avais besoin vis à vis du regard de l'autre : pouvoir être moi-même. Oser être. Pour cela il a été sain, et nécessaire, que je me retrouve seul. Eloigné des avis permanents, tant positifs que négatifs, d'une personne à qui j'accordais un fort crédit. Sans doute me sentais-je suffisamment costaud pour ne plus avoir besoin de son soutien... Dans le même temps cessaient jugements négatifs, critiques et reproches. Je ne me rendais pas compte de la pression que cela avait exercé sur moi jusque-là. Les remarques que l'autre assène, selon ses propres repères, ont toujours perturbé mon propre discernement, donc ma liberté d'être. Surtout quand elles sont disqualifiantes...
C'est donc une liberté d'être inattendue que j'ai découverte en quittant la vie de couple. Et ça... c'est un sacré avantage indirect ! Ce pan de mon histoire relationnelle et affective explique en partie ma fermeture actuelle [pour ne pas dire mon rejet] vis à vis de tout ce qui peut s'assimiler à l'idée de couple, que je vois aujourd'hui comme un enfermement. Mais... ça n'explique pas tout.
Il aura fallu que l'herbe verte que j'étais aller goûter ailleurs un peu trop goulûment me devienne à son tour inaccessible pour que, finalement, mon rapport aux représentations amoureuses soit déstabilisé dans son ensemble. La combinaison de deux séparations concomitantes avec des personnes qui, à leur façon, m'aimaient, aura été l'occasion d'une remise en question fondamentale de ma perception des relations sentimentales. Ce qui explique, n'en déplaise à ceux et celles qui ne la comprennent pas, la durée notable de mon recentrage...
Mais diantre, peu importe la durée ! C'est l'atteinte de l'objectif qui compte...
C'est pour cette raison qu'après quelques tentatives minimalement audacieuses mon exploration relationnelle est devenue très prudente. Loin des grandes envolées lyriques auxquelles j'ai pu me livrer dans le passé, loin de l'enthousiasme conquérant, loin des rêves absurdes de changer le regard des autres sur le couple, je me suis finalement contenté de laisser venir sans entreprendre. J'ai accueilli les opportunités, d'autant plus modérément que je sentais fortes les attentes, sans rien promettre d'autre que vivre l'instant. Vigilant, j'ai appris à me protéger quand l'autre oublie que je ne suis ni son objet, ni un punching-ball. Je me préserve. En découle une vie plutôt paisible, qui me satisfait pour le moment...
Un mode de vie qui, je peux le comprendre, n'a pas enthousiasmé mes diverses et plus ou moins éphémères amies-amantes, faute de temps à leur consacrer. L'amitié s'en accommode bien, pas le désir amoureux.
Alors bien sûr je vois les années passer et ne pas naître les éventuels "moments sublimes" de partages qui n'ont aucun espace pour exister, faute d'intensité amoureuse. J'ai cependant été suffisamment touché par la félicité d'un bonheur ineffable, jadis, pour ne pas en oublier les bienfaits. Je *sais* ce qui peut se vivre ! Ouais... mais ça ne suffit pas à me distraire de l'objectif que je ne sais quelle conscience m'a obstinément fixé : sortir de toute forme de dépendance à autrui.
Vaste programme, comme disait l'autre...
(à suivre)
Ecrit le 13/12/2011
Ce type de couple est forcément voué à la disparition lorsque l'un, l'autre, ou les deux décident de devenir « adultes »… À moins que des formes d'électrochocs amènent des prises de conscience réciproques et la découverte qu'il y a dans ce couple « autre chose » que cette recherche de comblement. Ton aventure extraconjugale ne permit par cet électrochoc.
À mes yeux, c'est cet « autre chose » qui constitue les véritables couples pérennes. Parce que cette dimension et d'une certaine manière au-delà de l'affectif du comblement des manques de l'enfance, avec ses effets frustrants, et les sentiments d'absence de liberté personnelle, puisqu'on est « à la merci » de l'autre, croyant que sa disparition serait catastrophique. Moyennant quoi, on continue à s'aliéner joyeusement l'un l'autre, tout comme dans la relation maternelle et même parentale en général, où on s'aliène aux attentes des parents par peur de les perdre, de ne plus être aimé, d'être rejeté, ce qui, pour l'enfant, est proprement intolérable.
D'ailleurs tu écris : nombre d'hommes ont une crainte moins avouable : celle de perdre l'attention quasi-maternelle de leur épouse... Phrase que l'on peut considérer comme une projection…
Selon les conceptions que l'on se fait de la vie de couple, on peut évidemment déplorer que tu n'aies pas été à même de faire l'expérience de la liberté à l'intérieur de celui-ci, demeurant dans la conviction que la vie de couple est une entrave au déploiement personnel. Conviction que je ne partage pas, ayant plutôt l'expérience de l'inverse…
Ce qui me semble singulier chez toi, c'est qu'il t'a fallu excessivement longtemps pour faire cette prise de conscience. (Ceci n'est pas une critique, croit le bien), alors que tu étais en recherche sur toi-même depuis déjà un certain temps.
Comme quoi on ne peut pas beaucoup accélérer les cheminements. Surtout lorsque ceux-ci se font dans une introspection solitaire.
Il m'avait semblé que tes atermoiements (sans doute légitimes) avaient fini par lasser ta nouvelle partenaire, qui, elle aussi s'en est allée.
Que tu finisses ta vie en solo, ou en vieux garçon :-) [ceci pour sourire un peu], ou que tu retrouves les délices d'une vie de couple, n'est probablement pas une question d'actualité.
Pour l'instant tu es satisfait de ton état. Que demander de mieux ! La vie en solo va finir par devenir la norme sociale du milieu du XXIe siècle.
Décidément, la vie normative risque de te poursuivre !… :-)))