Souvent je pense à écrire ici mais, faute de temps/motivation, je reporte mes sujets. Finalement l'énergie qu'ils contenaient s'épuise et je passe à autre chose. C'est peut-être un peu dommage de perdre ces états temporaires d'une réflexion en mouvement, ou de ne pas garder trace de moments particuliers, mais c'est aussi un reflet de l'existence : le présent ne fait que passer...
Je dois dire que l'envie de vivre plutôt que d'écrire y est pour quelque chose. De plus en plus je délaisse le monde abstrait des échanges via internet pour réinvestir le contact sensoriel. Je ne rejette bien évidemment pas ce que j'ai jadis encensé et qui permet toujours un appréciable partage de réflexion, mais disons que je privilégie, autant que possible, le dialogue direct. Forcément, ça laisse moins de place aux échanges écrits.
Il y a cependant des sujets qui ne se prètent guère au dialogue direct. Je pense en particulier à un des principaux fils conducteurs de mes écrits : la complication du dialogue dans les relations affectives. Autrement dit : la difficulté à s'entendre et se comprendre quand l'affect s'en mêle. Difficile de m'en ouvrir directement parce que, soit la personne à qui je m'adresse est concernée par la relation que j'ai avec elle, donc au coeur de l'enjeu, soit elle ne l'est pas et les interactions sont alors désincarnées, "désaffectées", donc inopérantes pour un travail commun sur des ressentis réciproques. Le partage se limite alors à un échange d'impressions personnelles, d'observations et de suppositions, sans connexion affective directe. Or c'est dans le langage émotionnel que tout se joue, se noue ou se dénoue.
Finalement, rares sont les personnes avec qui un véritable dialogue autour du relationnel peut s'établir "en prise directe". Il faut qu'il y ait une capacité à se mettre en état de réception émotionnelle sans trop entrer en résonance, une empathie suffisante, une ouverture à la différence de perception, une capacité à ne pas juger, à accepter qu'il n'y ait pas de solutions immédiate ou simplistes... Bref, le bon interlocuteur est celui qui a la capacité d'être "écoutant". Ce n'est pas donné à tout le monde. Ça s'apprend. Et puis il y a des sujets qui touchent de près aux représentations fondatrices de chacun, aux "valeurs" personnelles, et vers lesquels il peut être délicat de s'aventurer "en amateur"...
Les écrits que je partage à distance avec vous montrent là tout leur intérêt. Ils me permettent, par je ne sais quel phénomène de proximité distante, d'explorer certaines des dimensions difficilement partageables dans le monde réel et de trouver un écho assez juste. Personne ne se sent "obligé" d'apporter une solution aux problématiques que j'expose, comme pourrait l'être un interlocuteur unique, mais chacun peut faire part d'une résonance particulière, témoigner d'une expérience, proposer son regard. Parfois s'ouvrent ici de nombreuses pistes de réflexion qui peuvent profiter à plusieurs d'entre nous. J'aime beaucoup ce travail qui se fait "ensemble", tout en restant chacun totalement indépendants dans nos parcours respectifs. C'est pourquoi j'y reviens régulièrement, quitte à remâcher longuement les mêmes thèmes, dans une sorte d'actualisation continue de ma pensée.
Aussi, je vous remercie pour la qualité de votre "écoute" commune, le respect dont il est fait preuve ici la plupart du temps, et la richesse collective que vous apportez individuellement.
J'ai trouvé cet article dans Wikipédia sur le sujet de l'amitié fortement intéressant....
J'ai choisi quelques passages qui me semblent relevants/pertinents...
qui pourraientt avoir rapport à ce que tu évoques si joliment aujourd'hui.
Douce journée à toi... et à "vous", lecteurs/trices aussi.
« Pour Aristote, la seule véritable amitié est l'amitié vertueuse.
Cette dernière est recherchée par tout homme, même si tout homme ne la rencontre pas nécessairement.
Elle peut naître entre deux individus d'« égale vertu » selon le philosophe et se distingue de l'amour en cela que l'amour crée une dépendance entre les individus.
Toujours selon Aristote, l'ami vertueux (« véritable ») est le seul qui permet à un homme de progresser car l'ami vertueux est en réalité le miroir dans lequel il est possible de se voir tel que l'on est.
Cette situation idéale permet alors aux amis de voir leur vertu progresser, leur donnant ainsi accès au bonheur, notion évoquée dans le dernier livre de l'Éthique à Nicomaque et qui est, pour Aristote, la plus importante.
Aristote pose ainsi l'amitié (véritable) comme pré-requis indispensable pour accéder au bonheur. »
« La relation d'amitié est aujourd'hui généralement définie comme une sympathie durable entre deux personnes. Elle naîtrait notamment de la découverte d'affinités ou de points communs : plus les centres d'intérêts communs sont nombreux, plus l'amitié a de chances de devenir forte. Elle implique souvent un partage de valeurs morales communes.
Une relation d'amitié peut prendre différentes formes ; de l'entraide, l'écoute réciproque, à l'échange de conseils, au soutien, en passant par le partage de loisirs.
“[...] L’amour fait communiquer et unit ce qui sinon ne se rencontrerait jamais;
la communication fait aimer ce qui sinon ne se rencontrerait jamais”
Edgar Morin, dans le tome 1 de "La méthode"
(la nature de la nature, 1977)
« Nous avons coutume aujourd’hui de ne voir dans l’amitié qu’un phénomène de l’intimité, où les amis s’ouvrent leur âme sans tenir compte du monde et de ses exigences.
Rousseau, et non Lessing, est le meilleur représentant de cette conception conforme à l’aliénation de l’individu moderne qui ne peut se révéler vraiment qu’à l’écart de toute vie publique, dans l’intimité et le face à face.
Ainsi nous est-il difficile de comprendre l’importance politique de l’amitié. Lorsque, par exemple, nous lisons chez Aristote que la philia, l’amitié entre citoyens, est l’une des conditions fondamentales du bien-être commun, nous avons tendance à croire qu’il parle seulement de l’absence de factions et de guerre civile au sein de la cité.
Mais pour les Grecs, l’essence de l’amitié consistait dans le discours.
Ils soutenaient que seul un “parler-ensemble” constant unissait les citoyens en une polis.
Avec le dialogue se manifeste l’importance politique de l’amitié, et de son humanité propre.
Le dialogue (à la différence des conversations intimes où les âmes individuelles parlent d’elles-mêmes), si imprégné qu’il puisse être du plaisir pris à la présence de l’ami, se soucie du monde commun, qui reste inhumain en un sens très littéral, tant que des hommes n’en débattent pas constamment.
Car le monde n’est pas humain pour avoir été fait par des hommes, et il ne devient pas humain parce que la voix humaine y résonne, mais seulement lorsqu’il est devenu objet de dialogue.
Quelque intensément que les choses du monde nous affectent, quelque profondément qu’elles puissent nous émouvoir et nous stimuler, elles ne deviennent humaines pour nous qu’au moment où nous pouvons en débattre avec nos semblables.
Tout ce qui ne peut devenir objet de dialogue peut bien être sublime, horrible ou mystérieux, voire trouver voix humaine à travers laquelle résonner dans le monde, mais ce n’est pas vraiment humain.
Nous humanisons ce qui se passe dans le monde et en nous en en parlant, et, dans ce parler, nous apprenons à être humains.
Cette humanité qui se réalise dans les conversations de l’amitié, les Grecs l’appelaient philanthropia, “amour de l’homme”, parce qu’elle se manifeste en une disposition à partager le monde avec d’autres hommes. »
— Hannah Arendt,
Vies politiques, Gallimard, Paris, 1974
http://fr.m.wikipedia.org/wiki/Amitié