Un silence qui fait parler
Ceux qui ne viennent lire ce blog que lorsque je publie un nouveau texte n'auront rien su de l'échange soutenu qui a lieu depuis une quinzaine de jours autour d'un billet mythique intitulé "Le sens du silence". Ce texte, publié il y a un peu plus de neuf ans [!!], a été régulièrement ravivé par des commentateurs de passage aiguillés par Google ou consorts. À partir de mots-clés centrés sur le mutisme d'une personne aimée, la requête amène continuellement des visiteurs. J'espère que mon texte leur apporte quelques réponses.
Il y a deux semaines on pouvait dénombrer un peu plus de 400 commentaires depuis le billet initial. C'était déjà considérable. Depuis, suite à une soudaine reprise d'activité, le cap des 600 commentaires a été dépassé ! À l'instant ou je publie nous en sommes à 682. Hallucinant, non ? En fait de "commentaires" il s'agit plutôt d'échanges assimilables à une conversation de type "forum", voire à un groupe de parole... Chaque intervenant y développe longuement son point de vue, soit en exprimant une incompréhension et la douleur qui l'accompagne, soit en tentant de comprendre le sens d'un silence inexpliqué, soit en témoignant des impasses auxquelles cette quête de sens peut conduire tout en proposant d'éventuelles pistes d'apaisement. Assurément le silence suscite la parole. Tout ce qui s'est échangé n'est pas d'égal intérêt mais, globalement, il se délivre là un beau partage de questionnements, d'expériences et de ressentis.
Je n'imaginais absolument pas, lorsque je l'ai rédigé, que mon texte toucherait aussi fort autant de personnes. Constatant cet intérêt manifeste, il y a quelques mois, l'idée d'en faire une synthèse m'est venue mais sans savoir sous quelle forme. Ce n'est qu'après le sursaut de la semaine dernière que j'ai voulu, par curiosité, me rendre compte de ce que cette somme d'échanges représentait. Mise sous format texte : 300 pages jusqu'à fin 2014. Bigre, l'épaisseur d'un livre ! Alors, faute d'idée géniale sur l'utilisation de cette matière brute, j'ai observé un peu plus en détail ce fil phénoménal.
Avant le rebond de ces derniers jours 45 personnes avaient apporté leur contribution. Au vu du nombre de commentaires c'est peu, quand on sait que nombre de personnes ne sont intervenues qu'une seule fois pour exprimer leur satisfaction d'avoir pu lire le texte et les échanges qui avaient suivi. Mais c'est sans compter les épisodes de partage assez denses, comme en novembre 2011 où pas moins de 137 commentaires (sans compter les miens) se sont échangés en quelques jours entre une dizaine de personnes. En 2014, nouvelle salve avec une soixantaine de commentaires croisés entre 7 personnes. Certaines d'entre elles, concernées par le sujet, interviennent depuis des années à chaque reprise d'un dialogue. Quant à moi, bien que je sois le plus grand contributeur, je reste souvent un peu en retrait et mes interventions ne représentent qu'un quart du total.
Mais ces chiffres, déjà conséquents, ont été atomisés par ce qui se produit en ce moment : plus de 250 échanges supplémentaires en une quinzaine de jours ! Avec toujours de quoi apprendre quant au rapport que chacun entretien face à... l'attachement (qu'on appelle communément "amour"). Car au delà du silence, qui en est la partie perceptible, c'est bien l'attachement qui est touché dans ce qu'il a de plus profond, de plus sensible, et je dirais presque de plus viscéral, primal, archaïque. En effet le silence durable de l'un renvoie l'autre à sa solitude.
N'ayant plus l'avidité de comprendre le sens d'un silence, comme à l'époque où j'ai écrit mon texte, je participe relativement peu à la discussion. Pour moi la cause est entendue : en matière de relations le silence exprime le repli. Certes il ne l'exprime pas en mots, puisqu'il s'y soustrait, mais d'une certaine façon il est très clair : « je ne te parle plus ». Peu importe que ce soit par volonté ou par incapacité, le résultat est le même : l'autre ne répond plus. La seule chose à comprendre c'est cela : « tu n'es plus la personne avec qui je peux/veux/sais communiquer ». Ce peut être violent à admettre et la tentation de "comprendre" sera inévitablement présente. Pourtant il sera vain de chercher à savoir si cela vient de comportements inappropriés de soi, de l'autre ou d'un dysfonctionnement de la relation : par essence le silence n'apportera aucune réponse directe. La frustration en sera grande et déclenchera probablement des émotions fortes et durables, laissant peut-être de profondes séquelles. Par contre, une fois que la douleur du rejet et son cortège émotionnel sont passés, le silence de l'aimé(e) offre l'opportunité de s'interroger sur le rapport que l'on entretenait avec cet autre qui nous importait : en quoi son silence me fait-il souffrir ? Qu'est-ce qui est touché en moi quand l'autre (me) fuit ? À quoi cet "abandon" me renvoie t-il ? Autant de questions qui renvoient à l'attachement, et même à ses origines. Les questions se succéderont, s'ouvrant en cascade dès qu'une hypothèse de réponse semblera apporter la paix que l'esprit recherche. Elles ne s'épuiseront qu'au fil du temps, ouvrant peu à peu un espace de sérénité intérieure. Jusqu'au jour où l'on finira par comprendre qu'il n'y a peut-être rien à comprendre. Seulement accepter qu'il est advenu ce qui, dans un contexte donné, entre deux personnes en quête d'elles-même, ne pouvait qu'advenir. L'alchimie d'une rencontre ne s'explique pas totalement, celle de la rupture pas davantage.
C'est sur ce chemin d'acceptation que les hasards de la vie m'ont conduit. Et aujourd'hui je peux dire que le silence m'a ouvert un nouvel espace de conscience...