Paradis d'enfance
Originaire d'un gros bourg de Provence, ma grand-mère passait tout l'été en compagnie des cigales dans la maison de ses ancètres. Elle y était rejointe, pour une ou deux semaines, par ses enfants et leur progéniture de cousins. À une heure de route à travers la campagne il y avait la Méditerranée. La famille y connaissait quelques petits coins sauvages, à l'écart des villes, et c'est là-bas que mes premiers souvenirs de vacances ont fait leur nid. Nous y allions pour la journée, dans la Peugeot 404 que mon père garait sous l'ombre de quelque pin parasol. On sortait la table de pique-nique et des chaises pliantes, des tomates et des chips. Il y avait de la place sur le sable pour courir et jouer, ramasser des pommes de pin et se piquer les pieds sur leur aiguilles tombées au sol. Après le repas le temps de sieste était sacré : à l'ombre, avec interdiction de se baigner avant les trois heures règlementaires de digestion. En ces lieux privilégiés j'ai découvert la volupté, la béatitude et la douceur de vivre, bien avant de connaître le sens de ces mots d'adultes.
L'an dernier alors que je passais près d'une ces ces plages, sur la presqu'ile de Giens, j'ai cherché à la retrouver. Hélas la pinède avait disparue. À sa place il y avait un moche et bête petit immeuble proposant des soins de balnéothérapie. Tout autour des constructions sans âme, des parkings miteux, des rues tracées à la va-vite, des espaces de fausse-nature. J'ai eu bien des difficultés à reconnaître les lieux...
Heureusement il reste d'autres sites qui ont été totalement préservés. C'est le cas de cette plage, que j'ai voulu revoir cette semaine :
Rien n'y a changé depuis cinquante ans. En voyant au loin des enfants s'éclabousser dans l'eau encore fraîche d'avril je me suis souvenu de mes jeunes années ici-même. Entre l'ombre des grands pins et l'eau turquoise, la volupté d'une plage de sable fin...
Sur cette plage mes yeux d'enfant se sont naturellement formés à l'harmonie des paysages méditerranéens. Ce petit coin de paradis allait faire de moi un exigeant, forcément déçu par tout espace pélagique ne presentant pas des qualités esthétiques analogues. Je n'ai jamais pu apprécier une plage bordée par une route ou ces enfilades d'immeubles que des décennies d'urbanisation laide ont laissé gangréner la côte. Pour tout dire je déteste une grande partie de la Côte d'Azur et déplore ce qu'elle est devenue, déteriorée pour la satisfaction de quelques égoïstes.
Étonnamment la plage où j'allais me baigner enfant fait partie de celles, très rares, qui sont restées intactes car préservées de toute urbanisation alentour. Elle est au coeur d'un secteur protégé, aux routes étroites et tortueuses, situé entre le Lavandou et La Londe les Maures. Derrière les anses sableuses, des vignes, des forêts, quelques maisons anciennes, un ou deux petits châteaux. Aucune bâtisse arrogante. Cela tient presque du miracle...
C'est ce genre de joyaux que j'essaie de retrouver lors de mes escapades méditerranéennes, me focalisant sur ces zones exceptionnelles qui, sur les cartes, apparaissent obstinément vierges de constructions.
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