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Alter et ego (Carnet)
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20 mai 2012

La liberté du solitaire

Le lieu où je réside a quelque chose de paradisiaque. Non qu'il ressemble à quelque paysage de carte postale, tendance cocotiers et lagon turquoise, mais parce qu'il correspond très largement aux critères qui me sont importants : pas trop de monde aux alentours, un paysage à la fois champêtre et forestier qui porte, par vallonnements successifs, loin vers les montagnes. Calme et agréable, tout simplement. Certes je me sentirais sans doute encore mieux dans un cadre plus sauvage, mais je serais alors assurément loin des centres économiques... donc éloigné des sources sûres des revenus assurés. Je veux parler là du salariat. Car après avoir de nouveau goûté au confort appréciable de voir mon compte en banque enfler à chaque fin de mois, je constate qu'il aura largement compensé mon difficile renoncement à la "liberté" du travailleur indépendant que je fus quinze années durant.

Dans ce paysage rural, où je vivais donc quotidiennement mais chichement de mon activité antérieure, j'ai implanté une collection végétale qui a pris de l'ampleur. Cette petite forêt c'est mon parc, mon domaine, mon espace vital. Plusieurs hectares plantés d'arbres, isolément ou en bosquets, en préservant de vastes étendues de prairies où les hautes herbes ondulent sous le vent. Là, au contact du ciel, je sens l'espace et imagine d'autres immensités lointaines où mes voyages à venir pourraient me porter.

Je passe beaucoup de mon temps dans cette agreste nature. Je m'y promène, me laisser aller à penser, à rêver, me nourris du paysage bucolique, ressens les différentes ambiances ainsi créées, hume les atmosphères et les saisons. J'observe les détails et les silhouettes, les insectes et les oiseaux, les fleurs et les couleurs, et accessoirement photographie tout cela. C'est le bonheur accessible, à quelques pas. J'envisage aussi l'évolution de cet espace et les aménagements que je pourrais faire pour le rendre plus agréable aux rares curieux qui s'aventurent jusque-là. Modestes projets, à la mesure du temps que je pourrai leur allouer. Du temps, j'en consacre déjà beaucoup à l'entretien. Tondre, couper, tailler, débroussailler, éclaircir, abattre. L'exubérance végétale est considérable et foisonne plus vite que je ne peux la juguler seul. Viendra un jour où je ne parviendrai plus à entretenir tout cela correctement. Il faudra bien que je trouve des solutions pour être aidé. Cette aide m'est parfois proposée et jusque-là j'ai décliné l'offre, préférant mener les choses à ma façon. Mais ce pourrait être une occasion de partager à la fois l'esprit du lieu et des moments de convivialité. Travailler ensemble. Offrir à d'autres ce dont je suis la plupart du temps seul bénéficiaire. Être un peu moins solitaire...

Solitaire...

J'aime ma solitude mais je me rends bien compte que je ne saurais m'en satisfaire. J'en ai besoin pour me sentir bien et, en même temps, j'ai besoin d'échanges et de partage. Et pas seulement dans mon activité professionnelle.

Plus que de solitude, je crois que mon besoin est de me sentir libre. La sensation de liberté - qui n'a pas forcément de rapport direct avec la liberté réelle - c'est celle qui me permet d'agir en conformité avec mes aspirations. C'est à dire être ce que j'ai envie d'être. Agir à ma guise. La solitude me le permet souvent puisque je n'ai pas à restreindre mon champ de liberté face à autrui [un réflexe qu'il serait bon que je corrige...]. Mais pas toujours, parce que cette liberté me met face à... moi même. Libre d'agir, mais libre aussi de ne pas le faire. Seul, je ne peux compter que sur moi-même pour avancer, pour trouver l'énergie et la motivation nécessaires. La solitude m'est confortable... mais parfois un peu trop. La passivité, l'inertie, la flemme, l'oisiveté s'invitent facilement. En agissant selon mes envies je reporte les tâches qui me déplaisent. Je délaisse le ménage, par exemple, ne reprenant les choses en main que lorsque je vais avoir de la visite. Ne venez jamais chez moi à l'improviste, j'en serais mortifié !

Le confort de ma vie en solo a donc des contreparties : un risque de repli vers une vie sans trop de contraintes. Opter pour le confort de rester dans une vie confortable ! Mais est-elle satisfaisante à long terme ? Je veille jalousement à préserver ma liberté, mais ne risque t-elle pas de restreindre mon horizon ? Qu'y a t-il au delà de la bulle de liberté que je me suis octroyé ? J'ai voulu vivre selon mes envies, mais ai-je vraiment envie de vivre ainsi ?

Les réponses aux questions que je formule se dessinent immédiatement...

Je sens que je parviens au terme d'une période de ma vie. Dans ma démarche d'émancipation les grands questionnements existentiels se sont atténués jusqu'à rendre ma vie paisible. C'est très bien, mais rester sur cette lancée ne me conduit pas vers quelque chose d'attirant. Jusque là je n'ai pas connu l'ennui mais depuis quelques temps je le sens s'infiltrer dans mon existence. Désoeuvrement. Manque d'enthousiasme. Peu d'entrain. Je sens poindre une lassitude. Je me vois pris dans un léger marasme dont je n'identifie pas clairement l'origine mais qui touche à mon rapport aux autres. Oh, rien de grave encore, mais je suis attentif à ces signes : ce n'est pas ainsi que j'ai envie de vivre.

Je me demande si ces mortes-eaux ne proviennent pas d'un manque d'échange. Il y a longtemps que je n'ai pas fait de rencontre nouvelle, que je ne me suis pas frotté à l'altérité inconnue, faite de chair et d'émotions. Ce qui se passe sur ce blog, d'ailleurs soumis au même régime ronronnant, ne compensera jamais le déficit de réel. Et puis ici aussi est venu le temps d'un changement : mon envie d'écrire autrement est significative. Davantage que dans l'écriture, c'est dans mon rapport au lectorat que j'ai envie d'évoluer.

Au delà, je crois que c'est dans mon rapport aux autres que quelque chose peut changer.

Sortir de mes habitudes me demande une énergie, une volonté, une prise de risque. Bouger, rencontrer, voyager, découvrir. Oser. Seul c'est parfois difficile, même si à plusieurs ce n'est pas toujours simple (je garde en mémoire l'inaction due à des élans divergents). J'aime l'idée d'agir ensemble mais sans vouloir perdre ma liberté face à autrui. La solution : ne pas me diluer en l'autre. Ne pas m'éteindre ni me soumettre. Croire en moi, affirmer mes idées, défendre mes intérêts, poser mes limites.

Toujours la même histoire, en fait...

 

J'ai commencé ce texte en parlant de mon jardin. Quel rapport y a t-il avec sa conclusion ? Il est métaphorique : si je n'y prenais garde mon petit paradis pourrait se transformer en alibi pour ne pas aller au dehors. Il m'est facile d'être convaincu d'avoir des travaux d'entretien à faire pour rester confiné dans ce que j'apprécie. Et éviter ainsi la rencontre, la surprise, la déstabilisation...

 

 

 

 

 

 

Commentaires
L
Je comprends parfaitement ce que tu exprimes. parce que j'ai, moi aussi, un grand besoin de moments de solitude pour être moi-même et me sentir centrée. J'apprécie aussi l'oisiveté, je ne m'ennuie jamais. Mais pour vivre pleinement ces moments-là, il m'est nécessaire d'avoir dans ma vie la possibilité d'autres moments d'échanges profonds avec des amis précieux, mais également une belle relation amoureuse. Savoir que l'autre est là dans ma vie, même s'il n'est pas présent physiquement.
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J
J'aime assez la devise "solitaire, mais solidaire". Et solidaire on sait que je le suis puisqu'on n' hésite pas à faire appel à moi. Je me sens très équilibrée ...et même dans ma relation à moi et aux autres qui ne peut se faire que dans l'acceptation de ce que je suis. Cela m'a pris du temps d'ailleurs, le temps de me dégager justement de ce que je nomme les poncifs psychologiques... Et il est amusant au fond de voir que cet équilibre serait perçu comme une pathologie ou une anomalie...<br /> <br /> On voit souvent l'indépendance la liberté du solitaire comme un sorte individualisme égoÏste. Comme si on fuyait des devoirs ...mais que doit-on et à qui ? Surtout quand il s'agit de la vie privée !<br /> <br /> Comme nous vivons en société, on ne peut pas évidemment gommer l'importance de cet "avis des autres" , du "qu'en dira-t-on",mais même si on ne vit pas en fonction de ce miroir (qui ne réfléchit pas toujours!) il est illusoire de penser qu'on en est totalement indépendant.<br /> <br /> Quand on vit d'une manière qui n'est pas encore totalement entrée dans les moeurs, a fortiori à l'inverse de ce que la majorité croit être "bon", on s'expose à des "conseils "qui ne sont au fond que des demandes d'adhésion au mode de vie du locuteur. Ce qui semble bon à une époque donnée c'est ce que la majorité admet comme l'étant. S'agissant du couple et des "normes" note bien qu'on peut aussi faire la remarque -et on me l'a faite- que des rester si longtemps avec le même homme et de prétendre l'aimer encore c'était impossible, illusoire que "normalement" j'aurais dû divorcer , avoir des liaisons autres que platoniques etc...puisque c'est ainsi que ça se passerait pour une majorité de personnes.."Normalement" ? Majoritairement ne signifie pas forcément "normalement" et pourtant la norme se définit en fonction du nombre ... or le solitaire se place hors du nombre...et n'a donc plus l'appui et la caution du groupe.
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P
Jade, je suis tout à fait d'accord : la supposée "fragilité" des hypersensibles leur confère aussi une certaine force puisqu'ils peuvent entrer en résonance avec l'autre et ainsi mieux "l'entendre".<br /> <br /> <br /> <br /> Moi j'aime bien ma sensibilité :) Elle me permet de sans cesse me questionner au contact de l'autre, donc d'évoluer (certes lentement, mais ça c'est un autre sujet...).<br /> <br /> <br /> <br /> C'est amusant ce que tu remarques à propos des "conseils" que donnent les autres. J'avais pensé quelque chose de similaire au sujet des séparations : il est rare que cela soit vu comme une possible libération, et il est plus souvent souhaité un rapide retour à la "normale", à savoir une vie de couple. C'est fou comme certaines idées sont fortement ancrées culturellement !<br /> <br /> <br /> <br /> La solitude, ou "solitarité" est globalement assez mal perçue, ou vue comme un état à fuir.
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J
Merci, Pierre de votre réponse. La sensibilité c'est une vieille histoire, jugée excessive oui, dès l'enfance. Pour expliquer: ma mère avait renoncé à sortir avec moi parce que dès je voyais un autre enfant qui pleurait je sentais si fort sa détresse que je me mettais à pleurer aussi. Et je me souviens très bien de ce que je ressentais alors. Excès d'empathie, peut-être.On parlait aussi d'hyper émotivité Beaucoup d'autres "fragilités" qui vu d'un autre regard peuvent être aussi des "points d'appui", des sortes de forces en creux. Alors on élabore toutes sortes de stratégies par instinct de survie,surtout dans un groupe. A l'école,par exemple, j'étais une petite fille joyeuse et bien intégrée même assez populaire comme si je m'étais composé très tôt une sorte de doublure sociale correspondant à ce qu'on attendait de moi. Pendant toute une période de mon âge adulte, il me semble que j'ai avancé "blindée" . L'âge venant (et même étant venu!), dans cette retraite choisie, il me semble que me reviennent un peu cette sorte d'hypersensibilité qui n'est pas pour moi douloureuse, encore moins négative. Je ne ne me sens nullement en déséquilibre ou juste assez pour que la vie justement ne soit pas ennuyeuse!Je me heurte pourtant à une certaine incompréhension, j'ai noté qu'on dit souvent aux gens de sortir pour se changer les idées, de voir du monde(mais j'ai des liens avec d'autres qui me suffisent!),mais on ne conseille jamais à quelqu'un qui se disperse en relations superficielles et instables qui ne le satisfont pas de faire une cure de solitude. Au delà de ma personne mon interrogation portait sur la manière dont la solitude choisie est perçue dans notre société, à notre époque. Ma question était pourquoi est-ce si souvent perçu comme une anomalie, ou tout au moins quelque chose de négatif ? Cela peut se recouper avec ces commentaires lors de ma première "retraite" "alors tu vas t'investir dans l'associatif ?" comme si je devais à tout prix me dévouer aux autres au sein d'un groupe, alors qu'on peut le faire tout autrement et sans titre officiel et même sans que cela se sache, forcément.Il me semble justement que dans l'isolement, mes actes prennent un sens dégagé de toute reconnaissance sociale. C'est comme une sorte d'ascèse si ce n'est pas prétentieux d'avancer ce mot...
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P
Jade, le parallèle que vous faites entre besoin de solitude et grande sensibilité m'intéresse. Ça me semble assez juste... Quand on sensible aux émotions il est important de se retrouver seul, en relation avec soi.<br /> <br /> <br /> <br /> Je note aussi que vous parlez d'une sensibilité que les autres perçoivent comme excessive. Mais ce n'est que leur avis, et le jugement émis montre surtout qu'ils n'acceptent pas votre différence, parce qu'elle les dérange ou les oblige à adapter leur comportement (généralement ce sont les personnes un peu brutales qui trouvent les autres trop sensibles, comme par hasard...).<br /> <br /> <br /> <br /> Il en va de même pour le qualificatif de "pathologique" concernant votre besoin d'isolement : seul un psychiatre pourrait délivrer ce verdict, et je serais fort étonné qu'il le fasse :)<br /> <br /> Savoir vivre dans une relative autonomie affective me semble plutôt être un signe de bonne santé mentale et d'équilibre intérieur, de plénitude. Le "besoin d'autrui", au contraire, peut indiquer un vide angoissant.<br /> <br /> Moi je vois que vous vous dites sereine et c'est un symptôme plutôt réjouissant. Je crois que vous pouvez faire confiance à votre petite voix intérieure :)
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H
...doux week end
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J
Depuis quelque temps, je réfléchis à la solitude...et en tapant les mots dans un moteur de recherche, je suis revenue vers votre blog qui m'a tant aidée en d'autres circonstances(post sur le silence). Je lis tout ce qui est écrit précédemment avec effectivement parfois un sentiment de me reconnaître (peut-être faux!).Je me posais abruptement la question ces derniers jours de savoir si je ne devenais pas asociale. Mon travail actuel est à domicile et c'est à peine un travail puisque je suis artiste, j'ai déjà pris ma retraite une fois il y a dix ans, d'un autre métier. J'ai eu l'impression déjà d'une "mort sociale" car je n'ai pas pu vraiment préserver les liens que j'avais, même ceux qui me semblaient d'amitié sauf avec un ami, pas faute d'avoir essayé pourtant. En fait je me suis rendu compte que dans un groupe, quel qu'il soit je n'arrive à avoir de relations qu'en créant un sous-groupe, une sorte d'intimité à deux ou trois au plus , au delà je sens comme une sorte de barrière qui se met. Rejetant le groupe dans son ensemble et son fonctionnement je ne ressens pas d'appartenace de club, de clan et je crois que les autres ressentent cette sorte d'indépendance farouche. Est-ce qu'elle préserve ma liberté ? ou est ce qu'elle protège juste une sensibilité, une émotivité qu'on me dit toujours 'excessive" et avec laquelle je dois composer ?Je n'aime pas suivre, je n'aime pas mener, j'aime les partages intimes, profonds, choisis. Je n'ai jamais pu faire partie d'une bande de copains, je n'ai pas de copines, j'ai des ami(e)s , que je fréquente les uns à part des autres et si on les mettait tous ensemble certains se battraient entre eux...et je n'ai pas besoin de les voir souvent.Je constate avoir besoin de plus en plus de solitude et comme vous Pierre, cela se cristallise en quelque sorte autour de mon jardin que je nomme mon paradis!, j'éprouve de moins en moins le besoin de sortir surtout en ville, de voir des gens à l'exception des amis que j'évoquais que je vois par un un par deux.Mes journées sont très pleines et je m'ennuie jamais. ..Je n'ai besoin des échanges genre "salut ça va et toi "même si je n'en méconnais pas la chaleur humaine...Il ya aussi la solitude à deux, j'aime être avec mon compagnon de vie , et force est de constater que j'ai épousé un grand solitaire qui dit ne pas avoir besoin d'amis. Moi davantage et souvent je pars seule (sans lui) ou je reçois seule (il s'isole) et c'est vrai que j'ai conscience écrivant cela que nous ne devons pas être perçus comme normaux (dans ma famille on me le déguise à peine).Il arrive même qu'on m'explique que c'est pathologique cette façon de vivre que sûrement je serais dépressive pour avoir si peu besoin des autres.Mais je me sens si sereine , ainsi . y at-il une obligation à dire "je suis sortie là j'ai vu ça, j'ai rencontré untel ?" J'ai besoin des autres mais d'autres choisis et réciproquement, et d'autre part quand je crée ou que j'écris j'ai besoin d'être seule absolument et comme j'ai beaucoup à créer , que je ressens cela comme impératif, je me ressens aussi parfois comme égoîste, même si ce que je fais le plus souvent c'est pour les autres... il n'y a pas de clé à mon for intérieur, mais sans doute des défenses perçues comme dissuasives.
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J
Une idée, pour peu qu’on s’y accroche avec une conviction suffisante, qu’on la caresse et la berce avec soin, finira par produire sa propre réalité.<br /> <br /> Paul Watzlawick
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C
Dieu en chassant Adam et Eve du jardin de l'Eden leur a rendu service. Ils commençaient à drôlement s'ennuyer...dans ce paradis. Ils étaient pourtant à deux !
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U
C'est un peu beaucoup... J'ai peut-être oublié de dire que "malgré tout", mon travail me plaît. Et puis, il m'a permis de retrouver le sommeil et mon honneur alors que mon banquier me les avais volés.<br /> <br /> Ce n'est pas si mal... En vivant seule, certains choix s'imposent... On y gagne en sagesse.
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