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Alter et ego (Carnet)
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4 mars 2016

De la responsabilité du chef

Ils sont cinq. Cinq chefs d'équipe. Leur rôle est de mettre au travail des personnes en difficulté sociale, aux parcours improbables et de diverses origines, de tout âge, qui ne connaissent rien au métier qu'ils vont exercer. ll va donc falloir former ces nouveaux-venus, parfois leur apprendre à travailler, à être à l'heure, à respecter des consignes et des règles. Il faudra aussi qu'ils apprennent à travailler en équipe, à s'entraider, à faire preuve de solidarité...

Cette semaine, dix nouveaux ont été intégrés aux équipes en place.

Encadrer ces personnes, parfois très destructurées, n'est pas chose facile. Il faut savoir s'adapter aux difficultés de chacun tout en restant juste par rapport à l'ensemble, savoir demander davantage à certains et moins à d'autres, encourager, stimuler. Et parfois il faut faire preuve d'autorité, recadrer, montrer les limites, rappeller les règles, voire sanctionner si elles ne sont pas respectées... Ce n'est pas facile de sanctionner ceux avec qui l'on travaille au quotidien, avec la crainte de générer tensions et animosité. Il peut paraître plus simple de fermer les yeux. Sauf qu'à la longue ce genre de laxisme ouvre la porte aux dérives, à la perte de repères, aux débordements et au sentiment d'injustice. Avec, à terme, le risque de décohésion de toute l'équipe.

De manière générale l'encadrement d'une équipe nécessite un subtil équilibre entre souplesse et fermeté. Il faut savoir être à l'écoute et attentif tout en restant garant du cadre préalablement défini. Il faut aussi savoir être un leader pour atteindre les objectifs fixés dans les délais impartis. Autant dire que la fonction demande une certaine rigueur, alliée à des qualités humaines.

Ils sont cinq chefs d'équipe, aux personnalités aussi diverses que leurs parcours. Leur façon de mener les ouvriers diffère grandement et, là où certains réussissent sans problèmes, d'autres chefs s'épuisent. Les plus structurés parviennent à leurs objectifs, et même davantage. Ils savent quel est leur rôle d'encadrant et sont clairs à ce sujet. Les autres rouspètent régulièrement, explosent parfois en colères d'usure, se plaignent de leurs ouvriers, les jugent parfois sévèrement et, désemparés, exigent des sanctions à leur encontre... tout en refusant eux-mêmes de "faire les gendarmes". En d'autres termes, ils râlent contre leurs subordonnés rétifs (des incapables) et leur hiérarchie (trop laxiste) ! Quant à eux, ils se perçoivent comme victimes d'une situation injuste. Alors ils râlent, toujours pour les mêmes choses, année après année.

Je représente leur hiérarchie de premier niveau et il m'a fallu du temps pour comprendre que derrière les récriminations répétitives se dissimulait un désarroi dû à une incapacité à poser des limites. Certains refusaient tout simplement d'endosser le rôle du "méchant", attendant que la hiérarchie s'en charge. Sauf que la hiérarchie, n'étant pas au contact du terrain, ne peut juger de l'objectivité des faits relatés.

Je me suis longtemps fait piéger par ma propension à être à l'écoute d'autrui, et donc de mes collaborateurs. Percevant leur détresse et soucieux de leur bien-être comme de celui de l'équipe, je tentais d'apporter des éclairages, des pistes, des solutions. Mais bizarrement, pour ceux qui se plaignaient, mes propositions étaient systématiquement portées vers les limites qui pouvaient les rendre inopérantes. Sans même les tenter elles étaient déjà disqualifiées. Comme s'il fallait absolument que je convienne avec eux que leur travail était impossible avec les personnes qui les mettaient en difficulté. Et que ces gens-là, il fallait les virer ! Hop, le problème aurait ainsi été évacué. Sauf que notre rôle social, précisément, est d'accompagner des personnes qui sont en difficulté par rapport au travail...

Je n'ai donc jamais transigé avec ce qui représente le coeur de notre métier. C'est notre base, notre cadre de référence. En tout cas le mien.

Il n'empêche que certains de mes équipiers persistent à se plaindre de ce qui ne peut être changé, et qu'à la longue ça me saôule. Lassé de ces râleries stériles, des réunions ou la plainte est redondante, des débats parfois houleux sur le sens de notre mission, j'ai peu à peu senti la force de mes convictions s'affermir. M'appuyant alors sur ceux qui, par leur bon sens, n'ont pas de difficultés à conduire leur équipe, j'en ai fait mes alliés. Sentant leur adhésion à une dynamique collective plus structurée, j'ai peu à peu constitué mon axe solide, établi mes assises autour, et trouvé ma propre place de leader. En fait, au niveau supérieur, mon rôle est exactement le même que le leur : garant du cadre, il me revient d'être ferme pour que nous atteignions nos objectifs, tant humains qu'économiques.

C'est ainsi que, sans doute stimulé par la vidéo que j'ai proposée ici, j'ai posé hier un nouveau cadre à nos réunions de coordination : je ne veux plus entendre de râleries ! Je n'accepterai d'être à l'écoute des diverses problématiques de chacun que si c'est pour agir en conséquence. Mais le déballage stérile de récriminations issues d'une peur d'assumer son rôle de chef, par fuite devant ses responsabilités, par manque de courage pour aller au bout des décisions, je ne veux plus en entendre parler. J'ai été clair et ferme : s'ils ne veulent pas prendre leur part, qu'ils gardent leur problème ! Mon rôle, par contre, est de leur venir en appui, de trancher, de faire l'arbitre... mais aussi de les protéger. Et protéger mes collaborateurs c'est les encourager - voire les forcer - à tenir leur rôle de chef. À faire respecter les limites, à être garant d'un cadre... qui les protège aussi de l'épuisement.

L'un d'entre eux à tenté de pointer vers des problématiques difficiles à cerner, comme la consommation de cannabis. Je lui ai fait remarquer que sa tentative de diversion était encore une façon de fuir sa responsabilité : attaquons-nous déjà à ce qui est à notre portée. Un autre a tenté une manoeuvre de fuite, arguant qu'il attendait de ses ouvriers davantage de maturité, qu'ils pourraient quand même être plus responsables... Il m'a offert l'occasion de lui dire que j'en attendais de même de sa part. Et toc !

En recadrant ainsi nettement les choses je me suis senti tout à fait bien. J'ai eu la sensation de reprendre la situation en mains et d'être pleinement dans mon rôle de "chef". Et j'ai senti que mon équipe attendait cela de moi, même si c'est en rechignant...

 

Chef

 

Tout cela advient alors que, de mon côté, je cherche à trouver ma place face à ma hiérarchie qui, elle, est beaucoup moins attentive à la cohésion de l'équipe que je dirige. J'ai cependant entrepris depuis quelques semaines une réflexion sur ma part de responsabilité dans la situation que je déplore. La première chose que j'ai faite aura été prendre du recul afin de protéger mon équilibre psychique... puisque non seulement ma santé en dépend, mais aussi celle de l'équipe que j'encadre.

 

Commentaires
E
J'aurais beaucoup de mal...Je tends, quant à moi, à être assez exigeante et stricte, ce que je suis, selon l'adage, envers moi-même aussi. J'ai de la compassion mais jamais sans exigence en retour. Si on veut s'en sortir ce sera difficile, et d'autant plus difficile qu'on a sombré bas, il ne faut pas se leurrer. Je pense qu'en se montrant fort - pas injuste, mais ferme, avec une tolérance limitée dont les limites sont claires - on aide mieux ceux qui veulent vraiment s'en sortir, tout en lâchant la main de ceux qui ne veulent qu'être remorqués ad vitam aeternam. Ce n'est pas mon rôle...<br /> <br /> <br /> <br /> Courage!
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C
je lis ce texte avec émerveillement!<br /> <br /> Cela fait du bien de te voir dans ce processus de fermeté...<br /> <br /> Alain a raison, tu as les qualités d'un vrai leader<br /> <br /> Je t'embrasse
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A
La qualité de tes propos et la pertinence de tes observations, montrent clairement que tu as les qualités du leader.<br /> <br /> Le plus pénible, et je parle un peu d'expérience, ce sont ces collaborateur qui râlent sur tout et tout le monde et ne font jamais de propositions constructives.<br /> <br /> me souvient d'une personne qui râlaient de la mauvaise organisation de « quelque chose ». Je lui avais dit : parfait ! Faites une proposition concrète de réorganisation et vous la soumettrez au groupe à la prochaine réunion… Je compte particulièrement sur vous pour améliorer les choses.<br /> <br /> ça calme !<br /> <br /> <br /> <br /> Je te sens donne une belle dynamique !<br /> <br /> C'est réjouissant…
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C
Comme j'aime ce post !<br /> <br /> J'y souscris, je plussoie !!!<br /> <br /> J'aurais tant à dire sur la question...<br /> <br /> Courageuse cette décision. J'imagine ce que cela aurait donné dans mon ancienne équipe. <br /> <br /> Nous les "sociaux" aimons râler ;)<br /> <br /> (Diantre, c'est moi qui écrit ça !!!)
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