Le pari de la confiance
Sur un blog discret j'ai récemment lu ceci : un humain est confiant quand il se sent aimé…
Une phrase toute simple, qui m'a immédiatement saisi. Je l'ai trouvée étonnamment juste. Limpide. Elle correspond exactement à une association de termes dont je cherche à mettre en évidence le lien depuis fort longtemps : amour et confiance. L'amour auquel je pense ici est à prendre au sens le plus basiquement humain : reconnaissance, écoute, considération, respect. Éventuellement appréciation, estime, et davantage encore, mais en évitant de s'égarer du côté de l'exacerbation amoureuse qui, par ses attentes, tend vraiment à être d'une autre nature.
Quoi qu'il en soit l'élément prépondérant, ici, n'est pas l'amour mais la perception de celui-ci : "se sentir aimé". L'idée qui m'a plu c'est que la confiance découlerait de cette sensation.
J'ai pas mal disserté sur la confiance, autrefois (là, là ou encore là). L'érigeant sous la forme d'un principe plutôt exigeant, je considérais que celle que l'on accorde à l'autre était un préalable pour aller plus loin dans la relation. Or la phrase mise en exergue en début de texte inverse le postulat et situe la confiance à sa juste place : une conséquence. Si je ressens une attention respectueuse, alors je me sentirai en confiance. J'insiste sur cette notion de ressenti parce que, j'en prends conscience, c'est à partir de là que se déclenche toute une dynamique. Fondalement peu importe de quelle façon je suis reconnu et écouté, et même si je suis réellement : ce qui compte c'est que je ressente que je le suis. Que j'y croie. En ce sens le rôle des premiers regards (parents, éducateurs, enseignants...) est capital.
Inévitablement me reviennent à l'esprit les souvenirs d'une enfance marquée précocement par l'instabilité de cette perception. En quelques instants tout pouvait basculer, de façon imprévisible et irrationnelle. Démesurée. Violente. La versatilité paternelle a probablement induit en moi une insécurité affective, une crainte permanente du désamour, du désintérêt, de la disgrâce, et de la douleur profonde qui accompagne ces invisibles déchirures. Les blessures, par effet de répétition, sont hélas devenues traumatismes...
Je suis convaincu que l'enfance joue un rôle prépondérant dans le socle de la confiance en soi. S'il fait défaut, je me demande encore comment le constituer solidement ultérieurement. Pour se croire aimable il y a donc non seulement nécessité première de se sentir aimé, mais aussi que ce soit avec une certaine constance. Question de fiabilité.
Je pense que le début de mon parcours de vie a fait que j'en suis venu à accorder une importance majeure - et sans doute excessive - à la notion de confiance. Me sentir en confiance, c'est à dire écouté et digne d'intérêt, est une condition indispensable pour que, en présence d'autrui, j'ose simplement être (être soi) et me déployer librement, sans retenue, sans contrôle. De ce fait, rares - et particulièrement précieuses - sont les personnes avec qui je me laisse aller spontanément. Ma prudence vient probablement d'une hypersensibilité à tout signe pouvant me faire ressentir - à tort ou à raison - que je ne suis pas, ou plus, aimé (apprécié, estimé). Une telle insécurité ne favorise évidemment pas l'épanouissement personnel, ni relationnel. Alors, bien qu'un attrait pour la rencontre m'anime fortement, il ne fait pas toujours le poids face à celui que j'ai aussi pour la solitude... qui n'est qu'un moyen d'exister librement. Seul, certes, mais libre. Et inversement...
Mais en rester aux hypothèses explicatives ne présenterait que peu d'intérêt. Ce qui importe c'est de savoir ce que je fais de cet héritage. Mon rapport exigeant à la confiance se colore donc peu à peu d'une nouvelle dimension : la prise de conscience de ma part de responsabilité dans le changement souhaité. Déjà j'ai laissé tomber l'idée de durabilité : la confiance se vit au présent et n'engage à rien. Ça, c'est fait. Maintenant j'en viens à admettre qu'en présence de l'autre, tant que je manquerai de confiance en moi il me sera difficile d'avoir confiance dans l'attention (amour) que l'on peut avoir à mon égard. Le doute pourra ressurgir inopinément. Tout se passe comme si le manque initial jouait un rôle d'anti-adhésif, empêchant l'accroche stable de l'amour pourtant ressenti : au moindre mouvement, tout glisse.
C'est embêtant. C'est même fâcheux et potentiellement désastreux. Alors, puisque je ne peux pas changer le passé qui m'a conditionné, il me revient de faire le pari de la confiance. Il n'est pas sans risques puisqu'il peut m'exposer à de cruelles déconvenues et raviver les traumatismes anciens, mais je ne veux plus m'en protéger continuellement. J'ai envie de me fier à mon intuition première dès lors qu'elle m'indique qu'une personne est fiable. Tenir quels que soient les aléas, les éventuels malentendus, désaccords et mouvements d'humeur. Autrement dit : garder obstinément confiance en moi.
C'est possible, ça ?