Ces derniers temps j'ai exposé ici, à travers différents billets, les postures professionnelles auxquelles je suis confronté : d'une part je suis celui qui conduit une activité en tant que "chef", d'autre part celui qui se trouve en difficulté pour tenir cette position. Je suis à la fois celui sur lequel on s'appuie, devant donc faire preuve d'une certaine assurance, capable de faire respecter un cadre de travail... et celui qui se sent démuni et vient demander de l'aide.

Dans les deux cas il est préférable que je montre ma solidité, gage de fiabilité. Sauf qu'à l'intérieur les doutes me traversent, des craintes peuvent intérférer, et mes névroses personnelles me déstabiliser. Me retrouver devant une personne détentrice d'autorité, par exemple, me renvoie directement vers des traumatismes d'enfance. Je sais qu'à ces moments-là c'est une figure paternelle qui s'incarne : extrêmement exigeante, dure, prête à me punir d'avoir mal agi ou mal compris. J'ai beau savoir que tout cela ne correspond plus à ma réalité d'adulte, il n'y a rien à faire, les souvenirs traumatiques sont là, à peine dissimulés sous la surface. Aller au devant d'une personne que je perçois comme "supérieure" (dominante) me demande de rassembler mes forces et beaucoup d'énergie, de l'audace, voire une certaine colère pour pouvoir exposer ce qui m'est vraiment insupportable. Voilà pourquoi il m'a fallu deux ans pour oser dire franchement le fond de ma pensée à "Mr n+2" : je n'en pouvais plus.

Dans un tout autre domaine je viens d'être confronté au même contraste solide/sensible.
Mon ex-épouse m'a récemment déclaré qu'elle apprécierait que je lui téléphone de temps en temps, histoire d'échanger des nouvelles. Elle-même ne le faisant presque plus, face à mon absence d'initiatives, nos contacts sont devenus très espacés et essentiellement fonctionnels. Sa demande m'a travaillé, parce qu'elle allait dans le même sens que celle de mes enfants, il y a quelques mois. Et d'autres personnes m'ont déjà formulé ce grief. Effectivement je ne suis pas quelqu'un qui manifeste mon intérêt ou mon attachement. J'ai déjà écrit sur ce sujet à plusieurs reprises.

Hier, alors qu'encore une fois c'est elle qui me téléphonait, je lui ai dit que j'avais bien entendu sa demande et que je cogitais en ce sens. Que l'absence de manifestation n'était en rien un signe de désintérêt ou d'indifférence, mais résultait d'un mécanisme de protection. Nous avons longuement parlé et je lui ai expliqué que j'avais tout à fait conscience de ce que les apparences pouvaient laisser croire mais que j'avais appris à ne plus rien attendre de quiconque. Donc à pouvoir me passer de contacts. C'est comme si j'avais intégré la présence des personnes que j'aime. Je sais que ce fonctionnement peut leur poser problème mais, pour le moment, c'est ce que j'ai trouvé de mieux pour être heureux : me sentir autonome, ne dépendant de personne en particulier, tout en restant avide de partages. J'accueille donc avec plaisir les contacts, d'où qu'ils viennent, mais ne sollicite pas. Ou rarement.

Ça m'irait très bien comme ça [quoique...] si ça ne donnait pas une apparence de détachement qui peut perturber, ce que je conçois parfaitement. Alors comme je l'avais fait avec mes enfants l'an dernier, un peu ému j'ai confirmé à mon ex-épouse que je restais fortement lié à elle, n'étais absolument pas indifférent et qu'elle demeurait quelqu'un de très important dans ma vie. Sauf que c'est en sommeil. Contrairement à ce que les apparences laissent voir, je suis fondamentalement du genre très fidèle dans mes attachements. Elle a semblée rassurée et m'a remercié pour ces paroles. Et puisqu'il y a longtemps [plusieurs années...] que j'envisageais de lui proposer de passer un moment ensemble afin d'évoquer tout cela, j'ai profité de ce dialogue approfondi pour lui formuler. Elle en a semblée heureuse et a accepté. Ça m'a vraiment fait plaisir, et soulagé :)

Je redoutais qu'elle repousse mon initiative...

Je sais, et bien des lectrices de ce blog me l'ont déja signifié, que le système de protection que j'ai mis en place après avoir été doublement quitté paraît surdimentionné. Dans l'absolu il l'est, évidemment, mais si cette solution s'est imposée à moi c'est parce que c'était la meilleure après le choc qui a bouleversé mon rapport à l'affectif, lui-même mal établi dans mon enfance. J'ai dit à mon ex-femme, comme je le répète à chaque fois qu'on s'inquiète de mon épanouissement, que ce système me permettait de vivre heureux. Ceux qui me connaissent de près constatent cet état de bien-être intérieur, j'en suis certain, parce qu'on ne triche pas durablement avec ça. Mais si je le suis c'est bien parce que je me protège ! Du moins... dans ma vie personnelle. C'est moins vrai dans le domaine professionnel.

Le parallèle que je fais entre le plan professionnel et le plan affectif provient du fait que dans les deux contextes je suis à la fois solide et sensible. Fort et vulnérable. On peut compter sur moi en termes d'engagement, mais j'ai besoin de me sentir dans un environnement favorable et confiant. Si je ne trouve pas cet environnement j'entre en état de vigilance, me protège, me recentre sur mon besoin d'équilibre intérieur. Et là je ne peux plus offrir grand chose... 

Ma solidité ne s'installe que là où les fragilités d'enfance ont cèdé leur place à la maturité.