Question de temps
En ce moment toute la journée je cours, tentant de rattraper le temps qui fuit devant moi. À peine ai-je entamé un travail que des sollicitations disparates m'assaille. Demandes de clients, de collaborateurs, de salariés, grignotent mon temps et me soustraient aux tâches que j'ai à effectuer. Mon emploi du temps est perforé, fractionné, émietté. Et tant de réunions attentent à mon temps ! Elles s'étendent et dévorent, c'est patent, des pans entiers du temps qui ne m'attend pas. Sautant à chaque fois d'une thématiques à une autre, ces coupures m'obligent à une gymnastique mentale éreintante. J'ouvre un dossier, un autre s'intercale, suivi d'un troisième. Mon bureau est un capharnaüm où s'entassent des papiers tous plus urgents les uns que les autres, se sédimentant peu à peu jusqu'à l'oubli.
Coordinateur, à la fois chef de gare et responsable d'une tour de contrôle, je suis répartiteur des tâches et grand organisateur... En bref, c'est à moi qu'il incombe de faire fonctionner l'activité et mettre en relation tous les protagonistes. J'y passe tout mon temps.
Cette course permanente après le temps s'achève avant que j'ai pu terminer ce que j'avais prévu de faire dans la journée. Alors l'urgence attend. Il arrive que je n'ai pas une minute de répit, et le temps supplémentaire que j'offre à mon employeur pour la bonne cause ne suffit pas. Et s'il m'arrive de regarder l'horloge dans la journée c'est pour constater qu'elle tourne décidément bien trop vite ! Je ne connais pas l'attente patiente de la fin du boulot.
Dès que j'ai fermé la porte du bureau je me coupe du travail. Une demi-heure de trajet et je retrouve ma campagne [avec un a, pas un o]. Là je renoue avec le temps de vivre en me laissant aller sans vergogne à la lenteur. Je m'octroie d'abord le plaisir d'un jus de fruit, devant le paysage familier. Puis je viens lire si ma boitàmèl ne recélerait pas quelques message à savourer et si mes blogs favoris n'auraient pas eu le bon goût de m'offrir une mise à jour à déguster. Simple mise en bouche, avant d'y consacrer davantage de temps plus tard dans la soirée. Car la nature m'appelle...
Selon l'énergie que m'aura laissé la journée, selon la couleur du ciel, le chant des oiseaux et le silence ambiant, je choisis entre la contemplation et de menus travaux. Avec une nette préférence pour le premier choix. Je déambule alors parmi mes arbres, dans les méandres du sous-bois, ou m'aventure plus loin vers les prairies ouvertes sur le grand paysage. Je connais chaque recoin, mais ce n'est jamais pareil. Mes déplacements sont erratiques, à l'envie, et les haltes contemplatives nombreuses. Je ne pense pas vraiment : j'observe. Je hume. Je vibre. Je ressens. Ou bien je songe mollement aux travaux à faire, un jour, quand la lenteur le permettra.
Lorsque le soleil se rapproche de la colline je rejoins tranquillement la maison silencieuse. Je me prépare un repas simple en écoutant France-culture, à l'heure où sévissent les tourments véhiculés par l'info télévisuelle. Puis je reviens errer du côté du net, en espérant y trouver de quoi abreuver ma soif d'échanges, de partage, d'intérêt, d'émotions. Faute de quoi j'erre un peu, non sans ressentir une certaine frustration. Car cette source a souvent inspiré ma réflexion.
Depuis quelques temps ma soif demeure...
Texte écrit en résonnance avec un commentaire d'Errance
Berger contemplatif - Vercors