Les traces que l'on laisse de soi
Il y a des personnes qui doutent éternellement de leur valeur aux yeux des autres. Qui doutent d'être perçues positivement. Qui doutent d'être appréciées, voire aimées. J'en fais partie.
Dans ma vie d'avant j'exerçais un autre métier. C'était il y a près de dix ans. À cette époque, et durant une quinzaine d'années, je participais très régulièrement à des "Fêtes des plantes". Des expositions, toujours en extérieur, qui rassemblent des producteurs, souvent venus de loin pour vendre le fruit de leur passion à des amateurs de jardins tout aussi passionnés. Au fil des ans et des expositions successives, s'étaient créés des liens de sympathie et d'affinités. Les week-ends passés loin de nos bases, soumis aux mêmes aléas et contraintes, entre galères et succès, permettaient de partager de multiples moments de discussion. Nous découvrant mutuellement, par affinités nous avions appris à nous connaître, nous estimer, nous apprécier. En changeant de métier j'ai quitté ce cercle de connaissances, bâti sur la sympathie et l'entraide plutôt que la concurrence.
Dans les années qui ont suivi mon changement d'activité je suis allé revoir, de temps en temps, ce milieu convivial. Et puis peu à peu j'ai cessé, parce que la vie est ainsi faite. Parce que je ne me reconnaissais plus dans leurs conversations, parce que ma vie était autre. Je crois que j'ai eu besoin de "couper" quelque chose...
Mais hier j'ai eu envie d'aller voir ce qu'était devenue une de ces expositions, située pas trop loin de chez moi. Je savais que j'y retrouverais forcément un certain nombre de ces anciens confrères, eux qui ont continué dans le métier. Je suis venu "anonymement", sans prévenir personne, en visiteur lambda. Dès mon arrivée, au milieu de la foule déambulante et bigarrée des clients, je fus reconnu par un des exposants, manifestement surpris et ravi de me revoir. La conversation s'enchaîna immédiatement et dura longtemps, sous le signe du « alors, raconte, que deviens tu ? Et tes enfants ? Et tes arbres ? Et ton travail ? ». Au moment de reprendre le parcours à peine ébauché, un couple me reconnut aussi et vint vers moi. Les retrouvailles furent émues et une nouvelle conversation s'engagea. Reconnexion de chemins de vie. Plus loin, d'autres encore me reconnurent et à chaque fois je constatai la même mine étonnée et ravie. Au fil de mon cheminement parmi les stands des exposants, toutes les personnes retrouvées me manifestèrent une sympathie et un plaisir à me revoir. Je dois reconnaître que cela me fut doux et agréable. Se sentir apprécié procure l'indéfinissable carresse d'un petit velours...
Ce qui m'étonna le plus fut le bouche à oreille, qui se transmit plus rapidement que mon avancement de place en place dans les allées (extrêmement lent, il faut le dire) : telle personne, croisée de nouveau, m'annonça qu'une autre, sachant ma présence sur place avait très envie de me revoir. Par une troisième j'appris qu'une quatrième, croyant que j'étais déjà reparti, avait manifesté sa déception de ne m'avoir pas vu. Une sorte de murmure avait diffusé dans l'exposition : « Pierre est là ! ». Je ne m'attendais absolument pas à ces marques de sympathie et d'appréciation. J'ignorais avoir laissé un tel souvenir, moi l'homme plutôt discret et tranquille. Je n'ai vu que des signes positifs et des sourires, des regards qui ne trompent pas, y compris de la part de ceux que je connaissais le moins. Même d'anciens clients m'ont reconnu dans les allées, me donnant des nouvelles des arbres qu'ils m'avaient achetés !
Finalement j'ai passé toute la journée en joyeuses retrouvailles, parmi les plantes. Le soir venu, je fus même généreusement invité à participer au repas des exposants. À table le fil des conversations reprit comme si on s'était vus la semaine précédente.
Sait-on jamais les traces que l'on laisse de soi dans les coeurs ?