Ce matin j'ai téléphoné à mes parents. Ils ont chacun eu des soucis de santé il y a quelques temps.
C'est mon père qui a répondu, me donnant en quelques minutes le détail de son traitement médicamenteux. Précis, net, sans affect. Il a seulement dit qu'il allait bien. Puis il a transmis le téléphone à ma mère qui m'a dit d'emblée qu'elle n'allait pas fort. Le ton de sa voix ne m'avait pas laissé de doute à ce sujet...
Ma mère a toujours été une angoissée, très soucieuse des autres, se faisant systématiquement passer après eux. Elle était aussi d'une nature enjouée et cette vivacité compensait le côté angoissé. C'est de moins en moins le cas. L'âge, et la diminution physique qui l'accompagne, a créé un climat anxiogène dans le couple de mes parents. Ils se soutiennent autant qu'ils s'entraînent dans le marasme de leurs noires pensées.
Il y a deux semaines mon père, au cours d'un examen de routine, s'est vu diagnostiquer un risque élévé d'accident cardiaque pouvant entraîner de très fâcheuses suites. L'appel du cardiologue pour effectuer un traitement urgent a mis ma mère dans un état de stress majeur. Elle a fait un malaise, avec perte de connaissance et symptôme cardiaque oppressant. Si bien que c'est elle qui s'est retrouvée à l'hôpital ! Deux jours plus tard elle en sortait mais, depuis, ne parvient pas à retrouver la paix. Elle est rongée par l'angoisse de mort : la sienne et celle de mon père. Et comme elle se soucie toujours autant des autres, elle continue de les "protéger" en gardant pour elle une part de ses ressentis, en évitant de les inquiéter ou de leur dire quand elle est épuisée lorsqu'ils viennent la voir.
Quand elle m'a dit cela je l'ai laissée parler, attentif et disponible. Alors elle a continué et s'est délivrée de ce qu'elle ne veux pas dire aux autres. J'ai essayé de l'encourager, de dédramatiser sans minimiser, et il semble que cela l'a apaisée. Je l'ai rassurée en lui disant qu'elle pouvait se confier aux personnes qui ont la capacité d'entendre ses angoisses sans se laisser contaminer. C'est le cas du psychologue avec qui elle a eu quelques entretiens, dont elle redoute d'atteindre le moral. C'est aussi mon cas, quoique je sois très proche d'elle, parce que j'ai appris à écouter les difficultés d'autrui et que mon équilibre personnel est suffisamment stable pour absorber ce qu'elle me dit sans que je ne me mette en danger.
A la fin de notre conversation (en fait c'est surtout elle qui parlait), elle s'est dite apaisée. Elle craignait de m'avoir atteint mais je l'ai rassurée sur ce point : ce qui la concerne lui appartient et je fais la part des choses.
Quelques minutes plus tard, alors que je rédigeais ce texte, elle m'a rappelé : « Je sais pourquoi ta voix m'apaise : elle me rappelle celle de mon père ». Cet effet apaisant je m'en suis réjoui avec elle... tout en me disant que ce transfert générationnel me montrait les limites de l'écoute proche : mon implication restera celle d'un fils. Je n'irai donc pas dans le sens de la phrase qu'elle a formulée ensuite : « quand j'étais petite j'allais toujours vers mon père quand j'étais inquiète, parce qu'il me rassurait ». En revanche je crois que ma mère, en prenant la peine de me rappeler pour me le dire, s'est autorisée à "donner du sens" à ce qui l'a animée. Ce rapport à la « petite fille » peut l'éclairer sur l'origine de ses angoisses.
Depuis plusieurs années nous avons ce genre de conversations sur ton de confidences d'elle à moi. De mon côté j'ai un peu un rôle de "père" [tiens tiens...], rassurant par sa sérénité existentielle. J'apprécie la confiance qu'elle me fait. En même temps j'essaie de rester à une place pas trop engagée. Certes elle se confie à moi parce que je suis proche, et notre connivence apporte une dimension particulière, mais je reste attentif à ne pas me laisser happer dans ses problématiques. D'un autre côté je crois que ce qu'elle me confie m'éclaire parfois sur ce qui fait mon héritage affectif et relationnel...
C'est très bien que ta mère ait pu ainsi t'en parler.