Dans un autre temps de ma vie, avant que je ne m'ouvre à de nouveaux horizons relationnels, j'avais une vision restreinte et confuse de la réalité du monde. Je croyais que mon expérience de vie en couple, menée consciencieusement et en suivant les préceptes qu'on m'avait transmis, m'apportait une connaissance croissante. Avec le temps et l'application je m'améliorerais forcément, tendant ainsi vers l'idéal du couple harmonieux, lui-même censé représenter un summum dans les rapports interpersonnels.

Tout comme les prisonniers dans l'Allégorie de la caverne, je ne me rendais pas compte de l'étroitesse de mon champ de vision, et donc de l'étendue de mon ignorance. La représentation que j'avais du couple n'était qu'une des possibilités. Non seulement il y en avait d'autres, moins traditionnelles, mais il y avait surtout d'autres façons de trouver une harmonie. Sans être en couple ni "en amour". Ces autres possibilités m'intriguaient autant qu'elles me dérangeaient.

La curiosité m'a attiré au dehors et poussé à explorer les alentours de ma caverne. Mes premiers pas hors des repères connus avaient quelque chose d'inquiétant et de fascinant à la fois. Je découvrais une autre réalité, déstabilisante mais par cela intéressante. Il semblait exister des façons d'être équilibré et heureux autrement, c'est à dire en laissant tomber mes idées préconçues. C'est ainsi que je me suis trouvé confronté à différents mythes fondateurs, dont le plus difficile à démanteler aura été celui de l'exclusivité affective et, plus encore, sexuelle. Cette croyance insensée que l'autre nous appartiendrait ou nous devrait quelque chose, ce désir de possession, sont des illusions d'autant plus tenaces qu'elles sont largement répandues.

Une telle croyance conduit a la plus grande des craintes : celle d'être renvoyé à notre solitude intrinsèque. Crainte perpétuelle qui ne tombera qu'avec son accomplissement : tôt ou tard l'autre nous échappera. Ne serait-ce que par la mort.

Il m'a donc fallu sonder ce gouffre : je ne maîtrise pas le temps. Je ne peux l'arrêter, ni le ralentir, ni l'accélérer. Imperturbable le temps avance et m'emporte avec lui. Autrement dit : je suis embarqué avec le temps. Je fais corps avec lui. Il est en moi. Si j'accepte cette réalité je ne peux que me situer dans un présent en mouvement perpétuel. Et le temps fait évoluer les choses, constamment. Rien n'est immuable. Rien n'est définitivement figé.

Puisque je ne maîtrise ni l'autre ni l'écoulement du temps, il ne reste que moi et mon présent comme moyens d'action. Indépendamment des autres et de leur présent qui, naviguant dans leur monde en parallèle du mien, évoluent à leur rythme. Ces différents mondes se croisent, interfèrent, se heurtent, s'allient, s'opposent, s'interpénètrent... sans jamais se confondre. Ils sont perpétuellement autonomes, et seulement temporairement interdépendants.

Le mythe du couple durable, auquel je croyais naïvement autrefois, s'est effondré face à cette prise de conscience. Dès lors n'existent plus que des alliances temporaires, sans aucune certitude de durabilité. Toute l'importance du temps présent réside dans cette conscience : rien n'est acquis. Sauf que toute chose a une fin...

Voila ce que j'ai compris en me frottant au réel, hors des illusions trompeuses et faussement rassurantes de la caverne conjugale. 

Fort de ce parcours de lucidité, c'est non seulement l'idée de couple durable qui n'a plus de sens à mes yeux, ni même d'attrait, mais c'est le goût de la découverte et de l'exploration qui m'ont été révélés. D'où mon attrait pour la rencontre. Un présent qui, éventuellement, peut se prolonger.

L'objectif d'une relation durable ne m'attire plus. Si je peux constater qu'une rencontre se prolonge, devient relation qui dure, je m'en réjouis mais ne saurais l'envisager comme un objectif en soi. Tout au plus un désir. Un souhait...

Il m'a fallu une bonne douzaine d'années de remise en question, avec pas mal de tâtonnements, d'hésitations, d'erreurs, de déconvenues, d'impasses, mais aussi de joies et d'émerveillements, pour m'affranchir des entraves mentales les plus pénalisantes. A cet instant je pense avec gratitude à chacune des rencontres, parfois brèves relations mais dont certaines durent encore, qui m'ont permis d'avancer sur ce chemin labyrinthique, sortir de ma caverne et m'ouvrir au monde.

Je peux désormais vivre pleinement une rencontre sans lui envisager d'avenir. Librement. En libraimant...