Terre d'immigration
Après plusieurs jours de beau temps la pluie est arrivée. Forte et persistante, avec de violentes bourrasques. C'était prévu et j'en ai profité pour faire relâche dans une des seules villes de mon parcours. Toutefois, peu désireux de visiter Halifax dans de pareilles conditions, j'ai opté pour son musée de l'immigration. La question étant d'actualité, je crois que j'ai été sensibilisé au sujet.
Halifax a longtemps été une des portes d'entrée des immigrants venus d'Europe, notamment. Jusqu'à ce que les avions supplantent le trafic maritime, près d'un million de personnes sont arrivées à Halifax entre 1928 et 1971. Les bateaux accostaient sur le quai 21, ou étaient installés les services de l'immigration. C'est dans ces locaux même, sur ce quai 21, qui a vu passer tant de personnes de toutes origines, qu'est installé le musée. Aujourd'hui, par coïncidence, il était dominé par un gigantesque paquebot amarré au quai, le Queen Mary 2 (dont j'apprends par Wikipedia qu'il est un des plus gros du monde) destiné non plus à des immigrants, mais à des touristes plus ou moins fortunés.
Le Canada est une terre d'immigration depuis que les premiers colons s'y sont installés, il y a près de 400 ans. Il a toutefois fallu attendre une relative prospérité économique pour que ces immensités d'une nature âpre et sauvage deviennent attrayantes, c'est à dire il y a un ou deux siècles. Dans le même temps les vastes territoires à occuper n'étaient pas inhabités, mais la question des peuples autochtones est longtemps restée secondaire. Quoi qu'il en soit, tous les canadiens sont donc concernés par l'immigration : soit parce qu'eux même ou leurs ancètres ont un jour été des migrants, soit parce que l'immigration a totalement bouleversé le mode de vie des autochtones.
Si aujourd'hui le Canada revendique son multiculturalisme, l'histoire montre qu'il n'en a pas toujours été ainsi. La discrimination a été nette dans le passé : les noirs et les chinois, par exemple, n'étaient pas les bienvenus jusqu'au milieu du vingtième siècle.
Pourtant le Canada s'est construit grâce aux vagues successives d'immigrations, par centaine de milliers chaque année, fluctuant au gré des évènements mondiaux. Il a ainsi accueilli nombre de réfugiés de la faim, comme les irlandais, ou de guerre, comme les européens au cours de la seconde guerre mondiale. Cet accueil n'a pas toujours été du goût de la population, oubliant qu'elle-même était issue d'une immigration antérieure. Les réflexes xénophobes font partie de toute société antérieurement implantée...
Ainsi les chinois, après avoir apporté une importante main d'oeuvre exploitée pour les travaux pénibles et dangereux de construction des grandes infractructures ferroviaires ont ils été considérés comme indésirables une fois les travaux terminés. Et de tout temps des voix se sont élevées contre les immigrants qui allaient destabiliser l'économie et pour lesquels le pays n'avait pas les moyens de venir en aide.
Pourtant le pays à continué à se développer, même s'il n'a pas été épargné par les grandes crises mondiales. L'immigration n'a donc pas été facteur d'apauvrissement collectif, ni de perte d'identité, mais bien de développement et de diversité. Et le Canada continue d'accueillir migrants et réfugiés... tout en contrôlant leurs possibilités d'insertion.
Vu du côté de ceux qui ont choisi l'immigration, le musée présente nombre de témoignages issus de l'expérience personnelle. Choisir de quitter son pays pour en choisir un autre représente un énorme défi et demande courage et persévérance. Pour trouver sa place, il faut une grande détermination et souvent de l'humilité : il faut faire ses preuves, parfois repartir de zéro, accepter de travailler en sous qualification, découvrir une culture dans toutes ses dimensions. Il faut aussi, et ce n'est pas la moindre des choses, croire en ce pays que l'on choisit pour y fonder une nouvelle vie.
Les témoignages d'immigrants récents montraient tous la fierté de ceux qui ont choisi de devenir canadiens. Chacun pour des raisons différentes, mais presque toujours pour y trouver une liberté et une chance d'épanouissement. Le meilleur de l'humanité s'exprimait là et c'en était émouvant.
Pour autant la confrontation des cultures reste un sujet d'actualité pour une partie de la population. Il n'y a qu'à voir l'importance qu'occupe le sujet de l'autorisation donnée, ou pas, de porter le niqab pour la cérémonie de citoyenneté canadienne : doit-on laisser chacun libre d'exprimer son appartenance à une culture ou une religion, ou bien au contraire l'adhésion à la citoyenneté implique t-elle de renoncer à des symboles religieux considérés comme inégalitaires ?
On le voit, les questions qui se posent en France sur des sujets similaires ont cours ici aussi. Mon analyse est succincte, mais j'ai trouvé intéressant d'avoir ce regard excentré.