Cher(s) lecteur(s),
Il y a quelques années j'écrivais ici quasi quotidiennement et abondamment. J'avais pris l'habitude de passer par la mise en mots pour clarifier ce qui agitait mon esprit et mes sensibilités. Je crois que j'avais aussi besoin d'échanges, de partage de réflexions et même de petites controverses fertiles. Je trouvais cela humainement enrichissant et potentiellement profitable à chacun. J'aimais bien les discussions qui pouvaient apparaître inopinément et se développer dans le fil des commentaires, les affinités établies sur le temps long comme celles qui ne duraient pas plus longtemps qu'un arc en ciel. Peut-être avais-je aussi besoin de me sentir apprécié ? [oui !]
Et puis, comme vous avez pu le constater, progressivement, imperceptiblement, tout cela a fini par s'espacer, se tarir, s'étioler. Raréfaction des mots, des échanges, des discussions. À tel point qu'aujourd'hui... écrire ici n'a plus de sens pour moi.
Pourtant cet espace demeure, avec toutes les traces de ce qui s'y est échangé activement. Aujourd'hui je ne sais pas trop qu'en faire...
Il reste, j'en suis certain, l'esprit des connivences endormies. Celles des liens tissés avec plusieurs d'entre vous, "lecteurs-commentateurs" (en fait presque exclusivement lectrices). Qu'il s'agisse de simples "connaissances" ou de formes d'amitié distante, la poussière du temps se dépose et les recouvre. J'ai pensé, depuis plusieurs semaines, à écrire quelques mots. À manifester ma présence par... disons... fidélité [amitié ? courtoisie ? politesse ?]. Mais rien ne me venait. Blanc total. Je me sentais... loin. Très loin. Comme parti ailleurs. Et de fait, oui, je suis un peu parti. Je me suis éloigné de la sphère égocentrée [sans idée péjorative aucune]. La mienne comme celles des autres. Mes sujets de préoccupation ont été appelés vers de plus vastes horizons. Parler de moi ne m'intéresse plus [là je réfléchis longuement sur ce que je viens d'écrire, qui me surprend].
Parler de moi ne m'intéresse plus.
Du moins plus de la même façon..
S'il m'a longtemps été nécessaire de « tourner autour de mon nombril » [pour reprendre l'aimable expression de ceux que cela défrise], force est de constater que ça ne m'inspire plus. Il semble que j'ai suffisamment éclairci les zones d'ombre et de mal-être pour en sortir. Je ne renie donc en rien ce travail introspectif passé, me réjouissant au contraire des bénéfices que j'en tire aujourd'hui en termes de tranquillité d'esprit et d'ouverture aux autres [ouverture calibrée, cependant]. Dans mes pensées le calme règne. Avec les autres j'ai davantage de facilités à dire plus franchement ce que je pense et ressens, y compris sur le plan émotionnel. De plus en plus je l'exprime directement aux personnes avec qui j'interagis, pas en le lançant dans le vague, pas en contournant la confrontation, la réaction, l'explication. Il y a là d'avantage d'authenticité ; d'assertivité. Et ça, ce n'est pas sur un blog-exutoire que ça s'exprime : c'est en face à face.
Et puis je crois désormais savoir gérer seul mes émotions et ressentis, sans avoir besoin d'en parler autour de moi. Ni besoin de l'écrire, donc. C'est devenu plus simple, plus fluide. Mon existence est devenue très... calme. Et je fais en sorte que cela perdure. Par exemple j'ai récemment été déstabilisé par un changement professionnel auquel je ne m'attendais pas. D'abord fortement affecté [sensibilité d'ego], j'ai su m'en ouvrir rapidement et saisir ce que l'épreuve recelait d'opportunités. En quelques jours je l'avais dépassée. Mieux : j'en suis sorti renforcé et avec une estime de moi affermie.
Mais tout ceci n'est que l'écume du quotidien. Aujourd'hui je suis tenté de dire que je n'accorde pas davantage d'importance à ces éléments superficiels que ce qu'ils méritent. Ce qui me préoccupe puissamment, par contre, ce qui m'intéresse, me fascine, m'anime et me questionne, c'est... notre sort commun. Celui de notre humanité et, au delà, de l'ensemble de la biosphère que « nous » (moi y compris) persistons à détruire, piller, exploiter allègrement, faute de remise en question suffisamment radicale. Désormais je ne parviens plus à croire évitable ce que je n'évoque plus qu'avec ceux qui ont cette conscience et se questionnent autant que moi.
Alors relativement à ça, vous comprendrez que les éventuelles tribulations de mon existence privilégiée ne pèsent pas lourd ;)
Voilà. Vous saurez un peu là où j'en suis depuis que je n'écris plus.
Villa Taranto, Lac Majeur, Italie, Mai 2018