Une note d'espoir
En prenant de la distance avec l'écriture j'ai libéré un temps que j'utilise à m'informer abondamment et laisser ma conscience s'imprégner de ce que je sais. J'ai aussi laissé émerger les axes que j'allais suivre, tant pour ce qui me concerne que ce qui concerne mon rapport au monde. Il y en a au moins trois : me préparer à ce qui s'annonce (psychologiquement et pratiquement), informer qui veut bien écouter, agir "politiquement".
Pour ce qui est de me préparer, c'est un travail de fond, donc considérable. Déconstruction de ma vision de l'avenir, recomposition de mon imaginaire, mise en action personnelle d'une réduction continue de mon empreinte écologique.
Informer, je le fais par différents canaux dans les sphères dans lesquels j'ai pris place : principalement au travail, dans la municipalité à laquelle je participe, et au sein d'une association dédiée au thème qui m'occupe.
Agir politiquement, outre ce sur quoi j'ai déjà pu influer depuis ma toute petite place de conseiller municipal au sein d'une intercommunalité, c'est m'engager une nouvelle fois dans l'aventure élective (alors que je me réjouissais d'arrêter bientôt...). Cette fois avec un projet résolument engagé dans ce qui me tient à coeur et la volonté de peser sur les choix de l'intercommunalité.
Dans ces trois axes je me heurte à la force pesante et puissante de l'inertie. La mienne tout d'abord : il m'est difficile de changer rapidement dans un monde qui ne change qu'avec une extrême lenteur. Face aux autres, ensuite : il m'est difficile de tenter d'informer en me cognant sans cesse à l'insouciance, à l'inconscience, au scepticisme, y compris parmi ceux qui se disent sensibles à la cause écologique. Il m'est tout aussi difficile de me taire et de me sentir, là encore, en grand décalage avec la plupart des gens.
Si j'étais seul, je crois que je me sentirais dépassé par l'ampleur du déni général. Heureusement je peux échanger sur le sujet avec d'autres "lucides", proches ou pas. Partager sans susciter dénégations ou minimisations. Sans se voir considérés comme des "pessimistes" ou "catastophistes" obnubilés par des sujets sinistres. Divers réseaux conviviaux se sont constitués, qui nous permettent d'observer l'immobilisme et tenter d'en comprendre les mécanismes. Notre perplexité et notre sentiment d'impuissance s'allègent dans le partage, et même une certaine jovialité.
De plus en plus c'est la dimension psychologique du déni qui retient mon attention. Avec cette intrigante question : qu'est-ce qui fait que l'on ne croie pas ce que l'on sait ? Avec, en corollaire, une autre question, loin d'être superflue : est-ce utile de savoir ? Est-ce que la connaissance change les comportements ? Si la réponse est négative, à quoi bon informer ? Ou, autrement dit : faut-il chercher à éveiller les consciences de ceux qui n'y sont pas prêts ? Ou de ceux qui ne veulent pas savoir ? Comme je ne veux pas forcer les gens, il me faudrait susciter leur curiosité, induire leur envie de s'informer... et éventuellement être prêts à accueillir l'inquiétude qui ne manquera pas d'apparaître.
Au terme de conférences dressant le constat sombre de l'état du monde, sourd forcément une inquiétude dans l'auditoire non averti. Pour peu qu'ait été introduite un peu de prospective en considérant l'accélération continue du processus de destruction de la biosphère, une part de l'assistance se sent lourdement plombée. Comme étourdie après un coup de massue. Intervient alors, quasi systématiquement, l'inévitable appel à l'aide : « J'ai l'impression, après vous avoir écouté, qu'il n'y a pas d'espoir... ». De même, lorsqu'un journaliste interroge quelque auteur ou scientifique sur le même thème, l'entrevue ne saurait se terminer sans une quelconque version de cette phrase à visée délivrante :« Pour conclure, donnez nous une note d'espoir ».
Le constat étant trop rude, il s'agit trouver une échappatoire. En quelque sorte, effacer immédiatement ce qui vient de percuter la pensée. Retrouver au plus tôt l'insouciance qui préside à nos vies.
Mais de quel espoir s'agit-il ?
En filigrane il apparaît clairement : l'espoir que l'on puisse échapper à ce qui vient d'être décrit comme inéluctable. Étonnante propension de l'humain à ne pas vouloir savoir ce qui le menace. Puissant mécanisme protecteur du déni de réalité qui permet de sous-entendre, sans en percevoir l'absurdité : « j'ai bien entendu ce que vous nous avez dit [et, parce que ça me fait peur], dites-moi maintenant que ce n'est pas vrai ».
Récemment confronté à ce genre de réaction, j'ai voulu revenir sur le terme "espoir". Au simple fait de sa formulation dans ma phrase, j'ai vu des sourires illuminer les visages. Alors j'ai demandé quel espoir était attendu. Si c'était celui de continuer comme avant... alors cet espoir serait forcément déçu, tôt ou tard. Par contre, s'il s'agit d'espérer quelque chose de bénéfique et d'agir en ce sens... alors oui, il y a des pistes d'action. En quelque sorte, l'espoir ne vaut que s'il pousse à l'action.
L'étymologie du terme "espérer" signifie : « attendre quelque chose comme devant se réaliser ». Espererar, en espagnol, a d'ailleurs conservé le sens de "attendre". En français il a un double sens subtilement différent :
1. « Attendre avec confiance un bien que l'on désire; considérer comme possible et probable sa réalisation; considérer comme certaine une chose dont on n'est pas scientifiquement, objectivement sûr. »
2. « Avoir confiance dans l'avenir, dans la vie; entrevoir que la vie ne se termine pas dans le néant mais qu'il y a survie de l'individu (par la descendance, la vie future); entrevoir une issue favorable à la situation actuelle »
Quand il est demandé des raisons d'espérer, ou cette fameuse "note d'espoir", c'est clairement la deuxième option qui est sous-entendue. Quelque chose de nettement moins certain que la première définition. « Attendre avec confiance » indique un haut degré de certitude, alors qu'avoir simplement « confiance dans l'avenir » laisse entendre que c'est un pari.
Pour ma part, je me méfie de ma proposension à espérer. Je ne veux la relier qu'à une action. Certes il y a l'espoir de réussir... mais pas sans implication personnelle. En cela je fais ma part... acceptant qu'elle ne pourra contribuer qu'en partie au résultat attendu. Et pour ce qui concerne le futur de nos vies, je sais que mes actions devront être jour après jour plus engagées. Ce sera sans fin parce que l'objectif à atteindre nécessite d'ores et déjà des efforts constants et de plus en plus exigeants.
Honnêtement... il m'est devenu difficile de rester impassible quand je me trouve face à des personnes qui, sans plus d'implication, affirment qu'elles préfèrent rester optimistes, qu'elles veulent garder espoir ou considèrent que l'homme trouvera bien une solution.
Vercors, un automne ensoleillé (2016)