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Alter et ego (Carnet)
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18 juillet 2016

Frangins de père en fils

Retrouvailles familiales dans une vallée perchée des Alpes Maritimes, le temps d'un week-end prolongé. C'est là que vit ma soeur, dans sa maison bleue, et nous sommes réunis autour d'elle pour fêter son demi-siècle d'existence. Toute la fratrie a fait le déplacement, ainsi que mes parents. Quelques représentants des deux générations suivantes sont présents. Question implication, les doyens ont passé le relais. Ils s'effacent peu à peu. Les quinquagénaires, encore en position dominante, constatent à leur tour que, depuis pas mal d'années, les trentenaires prennent place, font valloir leur point de vue, leurs divergences. Ils s'affirment, ont des opinions et les expriment. Imperceptiblement le cycle des générations continue sa course naturelle.

Un peu en retrait, comme à mon habitude, j'observe. J'écoute les conversations, y participant silencieusement. Je sens les petites tensions contenues qui parfois se déchargent. Entre conjoints, principalement. La scène familiale donne parfois des impressions de légitimité supérieure, d'alliés potentiels...

 

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Un village de la vallée perchée

 

Sur un rythme de farniente ponctué de menues activités agricoles, trois jours se sont écoulés paisiblement. Mes parents, cent-soixante ans à eux deux, veulent reprendre la route. Pour eux elle se fera avec une étape au milieu, histoire de ne pas trop solliciter leur résistance. Au moment du départ je les accompagne jusqu'à leur voiture. Mon fils est à mes côtés. Les autres sont occupés ailleurs.

Ma mère, attendrie, nous lance un « À bientôt les frangins ! »

- Les frangins ? lui réponds-je, amusé par cette confusion générationnelle à laquelle chacun de nous peut-être sujet

- Ben... vous n'êtes pas frangins ?

Avec mon fils, nous nous regardons. Là où n'importe qui aurait pris conscience de sa bévue, ma mère semble ne pas comprendre. Je la vois perplexe, hagarde, cherchant ce qui peut bien être incongru dans la situation.

- Frangins ? insisté-je sans plus savoir comment l'aider à percuter.

- ...

Les secondes s'éternisent, deviennent gênantes. Tout à coup elle comprend, grimace un peu, tourne la tête et disparaît dans la voiture. J'imagine sans peine sa tristesse, sa honte peut-être. Elle sait que sa mémoire lui joue des tours, le redoute, et cette fois-ci nous sommes quatre à constater que certains connexions neuronales marquent des défaillances nettement perceptibles.

Je sais que mes parents vieillissent. Je le vois. L'altération de leurs capacités ne fait aucun doute. Leur autonomie se restreint, même s'ils n'ont encore aucun signe de dépendance... hormis l'un envers l'autre. Toutefois la marge qui sépare les deux états se réduit comme peau de chagrin. Un jour, bientôt, l'un des deux basculera du côté d'un nécessaire accompagnement. L'autre risque fort de ne pouvoir assumer cette charge...

Il y a quelques semaines, avec ma soeur, nous avons pour la première fois évoqué clairement cet avenir proche. Elle s'en inquiète, à juste titre. De mon côté je dois bien reconnaître que mon optimisme cède peu à peu la place au réalisme : le répit ne durera pas éternellement.

 

IMGP1281

Ma soeur, en bergère

 

 

Commentaires
L
"bien ou mal": aurait-il mieux valu la maintenir dans une gymnastique intellectuelle permanente en la reprenant sur chaque point pour essayer de l'actualiser plus longtemps, au risque qu'elle se sente honteuse de ses méprises? je me suis souvent posée la question...<br /> <br /> elle en avait marre, me l'a souvent dit, et aurait aimé partir avant de voir ses enfants mourir avant elle. cette idée insupportable, elle finissait par l'occulter et continuait à me donner des nouvelles d'eux...<br /> <br /> elle aurait aimé mourir.<br /> <br /> à quand l'arrêt de l'acharnement thérapeutique?<br /> <br /> à quand l'euthanasie volontaire autorisée en france comme en suisse par exemple?<br /> <br /> c'est bête mais j'aurais aimé pouvoir choisir de mourir au pays basque...<br /> <br /> j'en ai longuement discuté -à mon sujet- avec mes enfants, ils ont finit par admettre et accepter mes arguments. mais ce fut difficile ;))
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L
ma grand-mère, à la fin de sa vie, m'a souvent confondue avec sa fille, la soeur de ma mère. <br /> <br /> Je ne l'ai jamais rectifiée. <br /> <br /> au début parce que je pensais que c'était juste une erreur de prénom puisqu'elle me demandait des nouvelles de mes enfants dont elle se rappelait parfaitement le parcours, puis, quand je me suis rendue compte de sa méprise permanente je n'ai toujours pas rectifié parce qu'elle était heureuse de donner des nouvelles de ma tante à ma mère. <br /> <br /> ma mère a joué le jeu, ma grand-mère était contente de donner des nouvelles de chacun. elle participait toujours à l'unité et la transmission familiale: elle avait donc toujours un rôle à jouer et une importance pour chacun.<br /> <br /> je ne sais pas pas si c'est bien ou mal de l'avoir bercée d'illusions ainsi mais je suis contente qu'elle soit morte en se sentant chef de famille.<br /> <br /> quoi de plus désolant que de ne plus servir à rien...?
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L
Ma mère étant décédée quand j'avais douze ans, j'ai été confrontée très tôt à la perte. Quant à mon père, j'avais pris de la distance très jeune avec lui. C'est mon frère qui a assuré quand mon père a eu la maladie d'Alzheimer, parce qu'il était très proche géographiquement, mais aussi parce qu'il y avait chez lui une certaine culpabilité liée à son adolescence. Quand mon père est mort, je n'ai ressenti aucune émotion, sans doute à cause de cette distance que j'avais créée, mais je pense qu'il était vital pour moi de me protéger pour faire ma vie de manière harmonieuse.. Je pense que si je l'avais vu diminué, il en aurait été autrement, il n'aurait plus été le tyran que j'avais connu, j'aurais sans doute pu avoir de la compassion pour lui.<br /> <br /> <br /> <br /> Il reste la femme beaucoup plus jeune que mon père avait épousée en seconde noce, actuellement dans une institution spécialisée pour démence, suite à un problème d'anesthésie avec long coma, et dont mon frère s'occupe également, souvent au détriment de sa propre vie.<br /> <br /> <br /> <br /> Et je crois que la façon de vivre le vieillissement de nos parents avec les pathologies associées, qui ne sont d'ailleurs pas une fatalité, heureusement, dépend énormément du lien que nous avons eu dans le passé avec eux.<br /> <br /> <br /> <br /> Je ne peux que rejoindre Célestine, quand elle évoque le fait, que nous serons les prochains à être sur la liste des départs, non, ce n'est pas évident !
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C
Tu sais ce que je vis avec ma mère depuis quelques années. Mon père ne va guère mieux en ce moment. Il me semble même que son désir de vivre s'amenuise de jour en jour. Nous avons tous le même chemin à accomplir pour accepter le départ de nos parents, et surtout de nous retrouver au bord de la falaise, à leur place. Pas évident...<br /> <br /> Mais tout cela reste des mots tant que l'on n'a pas vécu la chose, bien sûr, nous diront ceux qui l'ont vécue...<br /> <br /> Pourtant je crois vraiment cette "préparation" de l'esprit nécessaire, même si elle est douloureuse, et je la pense aussi profondément humaine.<br /> <br /> De tout coeur avec toi, Pierre.<br /> <br /> ¸¸.•*¨*• ☆
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C
Quelque chose me serre le coeur à la lecture de ce message.<br /> <br /> Mes parents ayant tous deux eu des accidents de santé alors que j'étais très jeune, j'ai toujours eu une conscience aiguë de la perte, pour ne pas dire de la mort. <br /> <br /> Pour autant, ces signes sont toujours perturbants, ils viennent un peu griffer.<br /> <br /> Fille unique et confrontée à la réalité de leur santé fragile, j'ai pu discuter très tôt avec eux de leurs volontés. En cela, je me sens un peu en paix...
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M
J'ai vécu le même week-end prolongé familial....:)) mais en Auvergne!<br /> <br /> <br /> <br /> Je participe volontier aux échanges....puis au bout d'un moment...je recule....<br /> <br /> Je connais bien cette observation du "nid "le sourire au coin des lèvres. J'aime beaucoup d'ailleurs, c'est émomarrant....;) voir.....attendriagaçant....;)<br /> <br /> <br /> <br /> Quant à mes parents, 164 ans à eux deux. Les mêmes remarques, les mêmes questionnements. Une réalité qui cogne à notre porte à mes soeurs et à moi depuis deux ans.... Plus qu'une réalité , la vie qui passe et son sablier sensiblement cynique parfois.<br /> <br /> <br /> <br /> Belle soirée Pierre.
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E
Cette confusion entre les générations est tellement courante chez les vieilles personnes que je me demande si vraiment c'est la mémoire (même si, bien entendu, ça ne résout rien au problème bien réel de la mémoire) ou bien une sorte de... on écarte l'inutile. La confusion est souvent uniquement au sujet des générations, mais pas du rang que l'on occupe. Ma tante parfois me parlait de ma mère mais il s'agissait de ma grand mère (elle n'était pas très âgée pourtant,et loin d'être en train de perdre la boule...). Mon père m'a souvent appelée par le nom de ma soeur et vice-versa, mais depuis des années. Un peu comme si ces "détails" n'avaient pas vraiment d'importance, ils courent désormais à l'essentiel: on est "famille" et en fait on sait quelle branche on regarde...
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F
« C'est une maison de pierre aux volets bleus, accrochée à sa colline dans les montagnes sèches du sud de la France. » Je ne savais pas, ou je l'avais oublié, qu'il y avait aussi dans ta famille une maison bleue (sourire). La mienne n'est pas dans le sud de la France, mais c'est un joli coin aussi, il y a aussi le ramassage du foin, mais pas à l'ancienne par contre. Mais j'en ai parlé souvent sur mes blogs, tu dois la connaître un peu. :-)<br /> <br /> Tu parles de ta maman qui commence à être confuse dans ses propos et qui mélange les générations. Cela me rappelle la toute première fois où ma mère avait commis le même genre d'erreur, elle s'en était rendue compte et avait essayé de se rattraper, en plaisantant. Nous avions continué sur le ton de l'humour, mais nous en avions tous été meurtris, aussi bien elle que nous. Je pense que ce qui doit être le plus dur à vivre, ce doit être cette période-là, où lorsque la personne se rend compte qu'elle a dit une "bêtise", et qu'elle sent bien que ce n'est que le début...<br /> <br /> Bel après-midi à toi, Pierre.
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L
Ainsi va la vie. D'abord l'insouciance, puis la réflexion jusqu'à la réalité qui saute au yeux arrivés à un certain âge. Tôt ou tard on s'aperçoit que petit à petit notre énergie fout le camp et c'est ainsi qu'après avoir eu maison puis appartement car on ne pouvait plus assumer la maison et le jardin, on passe un jour en maison de retraite, là où l'on s'occupe de notre quotidien et on se laisse aller appréciant de ne plus penser à toutes les choses matérielles qui venaient encombrer notre esprit. Puis un jour, les enfants, les petits enfants, les amis qui sont encore là s'aperçoivent que l'on passe dans un monde ignoré que personne n'a encore pu expliquer, attendant dans l'antichambre d'une nouvelle vie dont personne n'est revenu ....... Mes parents, mes oncles et tantes sont tous passés par là et c'est ainsi qu'à travers eux ils m'ont aidée à accepter le processus de la vie sans révolte et sans colère. C'est ainsi, ainsi va la vie .....
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K
J'avoue que je me fais aussi du soucis pour mes parents... d'autant que je suis fille unique et pas du tout sur place.... !<br /> <br /> Alors je te comprends ! <br /> <br /> <br /> <br /> J'aime beaucoup la photo de ta soeur-bergère !
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