Quelques heures d'attente
Plus d'une année s'est écoulée depuis la première rencontre. Neuf mois depuis la première réunion. Et depuis trois mois nous étions "à fond" dans la préparation de cette élection municipale. Nous avons élaboré notre projet participatif, tendance "Transition et protection du cadre de vie" (surtout éviter le mot "écologie", qui fait trop peur à certains...), nous sommes allés à la rencontres des habitants, avons dialogué, écouté, proposé.
Depuis une semaine c'était la dernière ligne droite, avec une réunion publique... deux jours avant qu'elles soient limitées à 100 personnes pour cause d'épidémie. De toutes façons nous n'avons pas atteint ce nombre, probablement parce que la crainte était déjà là, véhiculée par un climat anxiogène.
Depuis quelques jours ma légèreté relativiste commençait à être ébranlée par ce que je lisais de diverses sources. Cette épidémie semblait plus sérieuse que ce que j'imaginais, du simple fait des exponentielles de propagation. On a toujours du mal à se représenter une exponentielle.
Et puis jeudi, cette annonce que les municipales pourraient être reportées. Ce qui impliquerait de recommencer tout le processus, dans un délai inconnu... dont rien ne disait qu'il serait plus favorable à la tenue d'un scrutin électoral. Élections finalement maintenues, mais dans un contexte bien plus rigoureux. Et hier soir, annonce de la fermeture des commerces et de nombreux autres lieux. Certaines voix reviennent à la charge pour demander de reporter les élections, qu'il serait iresponsable de maintenir. En même temps, d'autres s'agglutinent dans les magasins pour faire des stocks d'égoïsme décomplexé.
Quelques voix compétentes s'élèvent pour dire que ce n'est que le début et que ça va empirer, suivant la même trajectoire que l'Italie. Il va y avoir des morts, beaucoup, parce qu'on n'a pas été confinés assez tôt et que beaucoup continuent en toute insouciance à se faire la bise ou se serrer la main. Or chaque jour de retard dans la prise de mesures de distanciation, c'est 40% de morts en plus. Chaque jour de retard...
D'autres voix, à peine audibles dans la cacophonie ambiante, essaient de rappeler que ce chaos ne donne qu'une pâle idée de ce que sera la désorganisation de notre très vulnérable société mondialisée quand les effets du changement clmatique, ou la réduction du flux de pétrole, ou l'effondrement du système économique, ou l'interaction de tout cela à la fois se manifestera.
Est-ce que la crise actuelle du Coronavirus, dont on commence à mesurer les effets sur l'économie et l'humain, permettra de prendre conscience de notre extrême vulnérabilité ?
Sans savoir qu'elle adviendrait aussi tôt, cette question de vulnérabilité je l'ai portée tout au long de nos réunions de travail, rappelant régulièrement qu'il fallait penser à la résilience de notre territoire, notamment sur le plan alimentaire. On n'a souvent fait comprendre que j'étais trop alarmiste, voire catastrophiste (comme Cassandre...), et qu'il ne fallait pas faire peur aux électeurs. J'ai validé le fait de passer sous silence cet aspect des choses, parce que le plus important était d'être élu. Strétégie politique. Bien sûr, ce que je sais m'a quelque fois échappé et j'ai dû adoucir encore plus mon discours. Le neutraliser. Rester dans l'acceptable. Laisser dire que faire des petits pas c'était déjà bien et que l'on ne pouvait pas tout changer du jour au lendemain.
Et bien si, on peut, comme on le voit en ce moment. Sauf qu'on le peut parce que c'est encore perçu comme provisoire, dans l'attente d'un retour à la normale. Or ce dont je parle est de renoncer à cette "normalité" intenable sur le long terme.
Dans quelques heures, nous saurons si nos idées ont convaincu une majorité d'habitants. Dans quelques heures je saurai si je peux enfin parler clairement de ce qu'est notre avenir. Même s'il peut faire peur.