Frangins de père en fils
Retrouvailles familiales dans une vallée perchée des Alpes Maritimes, le temps d'un week-end prolongé. C'est là que vit ma soeur, dans sa maison bleue, et nous sommes réunis autour d'elle pour fêter son demi-siècle d'existence. Toute la fratrie a fait le déplacement, ainsi que mes parents. Quelques représentants des deux générations suivantes sont présents. Question implication, les doyens ont passé le relais. Ils s'effacent peu à peu. Les quinquagénaires, encore en position dominante, constatent à leur tour que, depuis pas mal d'années, les trentenaires prennent place, font valloir leur point de vue, leurs divergences. Ils s'affirment, ont des opinions et les expriment. Imperceptiblement le cycle des générations continue sa course naturelle.
Un peu en retrait, comme à mon habitude, j'observe. J'écoute les conversations, y participant silencieusement. Je sens les petites tensions contenues qui parfois se déchargent. Entre conjoints, principalement. La scène familiale donne parfois des impressions de légitimité supérieure, d'alliés potentiels...
Un village de la vallée perchée
Sur un rythme de farniente ponctué de menues activités agricoles, trois jours se sont écoulés paisiblement. Mes parents, cent-soixante ans à eux deux, veulent reprendre la route. Pour eux elle se fera avec une étape au milieu, histoire de ne pas trop solliciter leur résistance. Au moment du départ je les accompagne jusqu'à leur voiture. Mon fils est à mes côtés. Les autres sont occupés ailleurs.
Ma mère, attendrie, nous lance un « À bientôt les frangins ! »
- Les frangins ? lui réponds-je, amusé par cette confusion générationnelle à laquelle chacun de nous peut-être sujet
- Ben... vous n'êtes pas frangins ?
Avec mon fils, nous nous regardons. Là où n'importe qui aurait pris conscience de sa bévue, ma mère semble ne pas comprendre. Je la vois perplexe, hagarde, cherchant ce qui peut bien être incongru dans la situation.
- Frangins ? insisté-je sans plus savoir comment l'aider à percuter.
- ...
Les secondes s'éternisent, deviennent gênantes. Tout à coup elle comprend, grimace un peu, tourne la tête et disparaît dans la voiture. J'imagine sans peine sa tristesse, sa honte peut-être. Elle sait que sa mémoire lui joue des tours, le redoute, et cette fois-ci nous sommes quatre à constater que certains connexions neuronales marquent des défaillances nettement perceptibles.
Je sais que mes parents vieillissent. Je le vois. L'altération de leurs capacités ne fait aucun doute. Leur autonomie se restreint, même s'ils n'ont encore aucun signe de dépendance... hormis l'un envers l'autre. Toutefois la marge qui sépare les deux états se réduit comme peau de chagrin. Un jour, bientôt, l'un des deux basculera du côté d'un nécessaire accompagnement. L'autre risque fort de ne pouvoir assumer cette charge...
Il y a quelques semaines, avec ma soeur, nous avons pour la première fois évoqué clairement cet avenir proche. Elle s'en inquiète, à juste titre. De mon côté je dois bien reconnaître que mon optimisme cède peu à peu la place au réalisme : le répit ne durera pas éternellement.
Ma soeur, en bergère