Que demander de mieux ?
Il y a trois semaines, juste avant de partir, j'étais légèrement hésitant. Je sentais mon envie de voyage quelque peu fragile, cette fois. Certes, je m'étais finalement décidé après avoir senti fugitivement battre la délicieuse pulsation du rêve-à-vivre mais, à l'approche du départ, je la sentais déjà faiblir. Mon enthousiasme était assurément moindre que lors de mes précédents périples solitaires. Moins "porteur". Je perçevais cependant qu'entreprendre ce voyage, quels que puissent être les freins, avait quelque chose de nécessaire afin de, précisément, reprendre contact avec un enthousiasme défaillant.
Le jour du départ, ni l'aéroport ni l'avion n'ont suscité cette forme d'ivresse autrefois ressentie devant la fabuleuse possibilité de partir vers n'importe quel point du globe. L'arrivée sur le sol de mon second pays de coeur ne fit pas davantage naître d'émotion, tenant presque de l'habitude désormais. Et si, en sortant de l'aérogare, je n'ai pas pu m'empêcher de regarder - acte résolument insensé - si dans la foule un visage familier ne m'attendait pas, cette pensée ne dura qu'un instant. Je filais directement, avec mon gros sac à dos, vers les loueurs de voitures.
Ayant prévu d'aller au plus tôt vers les paysages convoités, j'avais précisément repéré et noté mon itinéraire pour m'éloigner de Montréal sans hasardeux détours. Son enchevêtrement autoroutier est redoutable pour un non-initié ! Quelques heures de route plus tard je trouvais mon hébergement d'étape à la nuit tombante, pas très loin du grand fleuve. Avais-je commencé mon voyage ? Pas vraiment, malgré la distance parcourue et le décalage horaire. Tout juste avais-je pu m'assurer que les colorations automnales avaient débuté.
Ce n'est que le lendemain, après m'être rendu sur un des lieux que je convoitais, que s'est produit le déclic. Une bouffée d'émotion m'est soudainement venue devant un de ces paysages sublimes sur lesquels je révais. C'était beau à pleurer ! Et c'est bien cela que j'étais venu chercher : de grandes bouffées de vibrantes sensations ! À partir de ce moment-là mon enthousiasme s'est réveillé. Un mélange de fébrilité et de grande sérénité a pris place. Oui, j'étais là où j'avais envie d'être ; et seul, donc totalement libre. Sans nulle autre contrainte que celles que j'allais me choisir ou que les aléas m'opposeraient. Deux semaines d'entière et précieuse liberté solitaire s'ouvraient devant moi.
Je les ai pleinement mises à profit, comme mes précédents billets [et mes silences prolongés] ont tenté de le décrire.
Charlevoix, entre Baie Sainte Catherine et Saint Siméon
Ce faisant j'ai "oublié" tout ce qui habituellement fait mon quotidien. En particulier mon environnement de travail. Par ailleurs, aucune réflexion pénible ou lancinante n'est venue perturber le bien-être que j'ai trouvé là-bas. Insouciant, je vivais le présent avec une impression d'éternité. Et j'y serais bien resté...
Revenu au pays dans un état d'esprit tout à fait serein et avec des étoiles dans les yeux j'ai repris le travail détendu. L'équipe est maintenant suffisamment mature pour fonctionner temporairement sans moi et je n'ai pas trouvé sur mon bureau une pile de dossiers en souffrance, ni n'ai été assailli de demandes en attente.
Un retour tout en douceur, donc. Que demander de mieux ?
* * *
La douce quiétude aura été, hélas, de courte durée : au lendemain de mon retour une de mes soeurs, inquiète, alertait la fratrie sur l'accélération du vieillissement du couple parental et ses conséquences, me plongeant illico dans les eaux sombres d'une triviale réalité. L'avenir y ressemble davantage à un gouffre obscur qu'à de vastes paysages de liberté où tout paraît possible.
Quelques jours plus tôt, sur la route des grands espaces, et comme par une coïncidence anticipée, la radio québecoise m'avait fait découvrir une chanson évoquant cette fatalité. Elle m'avait ému et je ne résiste pas au désir de la partager avec vous...
« Le contraste est trop mince entre début et finalité
Mais tu te résignes sans peine devant cette fatalité »
Pierre Lapointe - La science du coeur