Solo (3)
Dépendre du regard d'autrui... c'est l'invisible carcan dans lequel je suis longtemps resté enfermé. J'ignorais à quel point ses effets étaient liberticides. Il aura fallu que mon parcours d'émancipation croise celui d'une femme en quête d'autonomie, que s'y noue une relation magnétique, pour que je prenne conscience de ma névrose : un besoin d'être rassuré sur l'importance que j'ai pour l'autre. Un besoin de me sentir "intéressant".
Cette fois-là ma dépendance, imperceptible au départ, s'est développée en proportion des défenses vives érigées pour s'en protéger. Une quête d'autonomie peut s'accorder mal avec un besoin qui pourrait la restreindre. Refusé, mon besoin en devenait inexprimable. La peur engendra une peur en retour, jusqu'au hiatus : la synergie des peurs opposées vint à bout de l'aventure. Cette aventure qui, pourtant, m'avait parue tellement libératrice qu'elle justifiait la remise en question du parcours conjugal...
Dénouement absurde et quelque peu surréaliste ! Mais il y a des secousses salutaires...
Il est flagrant [ceux qui me suivent depuis longtemps le savent bien], que tout ce qui a été remis en question grâce à l'éloignements simultané des deux personnes auxquelles j'étais le plus attaché a ouvert a un des bouleversements les plus déterminants de mon existence. Des années après, mon rapport à l'autre dans le domaine affectif continue de m'interroger et de nourrir mes réflexions. Avec d'importantes répercussions sur mon approche. Par effet de balancier on ne s'étonnera pas de me voir être devenu particulièrement attentif à toute forme de dépendance. Pas la mienne [je suis probablement immunisé, désormais], mais celle d'autrui. Une vigilance qui peut compliquer un peu les choses puisque une certaine interdépendance est nécessaire dans une relation... J'admets, bien sûr, une relative dépendance de l'autre à l'égard de ce que l'on partage et le dialogue reste toujours ouvert à ce sujet. Il touche aux fragilités de l'être, à son histoire, à son intimité profonde. Le plus délicat. Grâce au travail que j'ai fait autour de ma propre névrose, je sais pouvoir accompagner l'autre dans cette exploration sensible. La dépendance d'autrui ne m'effraie pas et je ne la refuse pas. En revanche je veille à ne pas m'y soumettre. Quitte à me voir parfois qualifier d'indifférent...
Il ne s'agit là que d'un système de préservation.
En guise d'épilogue au dernier volet du loooong triptyque que j'ai déployé, je m'interroge : aujourd'hui, qu'en est-il de mes dépendances d'autrefois ? En d'autres termes, suis-je guéri ?
Bien que nos rapports soient devenus très espacés, Charlotte garde à mes yeux une place sans équivalent. Et réciproquement, je suppose. J'ai l'impression que, par delà les aléas, demeure une profonde confiance. Non dite, puisque la mise à distance ne permet plus les confidences de ce genre. Dès lors, le regard qu'elle pourrait porter sur moi est sans réelle influence puisque je n'en ai pas connaissance. Je ne suis donc plus soumis à la moindre forme de dépendance. Je reste cependant sensible à cette "distance" qu'elle a installé entre nous et que, depuis longtemps, j'ai renoncé à tenter de réduire.
Quant à "l'autre femme", l'amie-amoureuse dont la rencontre m'avait encouragé à prendre résolument le chemin de l'émancipation... l'extinction des contacts n'a pas permis de vérifier la réalité de mes avancées vers l'autonomie à son égard. Le grippage progressif du dialogue, jusqu'à son blocage complet, m'a toutefois aidé à préciser la nature de ma dépendance : il s'agissait moins d'une dépendance affective que d'un attachement à un dialogue de qualité exceptionnelle. Avec elle j'avais trouvé une partenaire d'exploration, de découverte, de dialogue qui dépassait tout ce que j'avais connu et même imaginé. C'est ce que je ne voulais pas perdre. Là se situait ma dépendance... et de là allait venir ma perte.
Avec elle je me suis d'abord trouvé, puis perdu. Et c'est finalement en la perdant que je me suis retrouvé !
Aujourd'hui je reste très profondément marqué par l'évolution de cette histoire étonnante, qui tient à la fois de l'échec et du dépassement. Je fais cependant le pari que l'émancipation est effective. Ne serait-ce que parce que j'ai dû me débrouiller seul pour faire face à un manque brutal, tant d'une grande amie que l'accompagnement qu'elle m'offrait vers... mon émancipation du lien conjugal !
En fait, sans m'en rendre compte, j'avais anesthésié le sevrage du couple en investissant un lien de substitution. Emancipation partielle.
Mais on n'échappe pas à son destin et finalement je me suis bel et bien retrouvé tout seul ! Obligé de grandir ! Et ce fut réellement une chance pour ma quête d'autonomie.
Ecrit le 13/12/2011, partiellement modifié le 16/02/2012