Impressions de voyage : les gens
Extrême pointe du Cap de Gaspésie, à l'heure où les ombres s'étirent démesurément. Je marche depuis un moment en forêt lorsque le sentier s'ouvre sur un ciel teinté de rose et me conduit au pied d'un petit phare, aussi modeste dans ses dimensions que pimpant dans ses couleurs. Il éclate de rouge et de blanc, comme s'il venait d'être repeint. En contrebas l'Atlantique étend son miroir vers l'infini, sans la moindre vague. Sur cette fin de terre burinée de silence je suis seul... Du moins le crois-je, jusqu'à ce que j'aperçoive, du côté de la baie et dans un silence contemplatif total, un couple. L'image de cette harmonie parfaitement paisible, immobile, me plaît immédiatement et je la capture...
À mon retour mon fils m'a demandé « Ça n'a pas été trop long de rester seul pendant deux semaines ? ». Mais non fiston, pas du tout ! Ce voyage je l'avais prévu seul et j'en avais envie sous cette forme. La solitude faisait entièrement partie du voyage et c'est aussi d'elle dont je venais me repaître goûlument ici. La solitude donne une saveur particulière aux paysages.
Un plaisir qui intrigue toujours un peu, sans que je sache si c'est d'envie ou d'inquiétude
Je n'ai cependant pas recherché l'isolement total : cette fois je souhaitais voir des gens ! D'abord j'avais pensé au couchsurfing, solution intéressante qui consiste à se voir proposer un lit contre rien d'autre qu'une rencontre, mais cela me demandait d'avoir un programme établi à l'avance. Impossible pour moi. J'ai donc dû me contenter d'échanges aléatoires et plus brefs avec les québecois rencontrés au hasard de mes pérégrinations.
Ceux auxquels j'ai eu affaire, à l'exception d'un seul, se sont montrés à la hauteur de leur réputation : courtois, affables, sympathiques, chaleureux, accueillants, souriants. Disponibles. J'ai l'impression que là-bas le rapport au temps est apaisé, qu'on y est moins pressé et stressé qu'en France. Imaginez un peu : aux croisements, sur la route, il y a souvent quatre panneaux "Arrêt" (le "Stop" est un anglicisme...) et chacun attend son tour pour passer, par ordre d'arrivée. Et quand un bus scolaire s'arrête, toutes les voitures font de même : celles qui suivent et celles qui arrivent en face ! Dingue, non ? Personne pour tenter de passer en force ou klaxonner si ça n'avance pas assez vite !
J'ignore si c'est parce qu'il s'en accordent le temps mais, généralement, la discussion s'engage aisément avec les québecois. Il en fut ainsi avec une jolie femme qui rangeait son vélo dans sa voiture, mais aussi avec des gardes de parcs nationaux, les gérants de diverses auberges de jeunesse où j'ai dormi (l'un d'eux m'a tout de suite appelé par mon prénom, avant de m'inviter à me joindre à un anniversaire). Souvent on me posait quelques questions sur mon itinéraire, m'indiquait ce qui pourrait m'intéresser. Pas grand chose, objectivement, mais plutôt sympathique. Je n'ai jamais perçu indifférence ni lassitude mais au contraire ouverture. En randonnée il n'était pas rare qu'un brin de conversation s'entame en croisant quelqu'un sur un chemin. Quelques phrases, d'où l'on vient et où l'on va.
À la caisse du supermarché, la première fois qu'il m'a été demandé « Avez-vous trouvé tout ce que vous cherchiez ? », j'ai crû qu'il y avait erreur sur la personne [Euh... oui]. D'autres fois j'ai été surpris par le « Ça va bien ? » qui m'était adressé [oui oui, très bien merci. Et vous ?]. Et lorsque je remerciais qui m'avait donné un renseignement, plusieurs fois il m'a été répondu « Ça m'fait plaisir » [Et moi donc !]. C'est peut-être une formule plus ou moins habituelle, mais dite avec le sourire et semblant sincère, c'est vraiment agréable ! Là-bas je ne me sens pas "client" indifférencié, mais un individu. Une personne.
En cette saison les rares touristes sont des français. Et comme il m'est arrivé de rester deux nuits au même endroit on a pu discuter un peu, comparer nos visions des lieux parcourus, échanger quelques tuyaux ou convenir de notre ignorance. Il est aussi arrivé qu'on se retrouve, involontairement, sur le même chemin, où à l'auberge suivante. Finalement c'était une façon de "partager" un peu nos impressions et sans doute cela a t-il contribué à ce que je ne ressente pas l'isolement du contemplatif solitaire. Cela dit... j'ai rapidement été agacé par quelques personnages un peu trop vaniteux à mon goût. Et ailleurs une courte soirée "entre voyageurs" en immersion dans la faune d'un pub de Rimouski ne m'a pas laissé un souvenir impérissable. Tant qu'à me sentir seul, faute de réel partage,... autant l'être vraiment. Juste de quoi me donner envie de retrouver ma tranquillité de solitaire.
J'ai passé une nuit avec un couple [euh "avec"... c'est une façon de parler...] qui dormait dans le même gîte que moi. Le seul gîte dans lequel j'ai fait halte d'ailleurs [trop cher pour une personne seule !], un soir où je n'avais pas d'autre solution. Les discussions de circonstance, le soir et au petit-déjeuner, ont été suffisantes pour que je me dise que je préférais voyager seul que mal accompagné...
Mais pour être franc, il se pourrait bien que d'avoir eu la possibilité de me connecter de temps en temps au monde d'internet [ici, donc], et échanger quelques mails avec mes proches, ait permis que le sentiment d'isolement n'apparaisse pas. Et puis je savais que, d'une façon ou d'une autre, je partagerais à mon retour images et impressions de voyage...
La pointe de la Gaspésie, "la où finit la terre"...
... et où viennent les baleines (Rorqual commun effrayant des oiseaux)