De l'arrogance du dominant
La clameur a débuté alors que, au retour d'un voyage paisible, j'étais resté dans une béate période d'abstinence médiatique, sans aucune info. Ce n'est donc qu'après quelques jours que j'ai eu vent de l'affaire Weinstein, via le blog de La Baladine. À partir de là j'ai commencé à suivre l'évènement et le mouvement de protestation qu'il a enclenché, comme un immense ras le bol. Comme un fruit mûr qui n'attendait que l'affaire de trop pour tomber en éclaboussant autour. La cocotte-minute sous pression a explosé.
Je ne vais pas en rajouter à ce qui a été dit et redit sous tous les angles possibles, mais tenter d'élargir un peu le sujet après un détour du côté des victimes.
Beaucoup de mots et d'idées ont été lancés, et peut-être pas toujours dans les directions les plus pertinentes. Inévitable. C'est le propre des sujets brûlants, à connotation passionnelle parce que devenus insupportables. Il faut que ça sorte. Même si c'est confus, même si se mélangent et s'amalgament des éléments qui n'ont pas de lien direct.
Quand une victime se plaint, on ne doit pas mettre sa parole en doute. On l'écoute. On la laisse déverser son mal-être, sa révolte, sa colère, exprimer ses blessures profondes, sa tristesse, son sentiment d'injustice. On ne pointe pas les éventuelles exagérations, on ne minimise pas sa souffrance, on ne disqualifie pas ses ressentis : la parole doit d'abord se libérer... quitte à ce qu'elle soit nuancée ultérieurement par la victime elle-même, une fois qu'elle se sera sentie vraiment entendue et pleinement comprise. "La" victime, ici, c'est "la" femme (bien que le fait d'assimiler la femme à une victime puisse donner lieu à discussion). C'est le genre féminin dans son ensemble, en tant que groupe exposé. Toutes les femmes, donc, même si toutes n'ont pas été directement concernées par des violences sexuelles à leur encontre. Toutes (ou presque) se sentent concernées parce qu'elles restent les victimes potentielles d'actes irrespectueux. Ou tout du moins des "proies" pour ceux qui se sentiraient avoir des droits sur elles. Les femmes sont cette moitié de l'humanité qui subit la domination masculine de toute éternité. Une domination plus ou moins marquée, plus ou moins contrée, mais omniprésente et tenace, très profondément enracinée dans les consciences et les cultures. Une hiérarchie de fait, véhiculée autant par les hommes... que par les femmes. Sans même en avoir forcément conscience. C'est, il me semble, ce que l'on appelle des "impensés culturels".
Je crois qu'il est difficile pour un homme de se rendre compte de ce que cela signifie, viscéralement, d'être femme. Tout comme il est difficile au groupe dominant des blancs de se rendre compte de ce que peut ressentir une personne de couleur. Et difficile au puissant de mesurer ce que ressent l'opprimé. Je crois que seuls ceux qui subissent une domination disposent de la légitimité pour en décrire les effets. Les dominants ne peuvent en prendre conscience que par empathie, grâce à une écoute attentive et humble des dominés, pleine de respect et non jugeante. Une position pas forcément simple à intégrer, car contre culturelle, mais qui peut devenir un atout pour transmettre cette parole au sein même du groupe dominant. C'est pourquoi je pense que les hommes lucides ont toute leur place aux côtés des femmes pour défendre les positions de leurs soeurs, amies, filles, mères, compagnes.
Le "manspreading" [étalement masculin]... tout un symbole
(image du net)
Mais je voulais aller un peu plus loin dans mon propos...
Des termes et concepts tels que "domination", "violences", "habitudes culturelles", "pouvoir", "jouissance", "non-consentement"... lus ou entendus à propos du comportement prédateur de certains hommes, qui s'arrogent un droit à profiter au nom d'une supériorité auto-proclamée, disqualifiant ou minimisant les ressentis des opprimé(e)s... tout cela m'a fait penser à tout un système de pensée beaucoup plus large qui s'arroge des droits supérieurs en tant que groupe dominant, privilégié, asservissant d'autres groupes considérés comme de moindre valeur pour son plaisir et son confort égoïste. Je ne parle plus là des seuls mâles, mais des humains en général. De tous les humains, femmes comprises. De nous, groupe auto-centré qui a décidé de se placer au sommet d'une supposée "pyramide de l'évolution", disposant ainsi à sa guise de tout ce qu'il considère comme inférieur. C'est à dire l'ensemble des animaux non-humains (auxquels les noirs furent un temps assimilés...), êtres sensibles longtemps supposés dénués de conscience, et bien évidemment tout ce qu'on peut assimilier à la nature. Une nature qu'il convient, au mieux, de domestiquer et au pire d'exploiter. Ne parlons même pas du sol et du sous-sol, même pas "vivants", donc exploitables à l'envi.
Cette logique prédatrice et arrogante, on le sait, nous conduit tout droit à notre perte.
Quand je vois avec quelle lenteur l'évolution des mentalités opère en ce qui concerne ce qui se passe au sein de notre propre groupe "privilégié", à l'égard de sa moitié opprimée, j'ai quelques craintes pour d'autres causes : ségrégation (raciale, sociale, économique, géographique...), exploitation humaine, exploitation animale, exploitations des forêts, exploitation des sols, pillage des ressources...
Ceux qui tentent de défendre ces "sans-voix" sont à peine audibles, souvent moqués, dénigrés, disqualifiés. Voire assassinés.
« Ben oui, quoi, c'est dans la nature des choses ! L'humain à le droit de se servir. Après tout, on a toujours fait comme ça ! L'Homme d'abord ! »
Je ne sais pas si « la femme est l'avenir de l'homme » mais j'aimerais assez que ce qui se passe actuellement avec la dénonciation d'un système de domination originairement masculin aille au delà de l'interrogation des seuls mâles.