Se baigner habillé(e)
Imaginez... vous êtes sur la plage, il fait beau, la mer est bleue, les vagues roulent tranquillement. D'un oeil distrait vous regardez de temps en temps autour de vous. Il y a là toute sorte de gens, de tout âge et de toute morphologie mais, en maillot de bain, personne ne se distingue vraiment. Ah tiens, si, là-bas une personne se baigne toute habillée ! En jean et T-shirt ! « Drôle d'idée », pensez-vous brièvement, avant de plonger de nouveau dans votre bouquin ou d'entreprendre quelques brasses vers le large. Pas de quoi se poser un problème existentiel, n'est-ce pas ? Pas de quoi troubler qui que ce soit.
Un peu plus tard, alors que vous voyez de nouveau cette personne habillée, vous reviennent à l’esprit ces images d’autrefois, lorsque tout le monde se baignait vêtu. À la Belle époque c'est d'être à demi-nu qui aurait surpris, et peut-être même choqué !
Source : La voix du Nord
Aujourd'hui ça prête à sourire et il y a fort à parier qu'aucun maire ne verrait dans cet accoutrement le moindre trouble à l'ordre public.
Imaginez maintenant qu'au lieu d'être seulement un individu lambda, il s'agisse d'une femme portant manifestement une tenue répondant à une vision confessionnelle. Tenez, par exemple : si vous voyiez une religieuse - une "bonne soeur", une nonne - se baigner toute habillée, qu’est-ce que ça changerait à votre appréciation de la situation ? Personnellement, passé l'effet de surprise, je crois que ça me ferait sourire et je me dirais qu’elle a bien raison de se faire plaisir ainsi malgré la contrainte !
Habit de religieuse [Source]
Et s’il s’agit d’une femme portant une tenue équivalente à celle d’une nonne mais propre à sa culture musulmane, qu’est-ce que ça change ? Lorsque j'étais au Liban, marchant sur la plage déserte de Saïda - extrêmement polluée, je vous la déconseille - j'ai vu deux femmes se baigner habillées en jouant avec leurs enfants. Elles portaient une tenue identique à celles des plus austères que je pouvais croiser dans la rue : une sorte de long manteau sombre, couvrant jusqu'à la tête et ne laissant voir que l'ovale du visage [jilbeb ?]. Je me suis dit que ça devait être fort peu pratique, l'épais tissu mouillé paraissant empesé.
Bon, ça c'était au Liban. Mais en France, comment réagirais-je si je voyais une scène similaire ?
Euh…
Franchement ? Et bien je reconnais qu'avant l'affaire du "burkini" j'aurais été troublé. Par quoi ? Par ce que je considère être, selon ma conception des choses, l'affichage d'une soumission à des règles religieuses qui, toujours selon ma vision des choses, aliènent la liberté individuelle. En l'occurence celle des femmes. Et que voir apparaître cela sous une forme nouvelle [j'ai toujours vu des "bonnnes soeurs"...] dans un pays censé être placé sous le signe de la laïcité et de la liberté, clairement, ça me trouble. Ça me heurte. Ça me dérange. Et si je veux être honnête, j'avoue que ça me fait un peu peur...
Mais ma vision des choses est non seulement celle d’un athée [de culture chrétienne et peu au fait de ce qu'est l'islam], mais aussi celle d'un ardent partisan de la responsabilité individuelle. Autrement dit : pas vraiment séduit par tout ce que les religions peuvent avoir de contraignant.
Cependant… par fidélité au principe premier de liberté individuelle, je ne peux qu’être favorable à la liberté des choix personnels. Celui d’une religion, celui d’en suivre plus ou moins strictement les règles, et en particulier en ce qui concerne les signes extérieurs, tels que les vêtements et coiffures.
Certes, les signes ostensibles d'appartenance (pas seulement religieuse) me troublent, voire me heurtent, et d’autant plus qu’ils manifestent une radicalité, mais… c’est en moi que ça se passe. L’autre – par les signes qu’il se choisit - n’est que le révélateur de mon trouble. Il ne me viendrait pas à l’idée de lui interdire – si toutefois j’en avais le pouvoir – de se vêtir comme bon lui semble. Après tout, chacun est libre, tant que ça ne nuit objectivement à personne.
Mais justement, là est certainement le point crucial : le différent de soi peut être perçu comme une nuisance personnelle, voire identitaire.
Avec l’affaire du « Burkini », difficile d’ignorer que certains détenteurs de pouvoir ont tenté d'abuser de celui qui leur est conféré en entendant interdire certaines tenues bien ciblées, au nom d’un supposé trouble à l’ordre public. Fort heureusement le conseil d'état à mis un terme à ces dérives clairement islamophobes. Qu’une partie de la population soit troublée par des signes d'appartenance, c’est possible, mais il ne s’agit pas là d’ordre public. Sauf à considérer que certains puisse être à ce point troublés (effrayés ?) qu’ils en perdraient tout contrôle de soi. Il leur reviendrait alors de quitter la plage, s’ils se sentent incapables de ne pas troubler, eux, l’ordre public…
Pour aller un peu plus loin sur ce sujet en particulier et sur le différent de soi en général, je vous conseille la lecture d'un article où, toujours autour de cette affaire, il est question de « l’énonciation ventriloque », qui consiste à parler à la place des personnes concernées - pratique très courante dans les médias, mais pas seulement. Il y est question des femmes qui choisissent de porter le voile et se baigner "librement" (contrainte librement choisie), comme la blogueuse Asma Fares dans cette vidéo :