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Alter et ego (Carnet)
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16 octobre 2015

Ma liberté

Traverser la Mongolie ou la Patagonie à pied c'est un exploit, assurément. Partir seul pendant trois semaines dans un pays occidental, ça n'a vraiment rien d'extraordinaire. Pourtant, avant mon départ, j'avais une légère appréhension : n'était-ce pas un peu ambitieux pour moi ? N'ayant jamais dépassé la quinzaine de jours dans un tel contexte, j'envisageais l'apparition inopportune de je ne sais quel syndrome de l'isolement en terres lointaines. Il n'en fut rien ! Je me suis régalé de bout en bout et pas un instant la solitude ne m'a pesé.

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IMGP4660

Green Cove, Cap Breton Island, Nouvelle-Écosse

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Alors, me direz-vous, pourquoi insister autant sur le fait d'être seul ? Il est avéré depuis plusieurs années que cela me plaît. Je m'y sens bien. Sauf que cette perception réside probablement moins dans l'état de solitude que dans la sensation de liberté qui en découle. D'ailleurs j'aurais fort bien pu vivre dans le partage, avec un plaisir équivalent quoique d'une autre nature, mes exaltations instantanées comme mes pauses contemplatives. Qui sait, même, si elles n'auraient pas été plus fortes en certains lieux chargés d'intensité ? En outre j'aurais eu le plaisir de partager aussi les moments de convivialité que constituent repas et soirées, alors qu'ils peuvent être assez ternes dans la vie du nomade solitaire. Oui mais voilà : ce surcroît de plaisir ne peut exister qu'à la condition que je me sente suffisamment en confiance pour "être moi-même". C'est à dire aussi libre que lorsque je suis seul. 

Personne ne m'en empêche, bien sûr ! Ma liberté d'être ne dépend que de moi. Elle n'est que celle que je veux bien m'accorder. Permanente lorsque je suis en solo, je la restreins dès que j'entre en contact avec autrui et que ma sensibilité pourrait être atteinte. Comme si je ne pouvais me sentir libre qu'en confiance. Là encore c'est moi qui, intuitivement, accorde ou pas ma confiance selon ce que je perçois, constate, ressens des attitudes d'autrui. Bien que sur mes gardes, je pense être spontanément confiant, laissant la porte entr'ouverte pour laisser l'autre m'approcher. Mais il est bien rare que ce soit moi qui le tente...

Mon goût pour la solitude masque donc probablement - sans grande efficacité - une crainte de la rencontre. Vigilant à l'égard de l'autre et de sa part d'inconnu, potentiellement vulnérante, je ne sais pas vraiment de quoi je me protège. Je reste relativement phobique en termes de sociabilité. Un peu étonné, j'en ai eu la confirmation durant mon voyage : finalement je préferais presque mes soirées en solo, sous tente ou dans d'anonymes motels, à celles passées en auberges de jeunesse ! Certes j'y croisais des gens, mais les interactions restaient des plus réduites. Quelques mots échangés, des ébauches de conversation, parfois quelques rires. Rien de vraiment significatif. Un peu parce que les circonstances n'offraient pas d'opportunités, et beaucoup parce que je ne cherchais pas à aller plus loin dans le contact. Il y a dans mes tentatives, ou dans mes réponses à celles des autres, quelque chose de minimaliste qui n'encourage sans doute pas à poursuivre. J'en ressens un vague sentiment d'échec, finalement assez désagréable quand il se répète. Je ne sais pas, ou n'ose pas, m'élancer vers l'inconnu, aux deux sens du terme...

Dans mon rapport à la nature, pourtant, l'inconnu ne m'effraie pas et je vais très volontiers voir ce qu'il y a derrière le visible. Curieux, j'explore et avance sans crainte, avide de découvertes. Je m'y sens à l'aise, trouvant ma place, libre de m'y déployer. En confiance. Je dirais presque "accueilli". Avec les humains il en va tout autrement. J'avance prudemment. Bien qu'aisément accessible, je reste sur la réserve. Présent mais très discret. Observateur attentif plutôt que participant. C'est que j'ai besoin de sentir dans quel environnement je me situe et comment l'autre s'y comporte. Quelle rapport a t-il-elle avec le monde qui l'entoure ? Quelle place laisse t-il-elle aux autres ? De quelle... brutalité est-il-elle capable ?

Oui, brutalité, c'est le mot qui s'impose. Je redoute ce qui pourrait me heurter, me perturber, me blesser. Je pense ici à la violence des propos, à l'agressivité déplacée, à l'exclusion et au rejet, mais aussi au défaitisme, au négativisme et à la plainte. Autant de choses qui, sans même imaginer pouvoir en être la cible, me révoltent ou me minent, sapent mon insouciance et ma tranquillité. Je pense aussi à l'imposition d'idées sans se soucier de celles d'autrui, à l'insensibilité de l'un envers la sensibilité de l'autre. Bref, tout ce qui, dans l'humain, me fait violence.

Peut-être est-ce ma propre part sombre, qu'ainsi je fuis...

Quoi qu'il en soit je crois que c'est pour cette raison que j'ai toujours besoin d'un temps d'observation, plus ou moins long, puis d'apprivoisement. J'ai besoin de sentir de quelle volonté pacifique l'autre est animé. Quelle est sa bienveillance, ou au contraire sa propension à rejeter l'autre en général, donc éventuellement moi si quelque chose venait à lui déplaire. Quelle attention il-elle porte à l'autre quand il est différent ? Quelle est sa sollicitude, sa douceur foncière, son empathie réelle, quelles que puissent être les apparences.

Ma prudence n'est donc guère compatible avec les approches rapides, dans le genre de celles qu'on peut faire en un soir avec des inconnus. En se combinant avec un faible appétit pour le dialogue factuel, il en résulte une incapacité notoire à entrer aisément en contact. Sauf si je trouve ce que, finalement, je recherche : un certain enthousiasme face à la vie, une pétillance dans le regard et une relative profondeur dans l'échange. Là, je peux vite tomber sous le charme souriant d'une conversation impromptue...

Objectivement cela reste rare. Je me suis donc adapté à cette caractéristique de ma personnalité en me mettant légèrement en retrait du monde. Voire en préférant la solitude à une présence trop discrète.

Mais fondamentalement, est-ce vraiment ce que je préfère ?

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IMGP5213

Surargloaf, Cap Breton Island, Nouvelle-Écosse

 

Commentaires
J
"Quelle attention il-elle porte à l'autre quand il est différent ?" <br /> <br /> Quelle est votre différence, Pierre... le paradoxe ? :) D'un côté vous êtes tout pour "plaire" , de l'autre faites tout pour repousser :D Un peu comme "alter" et "ego" ? <br /> <br /> Je vous taquine :) Bon dimanche, Pierre, espérant que vous allez bien.
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M
Je vous lis et vous entends, cher Pierre. Nous partageons cet intense besoin (presque vital) de solitude, il n'exclut pourtant en rien le besoin de rencontrer l'Autre. J'aime à dire que je suis une autiste sociable. Seule et si bien entourée. Je trouve simplement l'équilibre entre ce qui me fait du bien. Pourquoi choisir ? J'embrasse les deux états. Etre seule me fait un bien fou et m'est indispensable pour retourner ensuite auprès des Autres. Dans le vacarme du Monde. Au fil des années et de mon évolution, j'ai appris à être moins entourée et mieux entourée. J'aime et crois profondément en l'être humain mais cela ne signifie pas que je souhaite passer du temps avec tous. Je choisis mon entourage. Précautionneusement. L'étranger quant à lui ne me fait pas peur. Un étranger c'est un ami que je n'ai pas encore rencontré ;-) Je fais confiance à mon intuition quand je vais vers l'inconnu. Etre à l'écoute de son instinct. Il sait ! Et si je sens le danger, je m'éloigne et file à toute allure ! Mais c'est très rare car ma confiance est telle que je n'attire à moi que ce que je suis et ce dont j'ai besoin. De plus, j'ai une grande faculté à m'adapter et à extraire le meilleur et la beauté de toute situation. De par mon ouverture à oser aller vers l'Autre, j'ai appris que dans la plupart des cas, Il est bienveillant. Généreux. Je lui fais d'entrée confiance en restant prudente. Et ça marche ! Dans cette rencontre, j'oublie les attentes ! Je ne souhaite rien, je ne demande rien. J'accueille. Une rencontre ce n'est parfois que quelques regards, quelques minutes de mots échangés, un sourire. Tout comme vous, j'aime la profondeur des mots et des conversations mais je trouve une superbe intensité dans la simplicité du présent qui surprend. Et qui ne demande rien, comme cet inconnu !
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K
oups ! Flaten
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K
Isabelle Fraten... je prends note.
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C
Bonjour,<br /> <br /> J'ai envie de vous proposer une autre piste de réflexion qui m'est venue en vous lisant : et si au fond, tout cela n'était qu'une forme d'empathie trop grande. Je m'explique = au fond, est-ce que vous ne cherchez pas à porter, comme une responsabilité inconsciente, le bien-être de l'autre...du coup, tous vos sens sont tournés vers la personne, au détriment des vôtres, vous oubliant dans vos désirs, parfois. Du coup, ce sentiment de violence, d'agression, est bien là dès que l'autre est lui-même "perturbé". Peut-être pensez-vous qu'il vous appartient de gérer le bien-être de tout le monde autour de vous, sinon, c'est l'échec.<br /> <br /> Voilà aussi, cette envie de solitude qui permet d'être pleinement soi, sans préoccupation d'aucune sorte, aucun "parasite" qui interfère entre vous et vos désirs, plaisirs, envies.....<br /> <br /> <br /> <br /> C'est juste une question et en aucun cas des certitudes : j'ai écrit "vous" puisque vous avez évoqué le sujet mais je ne vous connais pas, j'aurais aussi bien pu parler d'un "Il" ... ou "Elle"... tout être humain pensant.....;)<br /> <br /> <br /> <br /> Dans le genre "malentendu", je viens de finir un très beau livre qui met en avant les difficultés de communication entre les gens = tout ce qui se dit et se comprend autrement entre les uns et les autres.... il s'agit de "Se taire ou pas" d'Isabelle Flaten, édition Le Réalgar. Je vous le conseille = ce sont des "micro-fictions" d'une page ou deux et parfois, juste quelques lignes. A découvrir !<br /> <br /> <br /> <br /> Bonne journée à tous = toujours un plaisir de vous lire, tous ! !
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C
Welcome home, my friend.<br /> <br /> Comme c'est bon te re"voir".<br /> <br /> (❁´◡`❁)*✲゚*
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A
Je vis seule non par choix personnelle mais par décision de la vie qui a emporté mon compagnon.<br /> <br /> Je vis seule par choix depuis, ne recherchant pas d'autre compagnon de vie.<br /> <br /> Je vis seule mais non sans relations car j'aime les contacts et je n'ai aucune crainte à laisser une place à l'inconnu que je rencontre, à l'inconnu qui peut devenir ami, relation de sortie…<br /> <br /> Cela n'évite pas certaines erreurs de rencontres, des demandes trop fortes, trop invasives ou parfois conflictuelles. Mais comme je reste seule maître à bord, je ne me sens absolument pas tenue de tout accepter et je peux poser mon point final.<br /> <br /> Il me semble (!!) qu'il peut y avoir comme une lutte entre le fait d'aimer sa solitude et en même temps de la sentir peser sur nous dans certains moments.<br /> <br /> Mais n'ayant aucune crainte sur un éventuel conflit que pourrait faire peser sur mon moi, une éventuelle relation amicale avec l'autre, je vois bien plus la relation à l'autre comme un plus dans ma vie, un enrichissement personnel qui n'affectera pas la perception de qui je suis en cas d'échec.<br /> <br /> Refusez l'autre, c'est peut-être le craindre et craindre l'échec, une façon de se protéger en refusant de sortir de son moi, de notre rapport à notre égo ?
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K
Je me reconnais pas mal dans ton texte. <br /> <br /> Dans un de tes commentaires, tu dis au sujet des vertus de l'écriture : "il peut y apparaître clairement ce qu'on l'on ignore de soi "<br /> <br /> Depuis environ 8 ans que laisse des com sur différents blogs, j'ai beaucoup appris à me connaître à travers cette forme simple et spontanée d'écriture. On ne peut se connaître qu'en s'exprimant il me semble. Donc, merci de tenir un blog Pierre. <br /> <br /> Je pense parfois à le faire moi aussi, pour exprimer au fur et à mesure les prises de conscience que je fais et profiter du point de vue des autres à leur sujet.<br /> <br /> Une facette de moi que je découvre dernièrement est que j'aime écouter l'autre, pas tout à fait quel qu'il soit, mais presque. Tout se passe au delà des mots. C'est comme s'arrêter totalement de penser pour ressentir l'essence de l'autre, sortir ses antennes pour saisir cela qui ne se dit pas, et j'aime beaucoup lorsque cela se produit.
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L
Eh bien tu vois, je suis comme toi éprise de solitude, parce qu'elle m'est vitale. Mais en même temps, je suis reliée aux autres d'un manière qui m'interroge parfois, car je n'ai pas besoin d'aller vers les autres, ils viennent vers moi. Je ne sais pas si c'est à cause de mon physique, qui restera toujours une peu juvénile, donc que l'on ressent sans danger, ou bien parce que les personnes ressentent que je suis très tournée vers eux, à leur écoute, de manière bienveillante.<br /> <br /> <br /> <br /> J'ai eu des problèmes d'ailleurs avec mon compagnon, qui m'accusait de mobiliser l'attention, mis je ne la mobilise pas, tout cela se fait naturellement. Je crois que les êtres ressentent si l'on est ouvert ou fermé, accueillant ou dans la crainte... ou parfois dans l'indifférence...<br /> <br /> <br /> <br /> Et combien de fois, ai-je fait des rencontres brèves, où des personnes me livraient l'essence de ce qu'ils étaient, je le ressens comme un cadeau de la vie, car j'aime, comme toi, les relations d'être à être. Mais je suis souvent étonnée que cela se passe avec des inconnus, quand j'aimerais aussi le vivre avec des personnes plus proches, ce qui ne se fait pas...<br /> <br /> <br /> <br /> Tes deux photos sont très belles, large champ des possibles.
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M
Bonjour Pierre, <br /> <br /> A certains moments la solitude ne t'a pas pesé, dis-tu et tu ajoutes "cette perception réside probablement moins dans l'état de solitude que dans la sensation de liberté qui en découle".<br /> <br /> On peut tout simplement n'avoir besoin que de solitude et de liberté pour se recentrer. J'ai moi aussi besoin d’être seule, de me mettre en retrait ( à certaines périodes assez longues), pour réfléchir, voir clair, contempler, pour me recentrer, me retrouver, j'ai besoin de ça. <br /> <br /> <br /> <br /> Ta liberté Pierre, c'est peut être celle de t'autoriser à marcher seul, sans culpabilité....<br /> <br /> <br /> <br /> Sans culpabilité, surtout pour profiter pleinement et sans regrets de ces moments là, très importants pour toi, <br /> <br /> Tes écrits Pierre, une lumière qui me permet aussi d'avancer et de comprendre...<br /> <br /> Bon weekend.
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