Conversation bucolique
En 1964 mes parents achetaient pour une bouchée de pain une vieille ferme dans le Vercors. Ils rêvaient de restaurer cette masure sans aucun confort, ce qui se révéla rapidement irréalisable avec quatre enfants en bas âge. La ferme fût alors louée à un original qui refusait la modernité et s'éclairait à la lampe à pétrole. Une vingtaine d'années plus tard, l'original ayant trouvé un lieu plus adapté à sa vie spartiate, mes parents retrouvèrent l'usage de leur ferme. Les enfants devenus grands s'émancipaient les uns après les autres et le cadre champêtre offrait un point de ralliement attractif. Encore enthousiastes mes parents entreprirent des travaux pour aménager leur rêve. L'ampleur de ceux-ci était telle qu'il leur fallut beaucoup de temps, si bien que seule une partie de la ferme est devenue habitable. Le reste garde encore toute l'authentique rusticité d'un mode de vie âpre, disparu de nos régions. C'est d'ailleurs cette rudesse qui fait le charme de la vieille bâtisse, appréciée par les générations suivantes pour des séjours entre forêts et prairies de montagne.
Cinquante ans après leur achat mes parents sont désormais loin de leur insouciante jeunesse et ont perdu pas mal de leurs capacités. Il leur est devenu difficile d'assurer l'entretien. Il a donc été décidé cette année d'organiser des week-end familiaux, laborieux et conviviaux, permettant se se retrouver en nombre pour s'entraider. La semaine dernière nous étions ainsi une quinzaine, étalés sur quatre générations, pour repeindre des volets, ranger du bois, couper les hautes herbes. Et il y a deux jours, de nouveau, une petite partie de la famille s'est retrouvée dans la vieille ferme. Il y avait là ma soeur et son mari, ma fille et son compagnon, mes parents. Et moi, en solo comme d'habitude. Week-end modestement besogneux puisque les temps de repas et de discussion se sont largement étalés. Après tout, l'essentiel reste le moment de convivialité et d'appréciation du cadre bucolique...
Paysage du Vercors
À l'heure d'un petit goûter bien mérité, et alors qu'il était question d'une sombre histoire de divorce au sein de la famille, je me suis contenté de suivre les échanges. Je percevais les inquiétudes, écoutais les avis, repérais les idées préconçues, mais sans prendre part à la conversation. Mon mutisme a été remarqué, me poussant à déclarer que pour moi il était vain de tenter de s'immiscer dans la dynamique d'un couple : c'est une histoire intime dont les éléments extérieurs ne peuvent avoir qu'une idée bien trop vague pour prendre parti. Tout ce qu'on peut faire en la matière c'est écouter, si toutefois l'un des protagonistes à envie d'en parler.
Connaissant mes idées sur les relations d'intimité ma soeur fit une digression en rapportant les récents propos d'une de ses amies. Cette dernière, lorsqu'elle était enfant, a été élevée selon un modèle relationnel un peu particulier : sa mère avait ouvertement un amant. Banal, me direz-vous. Ce qui l'est moins c'est que la femme de celui-ci était l'amante du mari de la première. Les deux couples "croisés" étaient donc très proches et partaient régulièrement en vacances ensemble. Pour l'amie de ma soeur ce modèle de partage était sa référence et manifestement cela ne lui avait posé aucun problème. Jusqu'à ce qu'elle-même se mette en couple avec un homme exclusif. Elle a alors a vite compris qu'il ne lui permettrait pas de reproduire le modèle parental, ce qu'elle a d'abord accepté. Cela a duré une vingtaine d'années sous cette forme. Sauf qu'à la longue, n'avoir qu'un seul partenaire, toujours le même, lui a semblé un peu ennuyeux. Certes elle aimait cet homme, mais elle avait envie de davantage de diversité. Si bien qu'elle a fini par demander la séparation. Pas pour un autre homme, mais simplement parce qu'elle avait besoin de se sentir libre de ses rencontres.
Cette histoire m'a plu. Non seulement parce que je la comprends fort bien, mais aussi parce qu'elle contredit un certain nombre de clichés et que ça m'est toujours agréable.
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