Désirs latents
Hier matin, tracer des chemins dans les hautes herbes et dessiner un parcours parmi les arbres. Admirer les jeux de lumière dans les trouées et les clairière. Un chevreuil bondissant se sauve. Retour à la maison pour le repas. Ouvrir tout grand la fenêtre sur le jardin, enfin au soleil après des jours de pluie. Laisser entrer chaleur et pépiement d'oiseaux, bruissant silence de la nature.
Je goûte le moment présent.
Soudain l'atmosphère estivale apporte un parfum de nostalgie. Je crois que s'invite à cet instant le souvenir des journées où nous mangions en famille à l'ombre de l'érable...
Je ne m'y attarde pas, par habitude, et me prépare une salade. Seul face aux chaises vides je mets une musique calme, histoire de remplir le silence. La voix et la guitare accoustique de Claire Denamur m'emportent. Mélodies à la tonalité légèrement mélancolique, timbre sensuel subtilement brisé, féminin, envoûtant. Ma pensée s'échappe...
Envie de partage. Je m'imagine partir en périple pour le long week-end qui commence. Pas seul. J'ai envie de partager des instants inoubliables, ne pas être unique spectateur à engranger des sensations. J'ai envie de créer des souvenirs communs, en connivence. Je me verrais bien avec une femme avec qui le voyage serait plaisir. Quelque chose de bon, de simple, d'évident, sous le signe de l'amitié et du désir.
Je rêve encore d'entente, d'accord, d'harmonie, de complicité, de fluidité. Sans vouloir croire que ça puisse de nouveau exister.
Est-ce que seulement ça existe ?
Bien sûr que ça existe ! Mais est-ce que ça peut durer ? Se renouveler ? Ce que j'ai vécu autrefois... était-ce une illusion d'entente ? Une conjonction temporaire du désir d'être ensemble ? Peut-être. Il n'empêche que lorsque je le vivais c'était vraiment bien.
Qu'est-ce qui fait que je sois devenu fermé à de nouvelles aventures ?
Pas le courage de recommencer l'approche si c'est pour perdre un jour la complicité issue de ces moments partagés. Les glaciations relationnelles m'ont été pénibles à surmonter. Trop d'élans brisés, de froideur, de fermetures... Ça vous casse un homme, ça ! Je préfère ne plus rien tenter. Réaction de méfiance et de sauvegarde. Un jour, peut-être, je réussirai à m'affranchir, mais je n'y suis pas encore. Quelques rares tentatives de partage, un peu décevantes, n'ont fait que raviver les souvenirs de ce qui manque. Je choisis donc les voyages en solitaire, ou avec mes grands enfants. Avec eux je trouve la simplicité des moments partagés, sans craintes.
Mais je m'interroge : jusqu'à quand vais-je éviter ce pour quoi je me suis émancipé ?
J'ai voulu me sentir libre de rencontrer, de partager, de vivre des moments forts... et depuis que je vis seul je ne l'ai que très partiellement mis à profit. Peut-être parce que je n'ai pas rencontré les personnes compatibles ? Peut-être aussi parce que j'ai refusé farouchement tout ce qui pouvait, de près ou de loin, ressembler à l'idée de couple ? En voulant rester autonome j'ai laissé partir celles avec qui avait commencé à se construire quelque chose mais qui voulaient davantage. Une seule est restée, mais avec la perspective de mettre immédiatement fin à ce qui nous lie si d'aventure je m'approchais d'une autre qu'elle. Exclusive et inquiète, elle n'adhère ni à l'idée de l'amitié désirante, ni à celle des relations plurielles. Elle me voudrait tout à elle. Autant dire que notre relation ne tient que tant que je suis fermé à la découverte. Si l'idée de m'ouvrir de nouveau se manifestait ce serait la fin.
Or mes pensées nostalgiques indiquent que mon désir d'autres partages reste latent...