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Alter et ego (Carnet)
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27 décembre 2012

Se détacher ensemble

Lorsque je gravis un chemin de montagne il m'arrive de me retourner pour voir la distance parcourue. Je regarde au loin, tout en bas dans la vallée, et je vois le point de départ de la randonnée. Je vois aussi les étapes qui ont jalonné l'itinéraire, les éléments du paysage que j'ai remarqués en marchant. Des rochers, un arbre isolé, un pont sur un torrent. Là s'est tracé mon parcours et c'est parce que j'y suis passé que j'ai pu m'élever où je suis. Un bref instant j'observe tout cela puis, satisfait, je regarde devant moi, vers les sommets qui me dominent, et je reprends la marche...

Je conduis ma vie un peu de la même façon : quand je regarde en arrière je vois ce que l'écoulement du temps a rendu lointain, je constate à quoi je suis parvenu, et cela me motive pour poursuivre. Continuant ma trace je vis au présent, sans nostalgie particulière. C'est du moins ainsi que, la plupart du temps, je perçois le passé. Pourtant une part de mon passé accroche, me retient en arrière, ne se détache pas.

 

Il y a deux jours, dans le grand noël familial, la bande de cousins dont mes enfants font partie s'est installée devant les films retraçant leur enfance commune. Âgés de 20 à 30 ans cette dizaine de jeune s'esclaffait devant leurs bouilles de gamins, dix ou quinze ans plus tôt. Attirés par les rires leurs parents se sont joints à eux. Frères, soeurs, conjoints, grands-parents, se sont immergés joyeusement dans ces moments qui n'existent plus mais restent présents dans la mémoire familiale et en constituent la légende. J'ai ressenti une impression un peu étrange devant ces marmots d'un autre temps : bien qu'ayant définitivement "disparu" ils demeurent, certes transformés, bien présents aujourd'hui.

Parmi ces fragments de scènes à la chronologie fantaisiste sont apparus de temps en temps les jeunes parents que nous étions alors. Avec les traits plus lisses qu'aujourd'hui, les cheveux sans la moindre trace de gris. Couples encore jeunes, paraissant indissociablement liés. Devant les visages des ex-conjointes, désormais absentes, personne n'a émis le moindre commentaire...

A cet instant je me suis fait surprendre par une inattendue pincée de nostalgie. Revoir le visage juvénile de celle avec qui j'étais marié m'a fait retrouver fugitivement le souvenir d'une sensation oubliée : être heureux ensemble. Avec toute l'insouciance, la tendresse, l'évidence que cela impliquait. Un plan montrait notre connivence et nos mains enlacées, le jour où, inaugurant notre maison, entourés de nombreux amis, ils nous témoignaient leur attachement...

Cette "vie d'avant" m'a semblé tellement différente et lointaine de celle d'aujourd'hui ! Quelle étonnante situation que d'être devenus presque étrangers l'un à l'autre. Nous qui étions si proches...

Lorsque les circonstances m'obligent à regarder ce chemin-là, je ressens un parfum de tristesse. Comme si, ayant dû renoncer à l'itinéraire prévu, je gardais la trace fantôme de ce qui n'a pas pu être. Pourtant, au moment du choix, je savais que je faisais le meilleur et je ne le regrette pas... mais la perte de confiance qui en a résulté m'attriste encore. Je n'imaginais pas qu'il y aurait une telle coupure dans le lien qui nous unissait. J'en guéris, mais pas sans séquelles...

Endurci par cette épreuve c'est en solo que j'ai poursuivi mon chemin et j'évite, autant que possible, de regarder vers ce passé-là. Il a quelque chose de douloureux que je préfère éviter de stimuler. En laissant le silence prendre place j'en arriverais presque à oublier... tant que rien ne vient réveiller la blessure. Mais je me demande : l'évitement est-il la meilleure méthode ? Là comme ailleurs, j'en doute fort...

Finalement, qu'est-ce qui fait la différence entre la souplesse d'un passé fluide et la rigidité d'un passé qui accroche ? Entre une histoire qui, naturellement, évolue, se transforme, s'actualise... et celle qui semble s'être un jour figée, immobilisée, bloquée, s'alourdissant au fil des ans du poids croissant du silence et des non-dits ? J'ai tendance à croire que cette différence vient simplement du fait d'avoir pu, ou pas, revenir ensemble sur ce passé. D'avoir su en parler, s'écouter, et peut-être même d'en avoir ri, comme devant un film de famille ou un album de photos. Une façon d'accepter ensemble que ce qui a été n'est plus. Se détacher du passé.

Je suis convaincu qu'on se détache mieux ensemble. Mais c'est loin d'être simple...

 

 

 

 

Commentaires
R
"Il laisse l'autre prisonnier des paroles non-dites"... La connexion dans la séparation est la recherche ultime; comme le rythme d'une rencontre, d'un partage, d'un amour. Souvent décalés, c'est l'affection profonde ou parfois l'illusion qui nous mettent à l'unisson. Quand les accords deviennent grinçants, l'un refuse d'entendre et l'autre s'échappe. Le silence, comme la fuite de sa désillusion, se construit autour de l'autre et l'enferme seul avec ces questions.
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M
Votre post et tous les messages me touchent car j'aurais pu écrire certains d'entre eux, concernant la douleur tapie refaisant surface sans prévenir , certains rêves de meilleure communication, compréhension de l'autre qu'on a quitté ou qui nous a quitté,...mais justement si cette vraie amitié, ce partage, cette compréhension mutuelle avait existé ailleurs que dans notre imaginaire aurions nous eu les séparations de nos chemins telles que nous les avons vécues? Je ne le crois pas..et c'est bien ça aussi qui est dur à dépasser, la différence entre le dialogue intérieur avec l'autre et le partage réel... Et puis quand on voit les anciens films , photos, je me sens même étrangère à moi même d'alors, je ne me (re) connais plus...j'accepte d'avoir eu plusieurs vies dans ma vie, j'ai recherché cependant la même chose, l'âme soeur...
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L
Cassymary, je me retrouve totalement dans ton commentaire, parce que j'ai vécu exactement la même chose, mais la séparation a été moins longue. Et je crois que l'on ne peut reprendre une relation avec la même personne, après une rupture, que si l'on a fait le deuil de la relation telle qu'on la vivait, de ce qui nous faisait souffrir dans cette relation ou ne nous épanouissait plus, pour repartir sur de nouvelles bases. Mais pour que cela soit rendu possible, les deux doivent avoir vécu une profonde évolution durant cette séparation. Sinon, on reprend cette relation (ou une autre d'ailleurs) avec les mêmes blessures, les mêmes manques, et rien n'est vraiment changé. Et je crois profondément qu'il faut savoir mourir à soi et à ce qui a été pour pouvoir renaître. Si l'on est deux sur cette voie, avec de l'amour, tout est possible. Et l'on peut enfin commencer à aimer en conscience.<br /> <br /> <br /> <br /> Mais comme toi, parfois, certaines émotions négatives remontent à la surface, car rien ne s'efface totalement.<br /> <br /> <br /> <br /> Quant à savoir si nous aurions pu rester amis, je pense sincèrement que oui. Car malgré toutes nos difficultés, le lien qui nous unissait était très fort.
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C
Parfois il faut beaucoup de temps pour se retourner ensemble sur le passé, pour arriver à en parler, et parfois cela amène d'incroyable retournement de situation. Ainsi, pour moi, après 4 ans de séparation, de beaucoup se souffrance, d'incompréhension et de changement radical de vie, ce fut un nouveau départ avec l'homme avec qui j'avais passé 18 ans de ma vie, avant que nos routes ne se séparent, et ne se retrouvent. Il y a ainsi 4 ans de ma vie entre parenthèse qui aurait pu amener à un autre avenir.<br /> <br /> Aujourd'hui je me pose la question: si nous n'étions pas revenus ensemble, aurions nous su rester liés malgré tout? Je suis incapable de répondre à cette question... J'ai peur de répondre que non, à moins d'avoir retrouvé chacun de notre côté une vie équilibrée et satisfaisante. Mais il faut croire qu'au fond nous avions besoin de nous perdre pour nous retrouver. <br /> <br /> Tu nous donnes ton sentiment, mais je me demande ce que dirait ton ex-femme à ce propos. J'imagine que le choc était si rude à l'époque qu'elle ne pouvait le surmonter qu'en refusant de t'accorder un lien de confiance dont elle ne te pensait plus digne. <br /> <br /> Personnellement j'ai exigé de mon conjoint de partir loin de moi, pour que je puisse concrétiser cette séparation voulu par lui. Le savoir près ne me permettait pas d'assimiler notre séparation. 300 km ont été nécessaire pour me permettre d'entamer mon deuil. 4 ans plus tard, c'est moi qui ait fait ces 300 km pour nous donner une nouvelle vie (et je n'emploie pas sciemment le mot "chance" car nous avions suffisamment cheminé chacun de notre côté, pour savoir, en toute conscience, ce que nous voulions construire) . Était-ce bien ou pas? Je ne sais pas, mais depuis 5 ans, je ne me pose pas la question, et je ne me pose pas non plus la question de savoir si cela durera. Et si parfois les cicatrices se rappellent à mon souvenir, je me dis que cela vient du temps humide et qu'il ne faut pas leur donner l'importance qui pourrait raviver des douleurs passées.
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A
Je suis d'accord à 100% avec la façon de voir de Lukeria: le fait de pouvoir se parler<br /> <br /> l'un à l'autre de notre ressenti des évènements passés nous permet de cicatriser<br /> <br /> "un peu plus facilement"....et probablement de conserver des liens d'affection et de réelle tendresse.
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G
Pas souhaitable, sans nul doute, mais inévitable, non ?<br /> <br /> Comment guérir de son passé sans le "fouiller", précisément ?<br /> <br /> Je suis comme Pierre : j'accorde sans doute trop d'importance à la nécessité de "comprendre" les situations.
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Y
> "l'évitement est-il la meilleure méthode ? Là comme ailleurs, j'en doute fort..."<br /> <br /> <br /> <br /> Se replonger dans le passé, raviver les rêves brisés, revoir les vies qui s'effondrent, entrouvrir la boîte où l'on a enfermé la douleur, elle est bien là tapie dans l'ombre, prête à jaillir les yeux injectés de sang, la gueule béante, vous fouiller le coeur et le broyer de ses griffes acérées ... Pas facile. Pas sûr que ce soit souhaitable non plus.
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G
Je prends un plaisir intense à parcourir cet échange...sans parvenir pour autant à résoudre la même question que celle queCouleur Pierre et fillebavarde se posent...tant elle est difficle à résoudre : comment combler l'absence, le "trou dans la vie" ?
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L
Moi aussi, ce billet me touche beaucoup, car je pense qu'il était très important pour moi de parvenir à maintenir un lien avec mon ex, quand on a envisagé de se séparer. Nous avons réussi cette transition du lien amoureux vers un lien amical durant les deux ans qu'ont duré notre séparation, avec des départs et des retours de mon ex. <br /> <br /> <br /> <br /> Quelques années plus tard, nous avons aussi reparlé de la manière dont chacun avait vécu cette relation et de ce qui nous avait amenés à nous séparer. C'était très intéressant avec le recul, chacun ayant mûri et ayant vécu des choses différentes après notre divorce. Cela m'a beaucoup apporté pour ma relation amoureuse actuelle.<br /> <br /> <br /> <br /> Aujourd'hui, mon ex est mon meilleur ami, celui à qui je peux le plus me confier en confiance, et réciproquement. Je crois que c'est parce que nous avons tous les deux suivi un chemin vers plus de conscience que nous avons pu garder ce lien au fil des années.<br /> <br /> <br /> <br /> Je pense que l'on ne peut pas être vraiment séparés avec l'esprit apaisé, si on n'a pas eu la possibilité au moins de se parler.
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C
Ton texte m'a beaucoup touchée...Comment se détacher de ceux qu'on a aimés ? Comment s'apaiser de ceux qui nous ont déçus ?Comment pardonner à ceux qui nous ont offensés, trahis? Comment se pardonner de ne pas avoir été à la hauteur ? etc...<br /> <br /> Tu continues ta marche, ta recherche, ton chemin. Pas moyen de ne pas se retourner en arrière de temps en temps , ne fut ce que pour ne pas tomber dans les mêmes pièges du passé. Mais pas trop sinon on risque de se transformer en statue de sel comme la femme de Loth...!!!
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