En tout bien tout honneur
Mon précedent billet a suscité des réactions contrastées, allant du rire au malaise. J'aurais préféré n'avoir que les premières mais il m'a fallu tenir compte des secondes, auxquelles je ne m'attendais pas. Difficile de prévoir la diversité des réactions qu'un texte peut susciter : le vécu, les représentations, l'imaginaire... tant d'éléments peuvent jouer et orienter dans d'autres directions interprétatives que celles qui ont été envisagées. C'est tout l'intérêt de ces échanges de point de vue, d'ailleurs, et c'est ce que j'aime dans l'écriture en partage.
Mais il y a des sujets plus sensible que d'autres, dont j'ai constaté qu'ils pouvaient heurter et desquels j'ai appris à me tenir à l'écart. Parce que je n'aime pas déranger outre mesure, d'une part, mais aussi parce que je n'ai pas envie de me sentir mal à l'aise d'avoir écrit quelque chose qui indisposerait une part de mon lectorat. Il y a peut-être là une crainte sous-jacente de décevoir et voir des lecteurs déserter les lieux, allez savoir...
Mais la vraie raison, honnêtement, c'est que je peux être assez fortement affecté par certaines remarques, selon de qui elles viennent.
J'évite donc des sujets, pourtant fort à mon goût, dont j'ai remarqué les potentialités dérangeantes : ceux qui remettent en question un certain ordonnancement des choses en matière de relations affectives. Quand amour, amitié, sexualité, liberté, exclusivité, sont dissociés pour se conjuguer selon des voies inhabituelles, ça perturbe une partie du lectorat, qui se manifeste. Et particulièrement si cela bouscule en même temps une certaine représentation des rapports homme-femme...
Qu'il y ait des réactions est tout à fait logique, sain, et même attendu. Mais je ne me sens pas toujours suffisamment solide pour rester imperturbable face aux éventuelles désapprobations de personnes qui, habituellement, m'apprécient [et réciproquement]. Il y a incontestablement une part d'affectif qui entre en jeu. Le bon côté de ces situations de désaccord c'est que cela peut offrir d'intéressants échanges de point de vue, et des occasions de mieux se comprendre. Et puis j'ai aussi des soutiens qui, sentant que je vacille, savent m'encourager à continuer dans une expression sincères. Je les en remercie.
Ce préambule étant posé, je me sens prêt à poursuivre un peu dans la veine sensible pour en venir à ma réflexion du jour :
La cocasse mésaventure que je me suis plû a narrer dans le billet susmentionné m'a valu d'être perçu comme un peu naïf en n'imaginant pas qu'une femme m'invitant à passer un week-end ensemble puisse avoir quelques idées derrière la tête. Ainsi, si j'avais voulu éviter les malentendus, j'aurais pu préciser que j'acceptais l'invitation "en tout bien tout honneur". Ou, plus simplement, "en toute amitié". Effectivement cela aurait posé un cadre clair, sans risques de débordements intempestifs.
Avec un peu de recul je réalise combien cette formulation ne correspond pas à ma philosophie personnelle, ni à mon expérience. Je ne l'ai entendue dire qu'une seule fois au cours de mon existence, de la part d'une femme qui entendait me rassurer sur la suite "amicale" de la relation qu'elle me proposait après avoir usé de toute la persuasion dont elle était capable pour obtenir davantage.
Excepté cette unique fois, pas une seule des diverses rencontres féminines avec qui j'ai eu la chance de vivre l'expérience de la découverte n'a été préalablement balisée. Totale liberté ! Ça m'allait bien, dans le genre "on verra bien ce qui se passe". Et ce, même s'il y avait une ou plusieurs nuits au milieu ! Mais il me semble qu'il y a toujours eu accord tacite : soit il était évident que le registre était strictement amical, soit l'éventail des possibles restait ouvert. Je crois qu'il y avait une confiance réciproque quant au respect des désirs et limites de chacun. Les éventuels rapprochements physiques se sont faits au ressenti de l'instant, non sans une part d'hésitations et de doutes. Mais l'incertitude a ses charmes...
Placer d'emblée une rencontre dans un registre cadré clarifie les postures, certes, mais oriente et fige un peu les choses. Je me demande même si ça ne pourrait pas être un peu dommageable puisque toute potentialité d'évolution est a priori exclue. Si dans un premier temps cela "protège", que faire si l'envie d'élargir le cadre prédéfini apparait ? L'incertitude et l'ambigüité qui avaient voulu être évitées reviennent alors sur le devant de la scène, complexifiées par la présence du cadre prédéfini. Vous me direz qu'il vaut mieux avoir à ouvrir ce qui était fermé que restreindre ce qui était trop ouvert et vous aurez raison.
Cela dit je conçois parfaitement qu'il puisse être préférable d'éviter les ambigüités puisque certaines situations peuvent être perçues comme des invitations implicites à aller plus loin, comme l'ont rappelé certains commentaires. La proposition de week-end pourrait bien en faire partie. Et s'il faut in-extremis poser une limite ce peut être assez embarrassant, mal compris, générer un malaise de part et d'autre. C'est ce dont j'ai pris conscience après y avoir été confronté.
J'ai l'impression qu'autour de la question des limites gravitent quelques idées annexes : représentations des rôles ou comportements sexués, peut-être, mais surtout rapport à la confiance qui en découle [ou à la prudence, selon l'angle choisi...]. Il y a quelques années une inconnue pour qui je l'étais aussi s'est audacieusement amusée à me prendre au mot tandis que j'écrivais ici mes désirs de rencontre. Quelques mails plus tard elle était chez moi, manifestement confiante [en elle et en moi] et j'en fus vraiment touché. Parce qu'elle ne m'avais pas considéré comme auteur potentiel de je ne sais quelle insistance déplacée [et j'avais fait de même à son égard]. Non, elle avait simplement eu envie de me rencontrer, sans mettre de limites à l'avance, et s'était fiée à mes seuls mots. Et sans doute à sa capacité à dire non, si nécessaire. Un bel exemple de liberté ! La seule précaution qu'elle avait prise, à la demande d'une de ses amies, avait été de communiquer mes coordonnées à ladite amies, si jamais ma visiteuse ne donnait plus de nouvelles...
La question du bien et de l'honneur ne fût pas plus évoquée avec elle qu'elle ne le fut avec d'autres. Confiance réciproque, a priori. Et si quelquefois, dans un évident prolongement de l'intimité des mots et des moments partagés, les corps se sont attirés, personne ne s'est immiscé dans un lit sans s'y être senti invité. Sans ambigüité.