Je suis athée.

C'est à dire que je ne crois pas qu'il y ait un dessein particulier dans l'existence de l'univers, ni qu'il y ait un créateur. Dès lors, il va de soi qu'à mes yeux aucune entité, quel que soit le nom qu'on pourrait lui donner, n'est là pour influencer nos vies animales et humaines.

Pourtant je suis né de parents catholiques pratiquants, ai été baptisé, ai suivi le catéchisme, ai "professé ma foi" en procession dans la blancheur immaculée d'une aube, puis confirmé mon baptême par onction des mains d'un évèque après trois jours d'une "retraite" censée éclairer ma réflexion [à douze ans...]. Tous les dimanches de mon enfance et de mon adolescence je suis allé à la messe [en ayant hâte qu'elle se termine]. J'ai été "enfant de choeur" et j'ai même pratiqué un scoutisme fortement teinté de religion. J'ai cotoyé, impressionné, des êtres rayonnant pétris de foi. Poursuivant une ligne toute tracée je me suis marié solennellement "devant Dieu" [mais surtout devant ceux qui étaient présents] après une préparation religieuse. J'ai connu la ferveur qui peut régner dans une église ou un monastère, dans la communion des esprits, dans l'unisson des prières et des chants. J'ai été ému, bouleversé, en entrant dans des cathédrales et il me semble même que, de temps en temps en temps, fugitivement, j'ai réellement cru en l'existence de Dieu devant certaines beautés de la nature [je confondais sans doute émotion et dévotion...] 

Mais d'aussi loin que je me souvienne je n'ai jamais vraiment cru en l'existence du dieu que l'on m'a enseigné. J'ai voulu y croire. Je m'y suis efforcé. J'ai fait comme si j'y croyais. J'espérais sans doute être un jour touché par je ne sais quelle révélation, un peu comme le décrivait André Frossard, ex-athée notoire, dans son livre "Dieu existe, je l'ai rencontré". Non, j'avais beau réciter « Je crois en Dieu, créateur du ciel et de la terre... », je n'y croyais pas.

Il m'a fallu des années pour me déconditionner de cette sujétion perfide en laissant mon sens critique oser s'affirmer face aux préceptes et dogmes dont j'avais été nourri. A peine m'étais-je émancipé de l'environnement familial que je désertais la messe dominicale, perçue depuis trop longtemps comme une perte de temps et une récitation stupide de textes empêchant la pensée de s'ouvrir. Ce que j'y aimais c'était la communion des esprits et le message d'amour qui était délivré, mais le folklore et l'irrationnelle dévotion ne m'amusaient plus. J'ai cependant continué à aller à certaines messes cérémonielles, pour des mariages, des baptêmes, des enterrements. Je continuais alors, machinalement, à rabâcher les textes appris par coeur. Et puis peu à peu j'ai cessé, gardant obstinément les lèvres closes [tout en ne pouvant m'empêcher de réciter mentalement, ce qui m'agace encore]. Je me suis accroché encore un certain temps au "Notre père", seule prière que j'aimais à dire en communion, et surtout à chanter sur l'émouvante polyphonie de Rimsky-Korsakov. Mais voilà au moins vingt ans que je ne le déclame plus, les rares fois où, uniquement pour ces cérémonies, je me rends dans une église.

Le premier accroc sérieux, qui m'a fait me déclarer non-catholique, concernait le refus d'ordination des femmes par l'église. Cette discrimination me révoltait. Je ne pouvais plus cautionner une église qui interdisait aux femmes des fonctions qu'elle réservait aux hommes. J'avais alors une trentaine d'années. Encore intéressé par la religion, j'étais abonné à l'hebdomadaire "La vie Catholique". J'y retrouvais certains valeurs, un esprit, quoique assez agacé par ce coté "catho", justement.

Dans les années 90 un jeune couple de Témoins de Jéhovah est un jour arrivé chez nous. Avec leurs questions sur la religion ils m'ont intéressé et nous avons discuté longuement. Avec notre accord ils sont revenus plusieurs fois et les réponses qu'ils apportaient, si elles ne me convainquaient absolument pas, m'aidaient par contre à faire le ménage dans mes idées. C'est grâce à eux que j'ai le plus avancé dans la déconstruction de tout ce qu'avait été mon éducation religieuse. Cela tenait surtout à la personnalité du jeune couple, qui savait laisser une certaine place au dialogue. Par contre il n'a suffi que d'une seule visite d'un de leurs aînés, plus aguerri, pour couper court à une fausse discussion, vrai martèlement d'idées simplistes et délirantes. C'était simple : il avait réponse à tout ! Selon lui, "Dieu", à travers la bible, expliquait tout. La participation à une de leurs "messe", infiniment plus dogmatique et calibrée que les messes catholiques, fut édifiante et mit définitivement un terme à nos rencontres.

Des années s'écoulèrent, reléguant toujours plus loin dans mon esprit les préceptes religieux et la question de l'existence de dieu. Je me suis longtemps défini comme agnostique et ça m'allait bien comme ça. Cela ne m'empêchait pas d'être ému en entrant dans certaines églises. Ému par la foi de leurs bâtisseurs plutôt que par l'objet de leur foi...

Jusqu'à ce qu'une "expérience mystique" [dénomination approximative, faute de mieux] ne ravive un certain questionnement, il y a une dizaine d'années. Aujourd'hui encore elle me laisse perplexe. Que s'est il passé en moi ce jour-là ? Par quoi ai-je été "habité", une heure durant, dans des dimensions que je n'aurais jamais imaginé ? C'est comme si j'avais soudainement été éclairé, ouvert à une immense lucidité. Une beauté absolue. J'ose ce mot : la grâce. À ce moment là je comprenais tout du sens de la vie et de l'humanité. Bouleversé d'émotion, je voyais tout. J'étais pénétré par l'essentiel de la vie et cela avait un nom : amour universel.

Je me suis bien sûr demandé : est-ce ça, "dieu" ? Je n'ai pas eu de réponse mais cet "amour universel" pourrait bien en tenir lieu. Et si « dieu est amour », alors je pouvais supprimer le premier terme pour ne garder que le second. Et là, oui, je peux croire en l'amour. D'ailleurs j'y crois déjà. Parce que l'amour est humain, l'amour dépend de nous, de nos actes. Parce que l'amour demande une énergie, une foi et que nous en sommes responsables. Il n'y a rien d'extérieur, tout est en nous-même.

Alors bien sûr on peut dire que cet amour est d'essence divine. Ouais... mais alors rien à voir avec l'idée de création de l'univers, sauf à mettre l'homme au centre : tout ça aurait été créé juste pour qu'apparaisse l'amour humain ? Ce serait un peu présomptueux... En outre, mettre l'homme au centre, comme aboutissement ultime de l'oeuvre divine, c'est aussi lui donner une place à part, prééminente, qui l'autorise à se mettre au premier plan. Et à asservir tout ce qui n'est pas humain : les autres formes de vie et la nature en général. Pas étonnant que l'homme ait inventé dieu : ça lui autorise tout.

Si j'entends bien que "dieu" existe je considère que c'est uniquement en tant que concept : le(s) dieu(x) des hommes. Ceux-là existent bel et bien, puisqu'ils sont dans leurs consciences et leur imaginaire. Et au nom de ces représentations mentales, prolongations protéiformes des peurs et désirs humains, chacun peut s'inventer une conduite à suivre. Belliqueuse ou pacifique, l'idée de dieu n'existe que dans les esprits, des plus nobles aux plus corrompus. Autant de dieux que d'humains qui y croient. Et donc pas de dieu sans hommes.

Ne pas croire en dieu [ou croire qu'il n'y a pas dieu...] c'est accepter toute ma part de responsabilité dans ce qui m'advient et dans ma contribution au monde. Ne pas croire en dieu c'est accepter ma solitude absolue et la finitude de ma vie; et de toute vie. Ne pas croire en dieu c'est me mettre face au sens que j'ai envie de donner à ma vie en particulier; et à la vie en général. Ne pas croire en dieu c'est accepter que certains évènements aléatoires n'ont aucun sens. Ne pas croire en dieu c'est accepter l'existence du hasard, de l'imprévisible, de l'immaîtrisable. Ne pas croire en dieu c'est avoir l'humilité de reconnaître ma condition d'homme ignorant. Ne pas croire en dieu c'est accepter que certaines questions n'aient aucune réponse atteignable. Ne pas croire en dieu c'est me voir à ma juste place dans cet univers : une minuscule étincelle dans l'immensité inimaginable de l'espace et du temps.

 

Billet écrit suite à :
- une conversation avec mes parents autour de l'engagement au mariage "devant Dieu" et, plus généralement, de l'existence de dieu et de la vie après la mort.
- une discussion avec une collègue "Témoin de Jéhovah" qui m'a proposé, avec un enthousiasme exalté que je ne lui connaissais pas, de trouver dans la bible réponse « aux grandes questions de la vie ».
- une phrase énigmatique d'AlainX : « Ne leur fallait-il pas, dès lors, se mettre à croire en Dieu »