Le rapport que j'entretiens avec le monde qui m'entoure est fréquemment source de questionnement. Je ne parle pas là du rapport direct que je peux avoir avec mes congénères humains (relations individuelles), mais de ce que je sais indirectement du monde et de l'humanité. Je pense en particulier à ce qui est porté à ma connaissance par diverses sources, parmi lesquelles "les infos" tiennent une grande place.
"Les infos", c'est quoi ? Une somme d'informations mises à ma disposition sur des faits, situations, évènements, auxquels je n'aurais pas eu accès si je ne disposais pas de relais me les transmettant. Il ne s'agit donc jamais de faits que je peux apréhender moi-même, mais toujours d'éléments partiels, sélectionnés, filtrés. Et donc potentiellement teintés de subjectivité. Pour éviter cet écueil de la subjectivité il faudrait que seuls les éléments factuels soient transmis : tel jour, en tel lieu, en présence de telle personne, il s'est passé cela. Autrement dit : quoi, quand, où, qui ? C'est factuel et dépourvu d'émotion. Lorsque c'est inattendu il y manque généralement le pourquoi explicatif... or c'est ce dont l'humain, insatiable chercheur de sens, a le plus besoin quand une information suscite une crainte.
Tant qu'il sera privé de cette indispensable réponse apaisante, le cerveau humain n'aura de cesse de l'attendre. Nous voulons comprendre. C'est d'ailleurs ce qui nous caractérise en tant qu'espèce animale. C'est le propre de l'intelligence : relier des éléments factuels, établir des relations de cause à effet, afin d'obtenir une explication rationnelle. Mais tout ne s'explique pas aisément, c'est le moins qu'on puisse dire...
Alors l'homme a inventé "dieu".
Plus sérieusement, comprendre demande d'autant plus de temps qu'une problématique est complexe. Il faut souvent y adjoindre des efforts, des connaissances, ainsi que de l'intelligence (avec sa part de doute et d'humilité). Les personnes dotées de ces nécessaires facultés permettent à celles qui ne les cumulent pas d'avoir accès au savoir. C'est à dire une somme de connaissances, valables tant qu'elles n'ont pas été infirmées. La notion de temps est donc toujours importante : ce qui est considéré comme vrai aujourd'hui ne le sera peut-être plus demain, si une explication plus rationnelle l'invalide. Il est aussi souvent question de subjectivité : selon d'où je me place, la perception peut être différente et l'interprétation plus encore.
Voilà pourquoi l'information instantanée ne peut être prise qu'avec d'infinies précautions. Sauf que cette nécessaire prudence se heurte au besoin insatiable de comprendre. Et vite ! Nous aimerions comprendre immédiatement, afin de nous épargner l'inquiétude de l'inexplicable et le sentiment d'insécurité que cela génère. Pour résoudre ce conflit interne, nous sommes prompts à nous saisir de tout ce qui pourrait l'éteindre. Quitte à se satisfaire d'explication simplistes, voire irrationnelles...
Le rôle des médias est essentiel sur ce point. Relais entre chacun de nous et les informations lointaines auxquelles nous n'avons pas un accès direct, ils peuvent privilégier la prudence et la patience en ne donnant que des faits vérifiés, ou bien se hâter de donner des explications plausibles, échafaudées à base d'hypothèses et interprétation plus ou moins sensées. Cette seconde façon de procéder est évidemment une dérive, qui nuit gravement au sérieux que l'on est en droit d'attendre du métier de journaliste ou des "experts" qu'ils invitent. Il semble pourtant qu'elle se généralise, sous la pression du besoin de savoir "en temps réel" ce qu'il se passe à chaque instant dans notre univers.
Grâce aux explications promptement délivrées chacun peut retrouver l'illusion que les choses sont sous contrôle. À partir de là il suffit de... y'a plus qu'à... faut qu'on... et citoyens comme politiciens se répandent en solutions aussi rapides à énoncer que difficiles à rendre consensuelles. Parce que bien sûr, étant entrés dans le domaine de la subjectivité et de l'émotion, personne ne parviendra à tomber d'accord au delà du constat factuel.
Les hasards de la génétique on fait que je suis d'une nature peu inquiète, doté d'un solide sens du rationnel, et pourvu d'une grande patience. De ce fait je me sens peu exposé aux dérives que je viens de décrire. Je les observe de loin, et m'agace contre les effets que j'en vois sur mes semblables. Il n'empêche que parfois je me suis laisser un peu contaminer, restant fasciné devant mon écran télé (11 septembre 2001, 7 et 9 janvier 2015). Avec ce sentiment bizarre "d'y être"... et un effet traumatico-obsessionnel certain. Cela m'a perturbé et conduit à éviter ce genre de gavage passif.
C'est ainsi que j'en suis venu à m'intéresser à l'impact de ces situations sur mes contemporains, et sur moi-même, avec un peu de recul. C'est à dire que je m'intéresse moins aux faits en eux-mêmes qu'aux répercussions de ceux-ci sur la société dans laquelle je vis. J'observe les réactions, positives comme négatives, puis les repercussions de l'onde de choc dans les discours. Je m'informe beaucoup a posteriori, tant au niveau sociologique que psychologique. L'après m'intéresse bien davantage que ce qui l'a déclenché.
Quelques articles pour aller plus loin :
- Attentats de Bruxelles : "Les chaines d'info fonctionnent comme un cerveau traumatisé" (Télérama)
- Les médias face au terrorisme et aux populations affectées, l'impossible équation (Résilience PSY)
- Comment "Le Monde" vit avec les attentats (Le Monde)
- #VivreAvec : "Je hais le terrorisme mais je ne hais pas les terroristes", explique Serge Tisseron (Le Monde)