Je profite d'une parenthèse légèrement introspective pour écrire un peu.

Tout absorbé que je suis par la perspective d'un futur instable, je me suis beaucoup éloigné des préoccupations mineures centrées sur mon auguste nombril. Si certains s'intéressent de près aux revendications des "gilets jaunes" [ou à tout autre chose], d'autres s'inquiètent, de façon plus large, du devenir du vivant. Je fais plutôt partie des seconds, quoique je suive aussi, de loin, les situations souvent douloureuses exposées par les premiers.

Tout cela mobilise mon attention et mon temps disponible n'est pas extensible. Il m'arrive pourtant, de temps en temps, de me poser quelques questions d'ordre plus personnel. « Comme avant », pourrais-je dire. Je n'en fais plus état par écrit, faute de temps, donc. Ou par manque d'intérêt. Ou par discrétion. Ou un peu de tout ça à la fois. Bref : quelles qu'en soient les raisons je n'utilise plus beaucoup ce mode de réflexion-conscientisation qui, dans le passé, m'a été profitable. Je l'appelais "l'écriture en partage" et ce blog en a été l'un des principaux outils.

J'ai déjà expliqué qu'au fil du temps les choses se sont un peu compliquées, me poussant à une autocensure croissante. Probablement excessive aujourd'hui, car il reste des domaines que je peux explorer sans trop de risques. Tant que je ne touche pas aux sujets pouvant susciter des réactions épidermiques...

Cette précaution mise à part, je veux quand même préciser que personne [ou si peu] ne m'a jamais ouvertement intimé de me taire. J'ai seulement senti que certains sujets "dérangeaient" une part de mon lectorat. C'est donc moi qui me suis peu à peu retiré, suivant en cela une inclination naturelle : je n'aime pas mettre l'autre en difficulté [ni moi-même, d'ailleurs]. Surtout sur des questions sensibles. Mais du même coup je me suis privé d'échanges potentiellement enrichissants... sans retrouver la contrepartie dans mon environnement relationnel. Internet m'avait permis d'entrer relativement facilement en contact, m'en éloigner me renvoie vers une difficulté ancienne qui n'est qu'incomplètement résorbée. Faute de savoir aborder "l'Autre" simplement [ou avec simplicité ?], je n'ai pas vraiment su trouver un palliatif équivalent dans le "vrai monde". Même si ma capacité à entrer en relation s'est améliorée, je reste largement inféodé à la prise d'initative des autres...

Je me demande si ça m'arrange [liberté du solitaire !] ou si je le déplore [manque d'ouverture]. Je sens quand même confusément que je perds quelque chose à me complaire dans une relative solitude. Le modus vivendi pour lequel j'ai opté est sans doute plus proche de la facilité confortable que de la prise de risque.

Si je m'appesantis sur ce sujet aujourd'hui c'est parce qu'une récente connaissance féminine a rapidement décelé chez moi une forte propension à l'auto-contrôle, m'invitant implicitement à me laisser aller à davantage de spontanéité. Je ne peux pas dire que j'en ai été surpris, tant cela m'a déjà été dit... Laisser s'exprimer ce que d'aucuns appellent "la part d'enfance" m'est quasiment inaccessible en dehors de conditions bien particulières. J'ai appris à vivre avec ça, m'adaptant aux circonstances et trouvant mon équilibre entre présence et isolement.

Ma vie est essentiellement solitaire [mais pas que]. Adoptée comme telle suite à un malheureux concours de circonstances, elle présente l'immense avantage de m'offrir un appréciable sentiment de liberté. Ce précieux état présente cependant un léger inconvénient : partager, échanger, discuter, rire, ne peut résulter que d'une démarche volontaire. Ce qui revient parfois à me forcer un peu, tant la solitude tranquille m'est confortable. Or j'aime partager, pour l'enrichissement que cela permet, et j'aime la solitude pour la totale liberté offerte. Il me revient donc de choisir de quel côté je place le curseur pour trouver mon équilibre entre ces contraires.

Certes, je l'ai trouvé depuis une dizaine d'années. Mais peut-être a minima...

Il suffit d'une rencontre un peu stimulante pour que je me me rende compte que j'opte bien plus souvent pour le plaisir calme du solitaire que pour celui, plus intense, du vrai partage enrichissant, surprenant, déstabilisant. Or je l'aime beaucoup, celui-là ! Il peut être source de grandes satisfactions... lorsque le contexte est favorable. Malheureusement c'est là que, pour moi, les choses se compliquent : il y a des conditions nécessaires. Les réunir ne va pas de soi et tient parfois de la recette alchimique, avec de nombreux ingrédients au savant dosage : nombre de personnes présentes, ancienneté de connaissance, sujet de la conversation, ambiance environnante, degré d'affinité et de confiance, charge émotionnelle... chacun de ces éléments est un des critères qui peuvent contribuer à la réussite. C'est à dire une parole libre et spontanée.

Honnêtement, il est assez rare que j'y parvienne rapidement et peu nombreuses sont les personnes avec qui cela est ou a été possible. À tel point que, la maturité venant, j'en suis arrivé à me dire que je suis peut-être porteur d'un trouble de la sociabilisation. Un truc qui me dépasserait. Ce n'est pas totalement nouveau : autrefois je m'étais un peu intéressé à l'anxiété sociale, donnant une explication plausible à ma difficulté à aller au devant des autres. Mais les années passent et je me dis qu'il y aurait peut-être autre chose. Une sorte de... blocage de la pensée lorsque les fameuses conditions ne sont pas réunies. Un peu comme si je perdais mes facultés de raisonnement et d'expression lorsque je ne me sens pas suffisamment en confiance. Ce terme, un de mes fondamentaux, m'accompagne depuis l'adolescence. Il conditionne fortement mes capacités d'interaction. C'est simple : sans cette sensation de confiance je me vois devenir neutre. Je suis bien présent, attentif, mais ne m'exprime pas.

À une époque il me semblait qu'à ces moments-là je ne pensais pas. En fait c'est l'inverse : je "capte" beaucoup d'éléments informatifs sans pouvoir les traiter simultanément. Mes pensées sont saturées d'informations et de réflexions mêlées. Du coup ma propre pensée, le processus mental qui me permet d'élaborer une suite logique d'idées, est très fortement ralenti par tout ce que perçois de l'environnement. De plus ma pensée, qui n'est pas linéaire, a tendance à explorer toutes les possibilités qui se présentent (pensée "en arborescence"). Ce qui rend impossible une réponse rapide, sûre et simple [celles que tant de gens attendent]. Pour moi la réponse est souvent mitigée, nuancée, plurielle, ambivalente et susceptible de changement. Mon mode de pensée ne me permet que d'élaborer lentement la complexité. Souvent plus lentement que le fil d'une conversation.

J'ai appris à vivre avec ça, m'en accommodant plutôt bien. Je me place en léger retrait, en observateur discret plutôt qu'en participant actif. Sauf que, j'en ai bien conscience, j'ai tendance à fuir les situations qui pourraient me confronter à cette... difficulté. Je préfère donc souvent la solitude, dans laquelle je suis pleinement conscient et apte à ressentir. Je reste un "sauvage", même si je me suis adapté au travail parmi les autres. Ce qui rend ces contacts possibles c'est l'objectif : faire du bon travail. L'éventail reste large, me permettant d'interagir avec différents groupes... sans m'attarder. Je ne suis pas de ceux qui racontent leur dernières vacances ou leur week-end. Par contre je suis souriant, aimable, probablement agréable. Mais... rien de personnel ne filtre.

Ce n'est pas un choix délibéré, ni une protection exacerbée de ma vie privée [quoique...] : cela participe de la "fuite" face aux conversations dites "superficielles". Car oui, j'ai une exigence [là encore non choisie] : j'ai besoin que ce dont on parle soit « intéressant ». Je sais : la notion est plutôt vague et éminemment subjective. Disons que je ne goûte guère les conversations plates, les banalités, qui m'ennuient très rapidement.

Est « intéressant », pour moi, ce qui va m'apprendre quelque chose. C'est ce qui va stimuler ma réflexion ou mes émotions, c'est ce qui va me faire douter de ce que je croyais savoir ou au contraire me conforter. En règle générale c'est ce qui touche à ce qui m'importe vraiment : les relations humaines, au sens large. C'est à dire sur les plans philosophiques, éthiques, sociologiques, psychologiques, de l'échelle planétaire à celle de l'individu en passant par celle, déterminante, de la société dans laquelle je vis.

Dans la vie courante je n'ai pas très souvent acccès à ces conversations « intéressantes ». Je ne les induis pas non plus, je dois bien le reconnaître. Je me contente de saisir les échanges au bond, quand il y a plusieurs personnes, ou de compter sur les capacités conversationnelles de mon interlocuteur-trice quand il-elle est seul-e [je laisse tomber l'écriture inclusive à partir d'ici].

Il existe bien sûr le cas particulier des proches, famille et amis. Avec eux les échanges sont d'emblée « intéressants », ne serait-ce que parce qu'on sait déjà ce qui nous réunit, les sujets qui nous plaisent et ceux qu'il est inutile d'aborder pour causes de divergences stériles. Mais ce mirocosme présente l'inconvénient majeur d'être relativement confortable : pas de grosses surprises, pas de façon de penser radicalement nouvelle. Sans être un circuit totalement fermé, puisque chacun bénéficie d'apports extérieurs, ça reste quand même de "l'entre-soi".

Or, reconnaissons-le, l'inconnu apporte quelque chose de nouveau, d'inattendu, et par là-même de stimulant. "L'Autre" ouvre vers un éclairage différent, un point de vue insoupçonné, des références inusitées.

 

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