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Alter et ego (Carnet)
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13 février 2016

Une histoire d'ognons et de nénufars

Lorsque j'ai lu les premiers échos concernant une supposée réforme de l'orthographe lors de la prochaine rentrée scolaire, titres accrocheurs et propos alarmistes m'ont interpellé. Quoi, on devrait désormais écrire nénufar ? Ah ben bravo... Avouez que pour ce mot, repris partout, la simplification d'apparence outrancière saute aux yeux !

Alors j'ai cherché à en savoir un peu plus. Très vite j'ai compris que le motif d'une simplification abusive et du "nivellement par le bas" n'étaient absolument pas la question, pas plus que « la disparition de l'accent circonflexe », comme l'annonçaient moult titres de journaux. Seule une lecture trop rapide pouvait laisser penser cela. Dès le 4 février un article du Monde décodait largement cette soit-disant réforme à venir : elle n'avait rien de nouveau. Datant de 1990, le texte fondateur proposait un certain nombre de simplifications et corrections, toutes argumentées. Le rapporteur, Maurice Druon, expliquait en préambule que « les améliorations seraient fondées sur le souci d’utilité et que les travaux porteraient en premier lieu sur les points qui aujourd’hui posent le plus de problèmes, non seulement aux enfants mais aussi aux adultes, écrivains compris. Ce qui est proposé a pour objectif de mettre fin à des hésitations, à des incohérences impossibles à enseigner de façon méthodique, à des « scories » de la graphie, qui ne servent ni la pensée, ni l’imagination, ni la langue, ni les utilisateurs. » On était loin de l'idée d'un affaiblissement généralisé...

J'ai suivi cette affaire de loin et, pour m'amuser un peu, pensé un moment à écrire un texte truffé de mots orthographiés selon la nouvelle règle. Je me suis alors rendu compte qu'à part ognon et nénufar, bien peu de mots allaient paraître grossièrement "faux". Hormis quelques changements d'orientation d'accents, la disparition de quelques circonflexes chapeaux, le subtil glissement de trémas, la suppression ou l'ajout de tirets... il n'y aurait rien de spectaculaire. Certes, j'aurais pu m'amuser à écrire quelque chose du genre « pendant ses weekends la sagefemme fait des stripteases dans des bouibouis en s'arcboutant sur le hautparleur, jetant son bluejean tirebouchonné pêlemêle tandis que des vanupieds et des jeanfoutres boutentrains mangent, dans le tohubohu, hotdogs ou croquemonsieurs... »...

Il eût été plus audacieux de butiner autour de rectifications aux allures dysorthographiques: « combattif malgré son exéma boursoufflé, il interpela sans ambigüité le joailler-quincailler avant de s'assoir sur son charriot rempli de saccarine, payée trois-mille pésétas. Mu par la colère il ouvrit le ventail du portail et, à travers bossèlements et amoncèlements, sans relai, s'en retourna vers sa cahutte innommée. »

Rien d'illisible, mais ça fait un peu pleurer les yeux, non ? Ça doit être à cause de l'ognon...

Honnêtement, au départ j'étais plutôt circonspect par rapport à cette "nouvelle orthographe", pour ne pas dire réticent. La tentation première de garder immuables les règles établies ne résista cependant pas à une évidence : toute langue vivante évolue constamment. Et puis, en y regardant de plus près, je me suis rendu-compte que certaines aberrations ne perdaient rien à être corrigées. Notamment au niveau des accents. Que le mot "règle" soit dérivé en "réglement" ne répond à aucune logique. Et il y en a pléthore de ces anomalies. Tout comme ce fameux nénufar, mot d'origine persane qui n'a acquis un -ph qu'en 1932, sans doute pour faire plus érudit...

Je me réjouis donc de pouvoir désormais mettre sans hésitation un tréma placé avec logique sur le mot "ambigüe" et d'écrire "boite" sans un accent circonflexe que j'ai toujours omis. Il n'empêche que je resterai modéré dans l'utilisation de ces nouvelles règles, m'en tenant aux changements les plus discrets. C'est que je ne voudrais pas passer pour un ignare ! Je considère que le respect de l'orthographe est signe de politesse, mais aussi de respect de règles communes. C'est aussi, à l'évidence, un marqueur social...

J'en étais à ce point de ma réflexion lorsque, chez Célestine, je vis apparaître cette épineuse question : et pourquoi cette histoire apparaît-elle là, maintenant ? Bigre... Se pourrait-il que cette soudaine apparition soit orchestrée ? Y aurait-il tentative de diversion ? Un complôt ourdi par quelque manipulateur aux sombres desseins ? Aussitôt je mène l'enquête afin de remonter à la source. Aucune trace avant le 4 février. Aucune dépêche d'agence, aucun communiqué. Finalement c'est l'article de décodage du Monde, cité plus haut, qui me donne la source : tout serait parti d'une info donnée le 3 février sur le site de TF1 annonçant que « à la rentrée prochaine, les enseignants devront, enfin, appliquer cette réforme ». Reprise le soir même par BFMTV, puis le lendemain par l'ensemble des médias et de la francophonie, elle a été démultipliée à l'infini par les réseaux sociaux en propageant divers fantasmes. Un autre article, venu des USA, apporte une réponse très proche au "pourquoi" et propose un intéressant développement autour de l'évolution de la langue française dans le temps.

Mais cette réforme alors ? Ben... y'en a pas ! Rien de plus que ce qui est appliqué depuis des années, si j'en crois l'historique des Rectifications orthographiques de 1990 de Wikipédia. Quant à l'éducation nationale, elle fait les mêmes recommandations depuis... 2008. Le seul changement c'est que tous les éditeurs vont, enfin, à la rentrée 2016, se mettre en conformité avec la loi. Leur "résistance" avait d'ailleurs ses justifications, comme l'explique un article daté de 2011.

D'ici à croire que cet emballement, qui ressemble fort à une bête rumeur partie d'une info indigente, aurait été volontairement monté en épingle pour dissimuler d'autres enjeux, il y a un grand pas que, pour ma part, je ne franchirai pas. À qui profiterait le crime ? Je suis peut-être naïf mais j'ai plutôt tendance à croire que toute cette mousse provient d'une propagation d'interprétations insuffisamment vérifiées.

 

En complément :

 

 

Commentaires
M
Très bon article que tu nous fais là....Les travers de l'info rapide....
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A
3 millions de français illettrés... Et ça discutaille sur les accents du cirque qu'on flexe... <br /> <br /> Faut rigoler ou pleurer ?,
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L
Comme je comprends l'agacement de Célestine, moi, qui pendant de très longues années, ai été correctrice ! Correctrice de brochures, de textes d'expositions, de livres... et j'ai tant râlé durant toutes ces années, quand il me fallait rajouter les accents circonflexes et les traits d'union. Alors, me diras-tu, je devrais être contente de cette réforme... Eh bien non, je ne le suis pas ! Car je suis attachée à cette langue et même à ses incohérences parfois ou difficultés, et pour moi, cela ne va rien arranger ! Ceux qui ne maîtrisaient pas l'orthographe, continuerons à l'écrire au petit bonheur la chance. Et on verra de tout mélangé, car il ne faut surtout pas demander trop de réflexion à certains.<br /> <br /> <br /> <br /> Quant aux éditeurs, alors là, je rigole, car je suis bien placée pour savoir ce qu'ils reçoivent comme textes, et l'on peut constater aujourd'hui qu'ils ne sont pas très regardants, la plupart d'entre eux n'assurent plus les corrections. Et l'on peut voir des ouvrages truffés de fautes d'orthographe et de grammaire, cela me désole. Je crois que l'on peut s'attendre au pire ou du moins au n'importe quoi !<br /> <br /> <br /> <br /> J'ai cessé cette activité, car je n'en pouvais plus, c'était tellement ingrat, en particulier pour les livres que les éditeurs souhaitaient publier : tant de jours passés à corriger l'orthographe, la grammaire, la syntaxe, le style, la ponctuation. Le pire étant ceux qui ignorent la concordance des temps, il m'est arrivé de reprendre tous les temps d'un livre, et ce n'est pas du gâteau ! Sans parler de la typographie que les auteurs ignorent totalement ! Parfois, j'avais l'impression de tout réécrire, avec la difficulté supplémentaire qu'il fallait cependant respecter l'auteur.<br /> <br /> <br /> <br /> Bon, je me suis un peu éloignée du sujet, mais ça m'a fait du bien (rire) !
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C
Je ne vais pas redire tout ce qui se dit sur mon blog, et je laisse à tes autres lecteurs toute la place pour commenter ton billet, qui est au demeurant fort bien fait.<br /> <br /> Je reste sceptique quant à la position de l'Académie, qui n'est pas clairement établie. J'ai lu des sources dites fiables complètement contradictoires. Alors à qui se fier ?<br /> <br /> Ma position est simple: soit on instaure une orthographe avec les mêmes règles pour tout le monde, soit on supprime carrément l'orthographe. Il ne peut y avoir ce genre de demi-mesure mièvre et molle, du style "moi j'appliquerai" , "moi je n'appliquerai pas sauf pour..;" "moi il n'est pas question que j'applique".<br /> <br /> C'est l'instauration de cette gabegie qui me révulse. Déjà que l'orthographe française est criblée de pièges iniques et dépassés, déjà que plus personne n'accorde d'importance à la rigueur des accords de verbes et de substantifs (il n'est que de lire les bandeaux d'information de BFM TV) déjà que c'est le binz en France, et que les enfants sont en perte absolue de repères, si en plus les adultes censés leur donner un cadre ne sont pas fichus de se mettre d'accord sur l'orthographe d'un mot, moi je dis que ça ne va pas arranger les choses. S'il y a un complot, c'est celui de la médiocrité organisée. <br /> <br /> Je suis pour une revisite régulière de l'orthographe, je ne suis pas figée sur des règles et des graphies anarchiques au prétexte d'un immobilisme prétendument de bon aloi, mais une fois qu'on a revisité, c'est tolérance zéro pour les fautes. Même si cela semble extrémiste, il ne faut pas se fier aux apparences. La vraie démocratie, c'est quand tous les citoyens sont soumis aux mêmes lois sans exceptions.<br /> <br /> Bises passionnées<br /> <br /> ¸¸.•*¨*• ☆
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