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Alter et ego (Carnet)
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6 février 2022

En voie de disparition

Avec une infinie lenteur l'esprit de ma mère s'éteint. Sans bruit, sans heurt, la vie la quitte. Organiquement son corps fonctionne encore, mais ce qui était l'essence de sa vie s'en va. Elle perd inexorablement la motricité, la parole, la pensée (quoique sur ce point il est difficile de savoir ce qu'il en est). Elle n'est pas morte mais elle n'existe plus vraiment. Les moments d'échange, de plus en plus fugaces, ne cessent de se raréfier. La vie s'efface, la relation s'estompe. Que reste t-il d'une vie humaine sans relation à l'autre ?

J'ignore le degré de conscience qu'elle peut avoir de sa situation. Je me demande comment elle fait pour supporter d'être ainsi, chaque jour, davantage dépossédée d'elle-même. Constater sa propre anihilation. 

De mon côté j'apprivoise cet effacement progressif. Disparition lente, dilution oméopathique. Perte sans brutalité ni radicalité, à peine perceptible, en douceur. Comme des fils de soie qui cèdent.

Bizarrement, je crois que ce très lent détachement correspond exactement à mon rythme d'acceptation.

Mourir lentement, comme un vieil arbre qui, dépérissant durant des années, voit la vie régresser en lui. Comme un amour qui, sans être nourri en retour, finit par s'éteindre.

Est-ce que la fin est plus acceptable si elle vient lentement ?

Je me souviens des injonctions qui me furent faites, autrefois : coupe ! tranche ! Autrement dit : tue ! Vite, abrège les souffrances ! La mort pour retrouver la vie ? Une autre vie ? Je ne crois résolument pas à la vie après la mort. Ce qui meurt ne revient jamais et c'est pourquoi j'ai besoin de temps. Pour accepter la fin de ce qui a été vivant. J'ai besoin de temps pour honorer ce qui fut vie, partage, sensations, beauté, vibrations.

 

IMGP7920

 

Un peu partout, en silence, lentement, loin des yeux et loin du coeur, le vivant se meurt. Massivement. Des biotopes sont massacrés, anéantis, sans que quiconque ne s'en émeuve. La rumeur de milliards d'apocalypses diffuses est inaudible. D'autres lieux, subissant un sort comparables mais humanisés, entrainent parfois des résistances farouches ou de lointaines indignations éphémères. Hélas, on n'arrête pas longtemps la destruction en marche. Ou bien elle se reporte ailleurs. Pour que l'homme vive, il faut que nature meure. Discrètement de préférence. On n'aime pas voir la mort en face. On laisse faire la sale besogne à quelques uns, qui se tuent à la tâche, pour que d'autres puissent continuer à courir après le mythe du bonheur « parce que j'y ai droit ».

Triste course vers la mort de l'irremplaçable vie.

Il me faudra bien le reste de ma vie pour accepter l'incommensurable perte en cours. Et cependant vivre ! Et se réjouir de chaque instant de sursis.

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