Ras l'blog
C'est arrivé comme ça, d'un coup. Je ne dirai pas « sans prévenir » parce qu'il y avait des signes avant coureurs. Des envies d'autre chose, une impression de tourner en rond. Une lassitude.
Combien d'années de blog ? Je n'en sais rien. Je ne compte plus. Comme ces vieux qui ne font plus attention à leur âge. Et comme celui qui a longtemps vécu se demande à quoi bon continuer, je m'interroge : à quoi (me) sert ce blog ? Est-ce que les satisfactions que j'en retire compensent les désagréments, dont le temps que j'y consacre n'est pas des moindres. Et puis il y a les critiques, les remarques acerbes. Il y en a peu, mais elles me marquent et je n'apprécie pas la tonalité polémique que cela induit.
« Qu'est-ce que je fous là ? » s'est demandé sur son blog Alainx. Ce qu'on fout là ? « C'est comme si on se regardait dans un miroir dans un bar très fréquenté, plutôt que seul(e) dans sa salle de bain. », lui a répondu Célestine. Cela, poursuit-elle, « nous aide, par une sorte d'alchimie assez étrange et difficile à expliquer, à traverser certains caps en ayant le regard d'un Autre. »
Le regard de l'Autre. Il m'a aidé et m'aide encore bien sûr. Une aide très significative dans la prise de conscience, autrefois. Occasionnellement encore, mais j'ai l'impression que c'est de plus en plus rare. Ou alors moins nécessaire. Moins... révélateur. Je ne ressens plus la fébrilité des échanges fertiles ni l'étonnement de la découverte. Je ne ressens plus que rarement l'émotion des mots pénétrants. Peut-être parce que je me livre moins, aussi ? Mais, surtout, l'attente du regard de l'autre m'aliène. Je n'aime pas ça. Cela me ramène à une idée de dépendance...
Pourtant je me laisse encore guider, à travers vous, par des signes subtils. Des mots justes me touchent. Des appréciations m'encouragent. Vos idées parfois m'animent, me réveillent, me stimulent. Je sens alors que c'est une voie qui s'indique. Je perçois quelque chose de vrai, frais et vivifiant, mais qui ne peut ou ne veut s'écrire. C'est intérieur. Sensible. Délicat. Je ne me vois pas l'exposer ici. Crainte de le voir piétiné...
Dans ma recherche personnelle à travers l'altérité que vous, lecteurs-commentateurs, représentez, je me trouve parfois mais je me disperse souvent. La prudence vis à vis des remarques désobligeantes fait que je reste à distance de moi-même. Pas question d'aller trop loin dans la mise à nu, même si cette exposition fait apparaître des aspects que je connais mal. Pour cela ils m'intéressent : j'apprends de moi, donc de nous, humains. En même temps le strip-tease intime me fait perdre contact avec moi-même. Le regard critique de quelques uns, ou du moins ce que j'en imagine, me perturbe. Je ne me sens pas en confiance... et j'ai bien raison : un espace ouvert à tous n'est pas sûr.
Il y a à la fois trop de distance physique et trop de proximité qui s'exprime, ici. Pour la plupart je ne vous connais pas, ou très partiellement, ne vous visualise pas, mais avec ce que j'ai dévoilé de moi depuis des années vous pourriez avoir l'impression de me connaître. Sur cette impression, que je peux comprendre, certains s'autorisent une familiarité qui va au-delà de ce que je peux supporter sans dommages. C'est le piège de ces confidences à distance : croire que ce qui est dit donne un accès privilégié à l'intimité. C'est une erreur. Les confidences sont un flux de parole à sens unique. Elles ne donnent pas un droit de regard à celui qui les reçoit. Ce que l'un donne n'est que proposition à ouverture de la part de l'autre, dans un système d'échange : je te fais confiance en te donnant quelque chose de moi, et c'est la confiance que tu m'accorderas qui sera ma gratitude. Ou alors d'autres en bénéficieront ailleurs, plus tard...
Ce système d'échange devant un public varié et aux motivations diverses ne fonctionne qu'imparfaitement. Un blog n'est pas, et ne sera jamais, un groupe de parole. Par contre il peut en donner l'impression, et parfois les effets...
Ce dont je parle sur ce blog ne représente qu'une part très réduite de ce qui fait mon existence. Une part qui a son importance, certes... mais surdimentionnée du simple fait que j'en parle beaucoup. Il y a distorsion et cela me gêne. Vous, lecteurs, pourriez croire que ma vie est focalisée sur le sujet quasi-exclusif de mes écrits : les relations affectives. Or, je l'ai souvent répété, ici est une sorte de laboratoire de pensée. J'élabore et confronte avec vous mes idées. Je cherche à les préciser en tâtonnant. Je "vous" accorde donc, comme à tout Autre, un rôle puisque ce qui se joue ici peut interférer dans mon parcours, mes choix de vie, mes orientations. Pour cette raison il m'importe que demeure sur ce blog un état d'esprit propice à une évolution en adéquation avec le chemin que je trace.
Ce qui se passe ici n'est pas anodin.
Or je constate que, non seulement le temps que je consacre à écrire, puis répondre aux commentaires, absorbe une part non négligeable de mon temps mais, en plus, je me disperse. Je m'égare en suivant des chemins auxquels quelques uns d'entre vous me conduisent. Chemins qui, déjà arpentés ou ébauchés, ne m'intéressent plus. Alors hésitant entre le profond et le superficiel, entre deux eaux, je me laisse emporter, chahuter, disperser...
Lassitude ? Oui, j'en ai un peu ras le blog.
Fatigué d'écrire sur les mêmes sujets (en vue de convaincre qui ?), lassé de voir persister des polémiques qui tournent en rond. Depuis le temps que je témoigne du cheminement qui m'a conduit à passer de la relation de couple exclusif à une approche plus ouverte aux rencontres, je n'ai cessé de voir apparaître ce que j'appellerai, par agacement, des "gardiens des bonnes moeurs". C'est à dire des personnes qui ne peuvent s'empêcher de déclarer ce que serait vraiment l'amour et la vraie relation, voire le bon chemin que je devrais suivre. Et combien ma recherche de liberté serait vouée à la perdition.
C'est d'un pénible !
Je ne peux pas leur en vouloir : exprimer des convictions c'est être soi. En cela ils ont raison de défendre ce en quoi ils croient. Mais bon, il y a des façons de faire qui passent mieux que d'autres...
Qu'est-ce qui peut susciter une telle tonalité ? Est-ce que ça vient de ma façon de me dire ou bien est-ce le sujet qui pose problème ?
Et puis je m'interroge : qu'est-ce qui m'a fait persister a écrire, depuis tant d'années, malgré le désagrément ressenti à me voir catalogué dans ce que je ne me sens pas être ?
D'abord une vision idéaliste : j'ai tendance à chercher l'accord des points de vue, ou du moins l'acceptation des différences. Les discordances ne m'effraient pas mais j'ai la faiblesse de croire que l'harmonie du "ensemble", que je préfère à l'opposition, est atteignable. Et je peux chercher longtemps à l'atteindre...
Je crois que lorsque je m'engage dans une de ces quêtes harmoniques je vais jusqu'au plus loin. J'ai besoin de m'exprimer jusqu'à trouver... une limite. L'obstacle qui me fera renoncer à atteindre mon improbable objectif. Un jour je me rends compte que je n'y parviendrai pas. Ou pas en ce lieu, pas avec ces personnes, pas sur ce sujet, pas à ce moment de ma vie. Alors j'abdique. Cette limite devient la mienne : je n'ai plus envie de poursuivre.
Ici elle m'apparaît au contact d'une frontière déjà maintes fois touchée : celle qui sépare l'exprimable de ce qu'il convient de cacher. Tout est exprimable, bien entendu, mais pas sans conséquences. Mes points de vue peuvent heurter, choquer, surprendre, et donc, forcément, faire réagir. Sur le principe je trouve cela tout à fait sain... à condition qu'on reste dans le débat d'idées. J'aime assez la controverse et la confrontation de points de vue. Malheureusement je vois, trop souvent, moins discuter des idées que juger celui qui les énonce. Et à partir de là ça dérape.
Si c'est moi que je vois jugé, critiqué, disqualifié, qui plus est publiquement, je me sens "attaqué" et vais chercher à me défendre. C'est idiot et vain. Pas toujours juste. Surtout en public, ou l'esprit de joute distrait le fond de la forme. C'est disperser une énergie qui pourrait être avantageusement utilisée ailleurs.
Je dois dire qu'à la longue je suis fatigué de me voir perçu par quelques un(e)s selon une image qui ne me correspond pas. Lassé de chercher à rétablir la vérité de ce que je pense et ressens. Agacé de voir toujours réapparaître les mêmes rengaines. Surtout quand ça vient de la part des mêmes personnes, parfois depuis des années, et davantage encore quand leurs propos pourraient paraître légitimés par leur parcours personnel ou leur connaissance - très partielle - du mien. Ça m'use.
Je me rends compte qu'avec le récit de mes explorations j'ai certainement touché à des sensibilités indépassables et des convictions profondes. Ma liberté d'expression se heurte donc à celle du lectorat commentateur. Si je ne veux pas me voir critiqué à travers mes idées... il me reste à changer de sujet. M'autocensurer, pour éviter les censeur(se)s face auxquel(le)s mes explications ressemblent trop à des justifications. Comme je le fais depuis longtemps avec mon entourage...
Un peu étonné, tout de même, je constate à quel point la sexualité garde, malgré sa libéralisation, des aspects tabous : hors de l'indéfinissable "amour" elle n'aurait point de salut. Sacralisée dans l'amour elle serait méprisable en dehors. Il m'a été suffisamment difficile de m'arracher à cet endoctrinement pour accepter de subir indéfiniment les assauts répétés de ceux qui s'y accrochent.
Oui, la sexualité amoureuse est magnifique et permet d'atteindre des dimensions insoupçonnées, mais elle peut aussi se vivre de façon tout à fait réjouissante, heureuse, respectueuse, dans d'autres modalités affectives. Ce n'est pas parce qu'il y a un seul Everest - que bien peu atteignent - que les autres sommets sont sans intérêt. Et tant pis pour ceux qui ne démordent pas de leurs croyances...
J'apprécie beaucoup les échanges avec ceux d'entre vous qui ne cherchent pas obstinément à me faire changer d'avis. Ces partages d'impressions, d'idées, de ressentis, de convictions, se sensibilités, nous enrichissent mutuellement. C'est ainsi que je le ressens et c'est ce que j'aime voir sur un blog. Mais trop souvent des pensées dogmatiques ferment l'échange. Elles ne respectent pas ceux qu'elles excluent. L'intégrisme dérisoire des petits ayatollahs du quotidien est une réalité... à laquelle je ne veux plus répondre. Certains dialogues sont stériles. Je suis las d'être régulièrement décrit comme je ne sais quel libertin sans scrupules, "librebaiseur" sans conscience et sans souci de l'autre. Ce que je décris autour d'un principe de liberté ne signifie pas que je fasse usage de cette liberté. Les possibilités que je veux sentir ne sont pas forcément des désirs que je voudrais systématiquement assouvir. En clair : avoir besoin de me sentir libre, afin de ne de ne pas renoncer d'avance à toute rencontre intime, n'implique pas que je suis en quête constante de multiplicité, ni que je suivrai toute opportunité. La pluralité relationnelle est une éventualité, pas un objectif. Il en va de même pour l'amitié sexualisée.
Le besoin que j'ai eu de m'émanciper des normes culturelles qui me maintenaient dans un carcan moral insupportable a abouti à leur destruction afin que je choisisse moi-même les limites qui me convenaient. Je supporte donc mal que quelques censeurs viennent me rappeler ces carcans. Qu'ils leurs soient nécessaires ne devrait pas les autoriser à s'ériger en moralistes.
Mais il paraît que la liberté fait peur...
Pourquoi est-ce que je traîne encore dans ces zones de frontières dont je me suis émancipé, me direz-vous, alors que je suis maintenant bien loin des territoires exigus que j'ai quitté ? Peut-être parce que j'ai voulu témoigner de mon chemin d'émancipation...
Le temps est probablement venu que je me décharge de cette mission :)
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Mue