« Je ne veux pas que tu parles de moi sur ton blog ». Cette demande m'a été faite, à plusieurs années d'intervalle, par des femmes avec qui je vivais, ou avais vécu, intimité et confidences. Je me suis efforcé d'y répondre, taisant ce que j'aurais volontiers évoqué pour clarifier ma pensée autour de situations complexes, de grandes interrogations, de doutes. Voire comme exutoire libérateur lors de moments de colère ou tensions temporaires.
Une telle demande est incontestablement légitime. En 2008 j'en étais arrivé à la conclusion que l'intimité d'une relation est une "copropriété" dont l'un ne peut disposer sans l'accord de l'autre. [J'avais déjà mis en évidence le problème en 2006, j'y suis revenu en 2011]
D'un autre côté mes ressentis, mes émotions, mon cheminement de pensée m'appartiennent en propre. Je peux avoir envie, ou besoin, de les évoquer sur un espace de liberté et de partage qui, lui aussi, m'appartient. Mais quand cela interfère avec l'autre... difficile d'en parler sans évoquer la relation.
Pour respecter la demande de ces confidentes j'ai décidé, sauf rares exceptions, de ne plus écrire sur ce qui pouvait me tracasser dans la relation [quitte à nous priver, vous et moi, des richesses du partage...]. J'ai ainsi appris, après avoir découvert l'extraordinaire potentialité de la libre expression, à intérioriser mes pensées. Une volte face qui m'a permis d'aller vers une autre façon de cheminer. Plus calme, plus mesurée, et offrant finalement d'autres champs d'exploration intime. L'esprit y gagne sans doute en profondeur et en acuité. Peut-être en ai-je aussi acquis une certaine franchise : puisqu'il faut bien que ça sorte, je suis devenu plus direct. Moins soucieux de "protéger" l'autre ou la relation...
Il n'empêche que ma retenue en écriture me pèse parfois. Elle restreint fortement mon expression dans des registres qui m'étaient chers. Elle contribue assurément à la raréfaction de mes publications, ce qui me désole un peu. J'aimais bien échanger autour de ce qui se joue dans les relations intimes, partager expériences et témoignages, explorer mes ambivalences. En même temps... ce mutisme m'a obligé a une discipline qui a sans doute des vertus. Aurais-je atteint certains niveaux de conscience si je m'étais épanché sans limites ?
Aujourd'hui je pourrais me demander ce qui est le plus fécondant : laisser couler les mots ou les contenir ?
Je pressens cependant que la question ne se pose pas ainsi...
Je me suis déjà beaucoup exprimée sur le sujet, notamment chez Coumarine, dont c'est une des préoccupations. Pour ma part, la question se pose en plusieurs termes:
Un, pourquoi écrit-on un blog " intime/extime"
Deux, n'est-on pas, de par son pseudo, quelqu'un d'autre qui n'a donc aucun comptes a rendre a personne de notre " vraie vie" ?
Trois, peut-on TOUT dire néanmoins de son intériorité?
Quatre, et c'est le plus important, qu'est-ce qu'on risque?
J'essaie de me positionner par rapport a ces interrogations, je pense avoir trouve un équilibre et je comprends que ce ne soit pas facile pour quelqu'un dont les problèmes sont liés a sa relation avec son partenaire. Mais un blog n'est ni un cabinet conseil d'avocat, ni un divan.
On ne peut donc qu'effleurer, évoquer par de subtiles métaphores. Et sûrement pas déballer ses griefs ou ses difficultés de couple. Ce n'est que mon avis, bien sur.
Maintenant, si le problème est si grave qu'il occupe tout ton disque dur intérieur, pourquoi ne pas écrire un blog sans que l'autre le sache? Cela éviterait la phrase: " je ne veux pas que tu parles de moi sur ton blog" .
Un jardin secret peut être une bonne façon de conserver son intégrité dans la relation.
Pour terminer avec ta dernière question, qui est subtile, moi l'adepte du juste milieu ( ou de la réponse normande, c'est comme on veut) je te dirai que je laisse couler les mots tout en les retenant. Tout l'art consiste a dire sans se laisser emporter par le flot et provoquer l'inondation. Un barrage n'arrête pas une rivière. Il contrôle son cours.
Et notre cerveau trie naturellement le dicible de l'indicible.