Où va le monde ?
Cette semaine j'ai participé à une formation qui a débuté ainsi : vous faites un métier de schizophrènes. La schizophrénie en question consiste à allier approche humaine et système économique. D'un côté, au coeur du métier, il s'agit d'accompagner des personnes en grande difficulté d'emploi. C'est notre objectif premier, notre raison d'exister... et ce pour quoi l'état nous alloue un financement. D'un autre côté nous sommes soumis à une logique économique qui exige que nous financions toute la part non prise en charge par l'état. Nous devons donc aussi être rentables. Humains et productifs.
Tout système économique est basé sur cette double approche : il faut tenir compte à la fois des besoins de l'humain et des besoins de l'économie. Partiellement contradictoires, ces besoins peuvent tout aussi bien se stimuler l'un et l'autre que s'anéantir. Tout se joue dans un subtil équilibre, optimum idéalement décidé avec intelligence, donc écoute réciproque et concertation. Mais des enjeux de pouvoir peuvent vite éroder l'une ou l'autre des composantes et conduire à un profond déséquilibre, potentiellement destructeur du système.
Chaque jour nous sommes témoins de cet affrontement, dans le monde de l'entreprise comme dans celui du service public.
Samedi dernier, par exemple, une manifestation était organisée dans ma commune pour tenter d'empêcher la fermeture du bureau de poste. La poste, service public privatisé, est en effet soumise à la raréfaction du courrier papier... et à des intérêts privés avides de dégager de substantiels revenus. Dans cette logique, tout ce qui n'est pas hautement "rentable" est peu à peu supprimé... et tant pis si les habitants des zones rurales n'ont plus de bureau de poste à proximité. Tant pis si le personnel de la poste est soumis à des conditions de travail de plus en plus instables. L'humain est sacrifié au profit de l'économie. Dérapage préjudiciable qui, à l'échelle d'un territoire, peut avoir des conséquences à long terme sur son attractivité, donc sa survie. Pour l'anecdote, nous n'étions qu'une trentaine à manifester... alors que plusieurs milliers d'habitants des villages alentour subiront l'impact de cette femeture.
A une autre échelle, un gigantesque projet d'aménagement privé sur 150 hectares de domaine public est en train de susciter une contestation croissante dans ma région. Là encore deux logiques s'opposent : créer des emplois dans un bassin de vie en voie de désertification, ou maintenir un environnement de qualité pour les populations. Élus favorables ou défenseurs de l'environnement, chacun est sûr de son bon droit en tentant de définir une des logiques comme plus importante que l'autre. Dialogue de sourds, évidemment...
Dans ma commune les habitants voudraient moins payer d'impôts... tout en demandant davantage de services. Mais on retrouve cette schizophrénie à l'échelle de l'intercommunalité, du département, de la région, de l'état, de l'Europe. Chaque arbitrage donne lieu à contestation, ne satisfaisant jamais vraiment ni durablement aucune des logiques opposées.
Quant à la planète, notre belle « maison en feu » que chacun (?) aimerait voir préservée intacte, elle est inexorablement grignotée par nos appétits insatiables. Schizophrénie là encore, qui veut que nos désirs de croissance et de prospérité soient garantis alors qu'on sait que cela ne peut être qu'au prix exorbitant de la destruction de notre habitat.
Je me demande où va le monde...
Nature en montagne... et voile de pollution dans la vallée