Il y a eu ces derniers jours, dans une bulle de la proche blogosphère, une agitation soudaine autour d'un sujet qui fait régulièrement polémique et soulève la question suivante : peut-on critiquer la gentillesse ? La gentillesse, la nunucherie, la mièvrerie, la naïveté, ont été depuis toujours sujet de railleries de la part de celles et ceux qui se targuent d'avoir une conscience supérieure de la réalité des choses. C'est un phénomène qui nous concerne tous, dans un sens ou dans l'autre : on est souvent le naïf d'un autre. Par ailleurs les motivations de la gentillesse, et son authenticité, peuvent toujours être suspectes.
Au delà de ces deux aspects c'est la question de la confiance en l'autre (et en soi) qui apparaît : la gentillesse, c'est à dire la douceur qui se montre, est-elle toujours sincère ? Je crois qu'il y a autour de ce sujet un rapport à quelque chose de très sensible en chacun de nous, auquel nous répondons de façon contradictoire, soit en cherchant, soit en rejetant cette douceur. Et bizarrement ce rapport à la douceur peut engendrer des réactions assez virulentes, si ce n'est violentes.
A partir de la critique de la gentillesse, qui est aussi une apologie de l'authenticité, me vient donc une question : quelle est l'utilité d'exprimer, ou de taire, nos impressions sur le comportement d'autrui ?
Juger l'autre en son for intérieur est difficilement évitable : ça nous échappe, ça s'impose. C'est là. La différence de l'autre, de ses idées, de ses valeurs, perturbe notre mode de pensée. Dès lors, qu'en faire ? Idéalement il serait fécond de se demander, en soi, en quoi ça nous dérange. Et d'où on se place pour s'autoriser à juger autrui sans connaître ses motivations. Mais c'est un travail d'introspection peu commode et pas forcément agréable car renvoyant à l'image que l'on a de soi, voire à notre légitimité en tant qu'être pensant.
On peut aussi, et c'est certainement une des options les plus enrichissantes, tenter de dialoguer avec l'autre autour de ce qui nous dérange. Aller à la découverte de ses représentations, tenter de comprendre quel est son monde intérieur. Mais ça peut demander du temps, bousculer nos propres représentations, obliger à une remise en question de ce qu'on croyait savoir.
Il est bien plus facile de rejeter la difficulté hors de soi, en pointant seulement sur ce qui nous gêne en l'autre. Ainsi il reste le seul responsable de notre agacement. C'est lui qui est rejeté... et nous qui sommes confortés. Il a forcément tort, il faut qu'il ait tort, puisque je veux rester sûr d'avoir raison ! Et pour donner plus de solidité à ce confortement il y a parfois la tentation de joindre à soi d'autres juges, qu'on prendra soin de manoeuvrer pour les orienter dans le sens voulu.
C'est là que ça dérape. Quand on se met a s'exprimer en pré-jugeant, c'est à dire en présentant les faits de façon subjective, biaisée, partiale. Quand on extériorise notre problématique interne pour éviter de se confronter à soi.
Tant qu'on ne s'autorise à dire ce qu'on pense [ressent] à l'autre qu'en face à face, le rapport de force pourrait être considéré comme égal (quoique l'ascendant de l'un sur l'autre rende en réalité cette égalité bien théorique), mais pour s'assurer d'emporter la victoire -notre image de soi en dépend- il est souvent choisi des chemins détournés, plus sûrs. Ainsi on ne va pas dire à l'autre en direct ce qu'on pense de lui, mais on va l'exprimer à des tiers, en prenant bien soin de ne donner que notre version des faits. Et même si on dit essayer de "comprendre" l'autre, on en arrivera à se servir de cette mansuétude pour l'accabler encore plus : « je veux bien comprendre que... mais quand même... ». Ces autres que l'on prend à témoin pour qu'ils confirment notre jugement, éclairés par notre seule lanterne, n'auront que leur capacité de discernement pour tenter de relativiser les choses. Il y a donc de fortes chances qu'il se rallient à la version qu'on leur présente. Ainsi on se sent plus fort : les autres pensent comme moi !
Ces petits tribunaux autoproclamés sont notre quotidien, dans des conciliabules de bureau, des conversations entre amis ou... sur nos blogs. Avec plus ou moins de finesse, ils critiquent autant les collègues qui nous déplaisent, nos supérieurs hiérarchiques, des membres de notre famille, que ceux qui nous gouvernent, voire les étrangers. Autrement dit : le différent de soi. Ou le trop proche de soi dont on voudrait se différencier...
Reconnaissons-le : beaucoup d'entre-nous sont assez critiquables sur ce plan, malgré de grandes envolées contre toute forme d'exclusion. Rares sont ceux qui s'abstiennent d'exprimer leurs jugements et s'en servent comme d'un miroir pour en comprendre l'origine. Parce que ce regard sur soi est difficile, peut-être même douloureux : je ne suis pas tel que j'aimerais être. Et ce que je rejette chez l'autre est peut-être ce que, secrètement, sans même le savoir, j'aimerais avoir en moi... ou rejette en moi.
Alors je peux me demander, pour en revenir à la question qui a suscité ce billet : quel est mon rapport à la gentillesse ? Qu'est-ce qui fait que, en particulier dans l'instructive réalité exacerbée du monde des blogs, certaines formes de "gentillesse" et de douceur sirupeuse m'agacent... alors que ma propre "gentillesse" a pu en agacer d'autres pour des raisons semblables ?
Je n'apporterai pas la réponse aujourd'hui, mais j'ai bien l'impression que la crainte de l'hypocrisie en est une des clés...
Elle renvoie à une question peut-être encore plus dérangeante pour soi : qu'en est-il de mon authenticité ?
Un pont entre deux rives
(environs de Faraya, Liban)
Et comme je fais parti de ceux que le consensus régnant chez toi, énerve de temps en temps... je fais mon mea culpa. Je peux facilement expliquer ce qui m’énerve parfois ici... mais je ne suis pas sûre que ce serait bon pour mon image de marque ! ;-)
Tu écris : « On peut aussi, et c'est certainement une des options les plus enrichissantes, tenter de dialoguer avec l'autre autour de ce qui nous dérange. »
Je suis d’accord sur le principe... mais je ne sais pas pour toi, moi, en général, je me prends un « mais qu’est-ce que tu me prends la tête avec ça ? » ! Ca recadre tout de suite ! ;-)))
Je pense que si j’ai ouvert un blog, c’est pour pouvoir discuter « dans le vide »... au moins, face à mon ordi... je sais pourquoi on ne me répond pas. Et le gros avantage, c’est que l’ordi n’a pas encore l’outrecuidance de me dire d’aller me faire voir avec mes cogitations ! ;-) Quoique... les lecteurs du blog peuvent le faire de temps en temps.
Et là, on en revient à ce que je disais plus haut...
• Alors dans ce qui m’énerve chez toi (ton blog, pas ta personne), c’est que toi, les gens te répondent sans te dire que tu te masturbes le cerveau pour rien, et que tes cogitations ne servent qu’à t’éviter de vivre. Comment ? Ah ? Oui, c’est vrai... ça t’arrive quand même parfois... de moi d’ailleurs, non ? ;-)
• Bon en tout cas, les gens sont très bienveillant ici. Et ce qui est énervant au possible c’est qu’avec moi ou ailleurs, ils le sont nettement moins. Et du coup, j’éprouve comme une sorte de jalousie ! Oui donc voilà, ma réputation est morte ! ;-) Oyez oyez... je suis jalouse de la gentillesse dont tu profites allègrement ici ! ;-) Bon au moins je suis franche alors tapez pas tout de suite !
• Et bien sûr pour compléter le tableau... ben ce que je te reproche parfois, c’est tout simplement ce que moi je fais et que je projette sur toi, d’autant plus que nous avons parfois le même comportement (en bon taureau de la même date)... Mais c’est plus facile de te le dire que de me le dire... cela va sans dire ! ;-)
• Et puis c’est aussi une façon de te renvoyer la balle que je me prends parfois dans la tronche... parce que y a pas de raison qu’on me reproche quelque chose et que toi, on ne te dise rien alors que tu fais exactement la même chose ! Un peu de justice, bordel ! ;-)
• Ah oui et puis moi, je te connais... en vrai... pour de vrai... dans la vraie vie ! ;-) Et quand tu montres des choses ici qui ne correspondent pas à ce que je vois dans le face à face... ben forcément, ça énerve un peu. Mais comme c’est le cas de tout le monde dans les blogs... et que c’est normal... y a pas de quoi fouetter un chat ! Donc il est totalement stérile de vouloir faire éclater au grand jour une vérité (qui somme toute, n’est que la mienne) ! Je crois que la sincérité est multiforme et que celle qui règne sur les blogs est tout aussi vraie que celle qui règne dans « la vraie vie »... mais qu’elle prend une forme différente.
Pour conclure, je suis assez d’accord avec toi quand tu dis qu’on écrit (dans les blogs) ce qu’on veut ou pense être. Et je ne pense pas que ce soit de l’hypocrisie mais simplement une partie de ce qui nous constitue. On ne se connait jamais parfaitement... et selon le degré d’objectivité dont nous sommes capables, j’estime qu’on a bien le droit de vouloir aller vers un idéal et se servir d’un blog pour ça... Je parle évidemment des blogs intimistes ! Parce que les blogs de bricolage... euh... voilà quoi... ;-)
Bon désolée, je l’ai fait longue... surement parce que j’ai peur de m’exposer à nouveau chez moi... ;-)