Coup de téléphone de ma mère, ce matin :

- Ça va ?

- Oui, très bien :)

- Tu n'es pas inquiet pour ton fils ?

- Ben... non.

- Tu es au courant des attentats qu'il y a eu au Liban ? [où réside mon fils]

- J'ai entendu ça, oui. Mais ce n'est pas parce qu'il y a un attentat dans un pays que le danger est partout.

- Tu as raison...

- Je suis un peu préoccupé, mais pas inquiet. Par contre, toi je te sens inquiète...

- Tu sais bien que je suis toujours inquiète !

Je ne le sais que trop. C'est peut-être pour cette raison que j'ai développé depuis fort longtemps une forme d'insouciance, qui m'est parfois reprochée...

 

* * *

 

Nouveau coup de téléphone maternel, cet après-midi [deux fois dans la même journée, c'est rarissime] :

- Tu as le nouveau numéro de téléphone de ton frère ?

- Euh... non.

- Sa nouvelle adresse ?

- Euh... non plus.

- Il ne va pas bien du tout [en pleine phase de rupture conjugale]. Il est en train de s'effondrer. Il découvre que les rencontres qu'il a faites depuis sont décevantes. Elles n'ont pas du tout la stabilité qu'il imaginait. Les femmes qu'il a rencontrées tiennent à leur liberté, ne veulent pas s'engager. Il était comme un ado ivre de sa nouvelle liberté et découvre qu'à cinquante ans ce n'est plus pareil qu'à vingt.

- Mouais... [je sens vaguement affluer le souvenir de ma propre expérience]

- Il délaisse son travail, je suis inquiète. Tu pourrais peut-être lui téléphoner ? Enfin... si tu le sens et si tu as envie.

- Oui, si je le sens. Ce n'est pas qu'une question d'envie. Il n'est pas forcément facile pour moi d'aller brasser dans ce genre de sujet.

En fait c'est moins le sujet que le fait de l'aborder avec mon frère, avec qui la complicité est rompue depuis fort longtemps. Nous avons pas mal de différences, notamment dans la façon de faire face aux tourments psycho-affectifs. Il y a quelques années nous avions eu une discussion mémorable durant laquelle il soutenait que sa façon de faire, face à ce genre de problèmes, était de « poser un caillou dessus et continuer son chemin ». Foncer, ne surtout jamais regarder en arrière, ne pas trop se poser de questions, ne pas s'apesantir sur ce qui coince. Radicalement opposée ma position était d'observer le problème, de tenter de le décrypter, de l'analyser, en chercher l'origine probable, comprendre en quoi je suis touché et où ça s'ancre dans mon passé, et enfin voir ce que je pouvais changer dans mon rapport au problème. Bref, il préférait zapper là où j'approfondissais pour me libérer. Une ligne de faille dont je me souviens très clairement.

- Avec la réflexion personnelle que tu as menée tu peux peut-être l'aider...

- Euh... quand j'ai eu à surmonter le même genre de situation je me suis débrouillé seul. Personne n'est venu m'aider.

- Oui, tu as eu le courage de te remettre en question. Je ne me suis pas rendue compte de ce que tu as vécu... Alors c'est chacun ses problèmes ?

- Non, c'est pas ça... C'est que je ne me sens pas capable.

Je ne refuse pas d'apporter une aide à mon frère [ou à qui que ce soit], mais ne me sens pas en capacité d'écouter ses difficultés en matière de liens sentimentaux. Notre histoire a fait que nous n'avons pas actuellement la proximité qui le permettrait. Et puis, bien que je sache qu'il vit sans doute quelque chose d'assez douloureux, je considère que c'est un passage obligé : la seule issue durable est de s'émanciper. S'autonomiser. Quelqu'un qui est trop affecté par des problématiques sentimentales, au point de sombrer, démontre à quel point un travail de maturation affective est indispensable.

Toute désillusion est douloureuse, évidemment, et en même temps c'est une épreuve qui permet de prendre conscience de l'impermanence des situations, de la relativité de la confiance qu'on peut accorder à l'autre, du fait que personne ne nous doit rien et que nous sommes les acteurs de notre état intérieur. Autrement dit : qu'on est fondamentalement seul dans la douleur. Et que la notion de ce qui est juste et injuste n'a aucun sens en matière relationnelle puisque chacun a sa part de responsabilité dans ce qui advient.

Ce discours, je ne veux évidemment pas le tenir devant quelqu'un qui se trouve en pleine tourmente. Trop radical, il paraîtrait excessivement dur [il l'est] et ne serait d'aucun secours. Je laisse donc la place à ceux qui pensent "aider" à leur manière, en écoutant, en compatissant, en soutenant. Pour autant je ne voudrais pas passer pour une personne dénuée d'empathie alors que, tout simplement, je ne me sens pas capable d'accompagner avec la douceur nécessaire quelqu'un sur ce genre de chemin. Pas encore. Je serais trop exigeant. C'est trop proche de la lutte que j'ai eu à mener pour m'affranchir de ma propre immaturité affective.

Par contre je pourrais accompagner une personne qui a compris qu'elle devait cheminer, se remettre en question, et accepter l'introspection agissante et responsable. C'est d'ailleurs ce que je fais depuis plusieurs années...

 

 

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Dans la tourmente...