Pour le plaisir de l'incertitude
Mes voyages sont souvent solitaires et je crois que cela leur confère une dimension particulière. Le voyage en solo c'est ne pouvoir compter que sur soi. Personne pour aider, accompagner, soutenir, décourager, proposer ou indisposer. Pas d'assentiment à demander, pas de choix à faire en commun, mais pas d'assistance non plus, ne serait-ce que pour indiquer la direction à suivre en cas de doute. Et comme je ne programme rien de précis je peux, à chaque bifurcation, décider d'aller à droite ou à gauche, changer d'avis, suivre une inspiration subite, une attirance visuelle. Ou pas. Je peux faire des détours imprévus, simplement par curiosité ou parce que le paysage me plaît. Lorsque je marche je peux continuer aussi longtemps qu'il me plaira, prolonger l'itinéraire au delà de ce que j'avais prévu, m'arrêter à ma guise, me reposer, contempler ou photographier autant que l'envie m'en prend. Je peux me lever très tôt, manger à n'importe quelle heure [et n'importe quoi], attendre que les nuages s'effacent ou que la lumière change, laisser la nuit venir.
C'est cette liberté que j'aime trouver.
Elle n'est pas sans contrepartie et il arrive qu'un pincement de stress et d'inquiétude m'aiguillonne en fin de journée, lorsque je suis encore en pleine nature : où vais-je dormir ce soir ? Trouverais-je un hébergement à proximité ou faudra t-il que j'installe ma tente ? Où puis-je me ravitailler ? L'itinerrance, fût-elle touristique, me fait subtilement renouer avec une pratique à laquelle la plupart des humains ont renoncé : le nomadisme.
Le rapport au temps y est différent. C'est la course du soleil qui me fera décider du lieu où je ferai étape, l'arrivée de la nuit qui m'imposera sa contrainte. Les lois naturelles y bornent ma liberté, pas les habitudes d'autrui. Je crois que j'ai besoin, de temps en temps, de me confronter à cette réalité. Échapper aux contraintes artificielles que trop de gens s'imposent et tentent, sans en avoir conscience, de les faire croire absolues.
Je crois que j'aime me confronter à la part d'incertitude, donc de liberté, dont je dispose parmi les certitudes du réel. Une façon de me souvenir que bien des contraintes humaines ne sont que des constructions. Et cette démarche n'est pas sans corrélation avec mon parcours d'émancipation...
Lac des saules - Parc national de Gaspésie
Dans un tel brouillard, et à plus de 5 heures de marche de la route d'accès, sans avoir rencontré personne, je me suis dit qu'il était peut-être plus prudent de faire demi-tour en faisant attention à ce qu'il ne m'arrive rien de fâcheux. Personne ne serait venu à mon secours puisque nul ne savait où j'étais. Une légère inquiétude qui n'a pas gaché mon plaisir dans ce moment de grand isolement et de total silence. Une ambiance qui m'avait entraîné beaucoup plus loin que je n'imaginais.
- À propos de voyages, je vous incite à jeter un coup d'oeil là. C'est magique...