S'engager autrement
Vous commencez peut-être à en avoir un peu marre de me voir tourner autour du même sujet ? Ça tombe bien : moi aussi ! J'en mets une dernière couche avec ce texte, que je sauve ainsi d'une disparition certaine...
Il y a eu un échange de commentaires à la suite d'un récent billet, autour de la notion d'engagement. Il s'agissait de l'engagement amoureux mais je crois que le propos peut s'élargir à d'autres types de liens affectifs forts. Or, les habitués des lieux le savent, j'ai quelques difficultés à envisager aujourd'hui ce genre d'engagement [pfff, encore un mec qui veut pas s'engager !]. Ça n'a pas toujours été le cas, loin de là...
Le changement, assez radical, n'est pas sans soulever moult questions et la redondance de mes écrits en témoigne. Bien souvent je gravite autour d'une problématique qui pourrait se résumer ainsi : comment vivre des relations "engageantes" (sur le plan de l'être et du partage) sans s'engager dans un contrat affectif et sécuritaire surdimentionné. Il y a clairement de ma part un refus de tout ce qui pourrait s'assimiler au couple sous sa forme traditionnelle : avec contrat d'exclusivité affective et sexuelle.
C'est épidermique et non négociable !
Pour autant, quoique je refuse tout engagement amoureux en ayant résolument opté pour une vie en solo, ce n'est pas le signe d'une défiance généralisée : le principe de l'engagement reste pour moi une valeur extrêmement forte. C'est bien pourquoi je refuse d'y entrer à la légère...
Ce qui a changé dans ma perception de l'engagement, c'est son champ d'application : il s'est considérablement réduit. Auparavant l'engagement était pour moi quelque chose de très ambitieux, définitif et irrévocable. C'est avec cette idée que je me suis marié, aimant et pétri de bonnes intentions. J'ai aimé cette vie de couple, non dénuée d'amitié, et n'ai jamais regretté de m'y être engagé. Mais en évoluant le contour de mon engagement a fini par ne plus coïncider avec celui qu'attendait ma femme. Forcément : on n'avait jamais vraiment défini ensemble nos besoins tant qu'ils paraissaient compatibles ! Mais trop engagé ici, pas assez là... l'inadéquation est devenue telle qu'il a fallu se résoudre à rompre le contrat d'engagement réciproque. Divorce. Ben merde alors...
Ma fidèle compagne est partie en emportant avec elle ce qui nous liait d'amitié. Je ne suis pas sûr, des années après, d'avoir pleinement pris la mesure des conséquences que cela a pu avoir sur ma façon de me lier...
Simultanément l'arrêt brutal de LA grande rencontre d'amitié amoureuse qui bouleversa mon approche relationnelle me confirma les limites de l'engagement. Un temps prometteuse, riche de partage et de découvertes, elle cessa néanmoins sans autre préavis qu'une inexorable détérioration. Je ne m'y attendais pas [ou je m'y refusais] et le choc fut terrible. C'est à partir de là que j'ai remis en question ma conception de l'engagement, beaucoup trop investi pour que j'en sorte indemne. Il m'a fallu pas mal de temps pour admettre que je m'étais trompé dès le départ, et même bien avant [conditionnement culturel oblige]. J'ai donc tout remis à plat pour rebâtir à partir de ce qui m'est fondamental. Selon mes valeurs et pas celles, implicites et informelles, de "la société". Je m'engage... mais à ma façon.
Aujourd'hui je dirais que mon engagement consiste à être digne de confiance : ouvert au dialogue, écoutant et respectant l'autre. Je m'engage à ne pas maltraiter la relation, à ne pas laisser s'y développer agressivité ni ressentiment, et à faire en sorte qu'une relation de partage se développe pour un bénéfice commun. Le tout au présent, sans présumer de l'avenir. Je sais qu'une relation peut cesser n'importe quand, sans prévenir... tout en étant à peu près certain que ça ne viendra pas de moi. Mes engagements semblent être restés irréversibles : une porte ouverte ne se referme pas. Ce qui signifie que, par conviction ou par nature, je ne couperai pas une relation tant que l'autre désire la maintenir. Probablement sans limitation de durée, et quoi qu'il puisse se passer (autant que je puisse en avoir conscience au moment où j'écris ces lignes). Cet "engagement" est unilatéral, désormais sans demande de réciprocité. En contrepartie, parce qu'il en faut bien, il semble que cela me maintienne à une certaine distance sentimentale. Détachable. Et ça m'étonne. Je constate que je ne cherche plus à maintenir les liens... et aurais même tendance à les laisser s'éteindre si l'autre ne se manifeste pas. Je me sais être disponible, mais tout à fait passivement.
Je lisais ce soir un texte évoquant le désir amoureux et la séduction... et je réalise qu'actuellement tout cela ne m'habite plus. Ça ne m'attriste pas mais ça m'inquiète un peu. Ou est-ce l'inverse ? A moins que ça me surprenne de n'en être pas plus perturbé que ça ?
Mon désir d'échange demeure mais sans chercher à vivre quelque chose de prédéfini. Ce qui m'importe est d'évoluer ensemble lorsque les conditions sont propices. Chercher ensemble ce qui peut se vivre, sans précipitation, simplement au fil du temps. J'apporte ainsi les conditions que j'aimerais trouver en l'autre : un *engagement* dans le lien. Ce n'est pas forcément ce qui est attendu en face mais c'est ce que moi j'ai à offrir. C'est le résultat de mon histoire, de mes sensibilités, de mes besoins en matière de sécurité affective.
L'expérience m'ayant appris que cette forme d'engagement sans limitation de durée n'étais pas très répandue, j'ai ciblé mon engagement en le restreignant à cet essentiel.
C'est ce qui fait que je ne m'engage pas à répondre aux attentes de l'autre. J'essaye seulement de le faire... tout en restant fidèle à ce que je suis. Je ne m'engage pas à une fréquence d'échange et de rencontres. Je ne m'engage pas non plus, c'est clair, à vivre selon les modalités des couples "traditionnels" : dans l'exclusivité du partage intime.
Mon engagement n'a de sens que par ses exclusions.
En faisant le choix de privilégier la découverte, donc une relative diversité dans l'échange, j'ai opté de fait pour une liberté dans les rencontres. Mais du même coup cette non-exclusivité limite fortement les possibilités de voir se construire les relations dans la durée. Tout simplement parce qu'il y a peu de femmes qui acceptent l'éventuelle pluralité de relations intimes. Et encore moins si j'y ajoute l'indispensable condition de l'attirance réciproque, seule à même de permettre la dimension qui pose tant de problèmes d'acceptation : la sexualité.
Tout ça pour ça...
D'un autre côté, en renonçant à l'engagement exclusif en couple, je me laisse la possibilité de vivre d'autres types de relations avec leurs caractéristiques propres. C'est un choix, et je crois que ni l'un ni l'autre n'est préférable. De toutes façons j'ai déjà vécu l'expérience du couple "à deux", et durant suffisamment de temps pour avoir une idée de ce qu'il permet et empêche.
Je ne prétends pas que le mode de relation que j'ai choisi soit meilleur que celui pour lequel j'avais opté autrefois, ni qu'il soit généralisable : la parentalité ne s'en accommoderait sans doute pas. Mais, en ce qui me concerne, celle-ci est maintenant derrière moi. La première partie de ma vie est passée. J'ai accompli mon "devoir" (?) de père, mes enfants sont grands et autonomes, et je m'accorde donc le droit exorbitant de tenter d'autres voies. Ouais, comme si je n'avais qu'une seule vie et voulais en explorer différentes possibilités. Dingue, non ? Je m'octroie sans vergogne une liberté dont je me demande bien qui, et au nom de quoi, pourrait me la contester.
25 février - 6 mars 2012