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Alter et ego (Carnet)
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16 juillet 2015

Amitié(s)

L'amitié est un sujet qui ouvre à bien des réflexions et les Journées de l'Autobiographie, dont c'était le thème cette année, n'y ont pas échappé. Pour moi le calendrier était parfait puisque depuis quelques temps, après une période d'ascèse, j'ai vu se raviver mes pensées autour du relationnel proche. En particulier lorsqu'il s'ancre fortement dans la confiance réciproque. 

Aussi, dans un premier temps, c'est un compte-rendu plutôt personnel que je vais faire de ces journées. Un second, plus généraliste, suivra peut-être [si j'en ai le courage...].

* * *

Déjà, l'intervention que j'avais préparée les jours précédents m'avait mis en conditions. La rencontre des participants et l'attention portée aux différents temps forts accentuèrent donc l'effet d'immersion. En se combinant avec les discussions informelles, c'est tout un mouvement d'idées en suspens qui s'est réactivé.

Temps fort : une table ronde sur "L'amitié d'hier et d'aujourd'hui". Il y fut surtout question de l'amitié d'hier, entre 16eme et 18eme siècle. Avec une très intéressante déconstruction, par l'historien invité, du fameux « Parce que c'était lui, parce que c'était moi », écrit par Montaigne à propos de La Boétie. On y apprit que cette amitié-référence était une construction tardive, plus d'un siècle après avoir été énoncée [j'y reviendrai dans le second billet].

Les autres interventions ne me passionnèrent pas et il fallut malheureusement attendre les questions de l'auditoire pour évoquer l'amitié contemporaine. Notamment celle qui peut exister entre hommes et femmes, au mieux sujette à interrogations, au pire vouée à l'anathème. Quant à l'amitié amoureuse, elle ne sera qu'à peine effleurée, faute de temps. Dommage !

Frustré par ce trop bref survol je fis en sorte d'en parler quand même un peu avec l'historien qui, incidemment, avait déclaré s'être sérieusement penché sur le sujet. Selon lui le champ de l'amitié amoureuse reste encore inexploré par les sociologues et c'est sur les blogs qu'il en a perçu la montée en puissance. Et oui, sur les blogs ! Le phénomène serait donc encore largement "invisible" quoique en pleine évolution, laquelle serait favorisée par la culture de la mixité. Il reste toutefois à préciser le terme, alors qu'il est un composé de deux notions déjà fort délicates à circonscrire...

La "carte blanche" sur les amitiés en ligne(s) que je m'étais proposé d'animer fût pour moi un temps fort... parce que j'ai beau connaître mon sujet, ça ne m'est jamais très facile de prendre la parole et m'exposer devant un auditoire. Après une brève présentation de mon parcours de diariste en ligne, puis de blogueur, épistolier en dilettante, je lus à voix haute et commentai quelques extraits de correspondances puisées dans mes archives. Je les avais voulus représentatifs des différents types "d'amitié" que j'ai pu voir se développer depuis que je laisse traîner mes cogitations sur le net. L'échange qui suivit me porta un peu plus loin que prévu puisque des questions précises me conduisirent, par souci de sincérité, à ne pas occulter les éventuels prolongements sentimentaux qui peuvent parfois [rarement] apparaître au fil des correspondances. Ce n'était pas l'objet de mon intervention mais il était évidemment difficile de faire abstraction de cette réalité, pourtant marginale.

Tandis que j'évoquais ce glissement qui, de l'amitié, pouvait imperceptiblement conduire vers le domaine connexe, une des participantes voulut rappeler l'importance des barrières morales. Elle me permit ainsi de donner mon point de vue sur ces dernières et sur les choix de vie qui, parfois, pouvaient ébranler sérieusement les convictions les plus solides. Je me souviens lui avoir répondu qu'entre suivre une morale directement héritée de l'héritage socio-parental et suivre celle qui consiste à s'ouvrir aux chances qu'offre la vie, chacun pouvait être confronté à des choix complexes et engageants. Mais nous étions déjà loin de l'amitié...

Beaucoup de questions tournèrent autour du paradoxe de l'intimité dévoilée à des inconnus, ainsi que sur les risques de se laisser trop absorber par un excès de réflexion-introspection. On me parla même d'enfermement et de fuite, alors que je mettais plutôt en avant l'ouverture que les correspondances pouvaient offrir. J'ai beau être rôdé à ce genre de réactions, ça me perturbe toujours un peu. Parce qu'effectivement le temps passé dans ces échanges est non négligeable. Mais, là encore, c'est une question de choix individuels et d'équilibre personnel...

Je ne sais pas si j'ai convaincu - ce n'était pas l'objet - mais je crois qu'au moins j'ai fait réfléchir et peut-être montré la porosité de quelques limites. Globalement ma prestation s'est bien déroulée et les échos de plusieurs participants furent positifs. Cela m'a rassuré...

En soirée, une pièce de Nathalie Sarraute filmée par Jacques Doillon, "Pour un oui ou pour un non" mettait en scène l'éclatement d'une amitié ancienne pour une simple intonation de voix. Un presque rien dont le décorticage laissait remonter à la surface une accumulation de non-dits apparemment infimes. Intéressante réflexion sur la fragilité de ce à quoi tient l'amitié. Qui n'en a pas connu de ces disputes qui naissent de broutilles mais qui touchent à quelque chose de très profond dans la confiance accordée à l'autre ?

 

Le lendemain j'ai participé à un atelier d'écriture, non sans quelque appréhension : la thématique "Place de l'amitié dans nos vies" risquait de m'emmener vers des terrains à haute sensibilité... Je voulais éviter d'évoquer ce qui, spontanément, s'imposait à mon esprit. Finalement j'ai opté pour une sorte de rétrospective depuis l'enfance, avec la confiance comme ligne directrice, me permettant de n'évoquer que des éléments bien apprivoisés émotionnellement. Le temps imparti ne pas permis d'arriver à l'épisode le plus critique, ce qui m'a bien arrangé. Par contre, la lecture de mon texte m'a réservé quelques surprises : par deux fois j'ai dû faire face à une forte montée d'émotions, m'obligeant à m'accorder quelques instants de ressaissement.

Le seul autre homme participant à l'atelier fût lui aussi confronté à une brusque montée d'émotions, ce qui nous valut des remerciements d'une femme pour qui cette expression spontanée était inconnue dans son entourage masculin.

 

L'après midi une lecture de textes autobiographiques consacrés à l'amitié devait nous apprendre que cette notion indéfinissable était finalement rarement décrite en détail. On en trouve des traces un peu partout, mais disséminées. Par contre certaines rupture d'amitié apparaissent clairement. Ce sont finalement les correspondances qui semblent être « la forme la plus significative d'expression en mots de l'amitié ». La qualité et la profondeur des échanges permettant alors d'en évaluer la densité.

La dernière intervention fut celle d'un très jeune web-documentariste au parcours étonnant. Fortement intéressé par la parole adolescente il a déjà à son actif plusieurs réalisations. J'ai été bouleversé en entendant les mots pleins de fraîcheur, d'humour et de candeur d'enfants et d'ados. Une parole très éloignée de la représentation que peuvent nous en donner les médias. On peut voir ses travaux sur les sites suivants : Photos de classe, Stains-beau-pays, L'amour à la plage. Le dernier, Mots d'ados, est en cours de réalisation.

 

 

 

 

Commentaires
C
Merci Lukéria, pour ces mots sur l'amitié. Les deux dernières phrases de Camus sont superbes !<br /> <br /> <br /> <br /> En effet il est des "amitiés" qui n'en sont pas, et ce sont celles dont tu parles en début de ton commentaire.<br /> <br /> <br /> <br /> Une petite phrase toute simple, entendue au cours de ces journées : « l'amitié n'impose rien ».
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L
Merci Pierre de nous avoir fait partager un peu ce qu'il s'est passé durant cette journée.<br /> <br /> <br /> <br /> Oui, l'amitié est fragile, comme tous les liens forts le sont. Au pire, parce que l'on est dans les attentes, mais là, on n'est plus dans une amitié vraie... <br /> <br /> <br /> <br /> Il y a aussi des amitiés vampirisantes dont il vaut mieux s'éloigner. <br /> <br /> <br /> <br /> Au mieux, parce qu'elle est exigeante, je veux dire par là que l'on ne peut pas accepter que l'on renie nos valeurs essentielles, je me suis séparée d'ami(e)s pour cette raison. Et je me suis sentie cohérente en le faisant, je ne l'aurais pas été si j'avais poursuivi ces amitiés. <br /> <br /> <br /> <br /> Mais l'amitié nous est si précieuse et indispensable ! Quel bonheur d'avoir un véritable ami. <br /> <br /> <br /> <br /> Et je citerai Camus :<br /> <br /> "Il faut bien s'appuyer sur l'ami , quand il sait et comprend , et qu'il marche lui-même du même pas."<br /> <br /> <br /> <br /> "Ils sont en si petit nombre ceux que nous aimons réellement et sans réserve, qui nous manquent et à qui nous savons manquer parfois, mystérieusement, si bien que les deux sensations, celle en soi et celle qu’on perçoit chez l’autre emportent même élancement et même souci…"<br /> <br /> <br /> <br /> Mais surtout, cette citation de Camus qui correspond parfaitement à ce que je ressens et désire aujourd'hui :<br /> <br /> <br /> <br /> " Plus je vieillis et plus je trouve qu'on ne peut vivre qu'avec les êtres qui vous libèrent, qui vous aiment d'une affection aussi légère à porter que forte à éprouver. La vie d'aujourd'hui est trop dure, trop amère, trop anémiante, pour qu'on subisse encore de nouvelles servitudes, venues de qui on aime. A la fin, on mourrait de chagrin, littéralement. Et il faut que nous vivions, que nous trouvions les mots, l'élan, la réflexion qui fondent une joie, la joie. Mais c'est ainsi que je suis votre ami, j'aime votre bonheur, votre liberté, votre aventure en un mot, et je voudrais être pour vous le compagnon dont on est sûr, toujours."<br /> <br /> <br /> <br /> Extrait d'une lettre d'Albert Camus à René Char "Correspondance - 1946-1959"
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