En terre acadienne
Le voyage tel que je le pratique n'est pas propice à l'écriture. Il est mouvement, sensations, découverte, à l'opposé de l'immobilisme que requiert la mise en mots. Transcrire pensées et réflexions nécessite du temps et le voyage en laisse peu. Le nomadisme demande d'anticiper, de prévoir, puis de se déplacer - et ici les distances sont grandes. Sans oublier le temps accordé à la contemplation méditative.
Le temps du partage ne peut donc venir que plus tard.
Quelques éléments factuels, cependant :
Après un bref passage au Québec j'explore le Nouveau-Brunswick. Seule province officiellement bilingue du Canada, elle est peu connue alors que les racines Acadiennes sont fortement ancrées. La revendication à cette appartenance l'est tout autant : le drapeau bleu-blanc-rouge marqué d'une étoile est sur presque toutes les maisons des secteurs concernés. A Grande-Anse un phare arbore fièrement ces couleurs, de même que nombre de poteaux téléphoniques. J'ai même vu la façade d'une maison entièrement tricolore.
La radio diffuse des programmes de musique country vantant ce beau pays d'Acadie ou le souvenir du "Grand dérangement", épisode douloureux qui a obligé les habitant à migrer en abandonnant tout - comme actuellement cela se produit ailleurs dans le monde - vers des contrées plus accueillantes.
En Acadie on sait contempler le paysage... mais en restant fier de ses origines !
(Environs de Bouctouche, Nouveau-Brunswick)
Côté couleurs d'automne... elles sont en retard cette année. Elles commencent à peine et les paysages, quoique superbes, n'ont pas l'aspect spectaculaire que j'espérais rencontrer. Je ne peux m'empêcher d'imaginer ce que se serait si le rendez-vous avait été optimal. Mais mon voyage ne fait que commencer et les teintes peuvent encore s'enflammer à temps.
Par contre j'ai déjà retrouvé plusieurs fois la solitude qui me fait aimer ces grandes étendues de nature. La saison touristique est à peu près terminée et il n'est pas rare que ma voiture soit la seule au départ des randonnées... et toujours la seule quand je reviens. J'ai ainsi pu jouir de moments de silence total, et d'immensités sauvages à mon seul usage. A tel point que, inspiré par ce contact direct avec les éléments, j'ai eu envie de me débarrasser de tout vétement pouvant y faire obstacle et laisser l'eau, le vent et le soleil me caresser la peau.
Mes sens sont en éveil et je réfléchis peu. Tout au plus ai-je médité quelques fois sur l'impermanence des choses : il y a quelques siècles l'homme blanc est venu défricher ces terres vierges, pour s'y installer. Ces pionniers ont passé des vies entières de labeur, en partant de presque rien, à assurer leur subsistance. Certains ont prospéré, puis des commerçants sont venus, et la société industrielle a exploité tout ce que cette terre offrait en utilisant le bois des forêts et détruisant, pour des siècles, l'écosystème. Des scieries ont prospéré, utilsant des millions d'arbres pour fabriquer le bois d'oeuvre des maisons pour les nombreux immigrants, pour construire les bateaux qui allaient favoriser un commerce florissant entre les continents... et puis finalement le pétrole à tout changé et on a abandonné le bois, les scieries, les terres trop ingrates. Et depuis la nature recolonise ce que des hommes s'étaient approprié, tandis qu'ailleurs d'autres hommes continuent de piller les ressources naturelles. Ici il est facile de voir combien, en quelques siècles, les cycles se sont succédés...
Bon, ce n'est pas à proprement parler un récit de voyage mais c'est ce qui m'est venu ce soir.
Ecrit depuis l'Auberge de jeunesse de Moncton, NB