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Alter et ego (Carnet)
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31 juillet 2022

Lettres oubliées

L'été a commencé avant l'heure. Il a déjà trois mois et fin juillet ressemble à octobre. Des feuilles sèches gisent au sol, bien trop tôp pour la saison. L'eau manque pour les arbres, une fois de plus. L'herbe a une couleur de savane et craque sous les pieds. Les ruisseaux sont à sec. Plus haut les glaciers fondent. Ailleurs des forêts brûlent.

N'en parlons pas : pour beaucoup c'est le temps des vacances et il ne faudrait pas les gâcher avec des considérations anxiogènes. 

Pour moi c'est la trève estivale. Le temps des réunions est suspendu jusqu'en septembre et les actions collectives, aussi urgentes soient-elles, sont reportées à plus tard. Libéré de ces multiples sollicitations, je retrouve du temps pour moi. Je peux cogiter un peu, et même écrire.

Il y a quelques jours, la chaleur caniculaire rendant l'extérieur peu attirant en journée, j'ai choisi la fraîcheur de la maison afin d'effectuer quelques rangements. Du tri dans des dossiers et divers documents, plus ou moins en vrac, m'ont permis de jeter des kilos de paperasse périmée. Archiveur désordonné, je garde baucoup plus que nécessaire. Peut-être pour avoir le plaisir de retrouver des traces de ce qui fut. Sensations ou émotions se ravivent alors, au hasard des désempilements et des redécouvertes. Dans cette sédimentation documentaire je constate l'écoulement du temps. C'est ma petite archéologie personnelle

Dimanche, j'ai ainsi eu l'heureuse surprise de découvrir de précieux documents dont j'avais oublié l'existence. Des lettres, laissées par C., puis L., deux des femmes avec qui j'ai accepté, jadis, l'exploration conjointe des possibles. C'était à l'époque durant laquelle, circonspect mais curieux, j'étais plutôt ouvert aux rencontres sensibles et me laissais approcher assez facilement. Était-ce pour vérifier mon potentiel de séduction, fragilisé par une sévère déconvenue ? Tenté par des parenthèses à tonalité affective et sensuelle, mais sans attachement, j'évaluais encore mal les conséquences et les impasses auxquels ce cocktail hasardeux pouvait conduire.

La relecture des lettres enfouies et leurs touchantes confidences m'a ramené en arrière, ravivant instantanément ce qui s'était partagé à ce moment-là. Images et sensations, douceur et discussions, questionnements partagés. Il y avait du vraiment bon et du... plus compliqué. C'est celui-ci qui m'est revenu le plus nettement. Comme une gêne mal enfouie, prête à ressurgir. Car je sais avoir, malgré moi, causé tourments et chagrins en ne répondant pas à certains désirs. J'en garde une sensation de malaise et d'inachevé. Le flou et l'incertitude causés par mes hésitations rendaient, je le sais, mes intentions peu claires. Je n'en suis pas fier. Il aurait fallu du temps, de la patience, du dialogue... ou au contraire, peut-être, que je prenne des décisions tranchantes. Mais j'ai la patience de l'alchimiste, qui persévère sans pouvoir garantir que l'expérience tâtonnante donnera un résultat réciproquement satisfaisant. Je crois que la complexité, en elle-même, me stimule.

Pour quelqu'un qui recherche la simplicité c'est, pour le moins, paradoxal ! Mais en fait non : c'est un peu comme si j'avais besoin de tout mettre à plat. Clarifier. Décortiquer les doutes et les ambiguïtés, les lever pour établir une confiance et parvenir enfin à cette tranquille complicité dans laquelle je me sens libre d'être moi. Traverser la complexité pour atteindre la simplicité, en quelque sorte.

Ce mode de fonctionnement est peut-être singulier. Trahit-il une sensibilité exacerbée ? Ou un désir d'idéal ? Une prudence excessive ? Un besoin absolu de clarté ?

Quoi qu'il en soit, cette quête reste inaboutie.

Des années plus tard je reste porteur d'une vague honte, plus ou moins refoulée : mes hésitations ont causé de la souffrance. Mes explorations relationnelles, mes indécisions, les épisodes de malaise les accompagnant, ne correspondaient pas à ce que je pensais pouvoir échanger dans une relative légereté. J'imaginais un partage d'envies, réciproquement nourricier, équitable et compatible. Durable. Mais généralement ça ne durait pas bien longtemps. Dès lors que l'on investit une part émotionnelle, sensible, affective, voire sentimentale... on prend le risque de mettre en évidence inéquité et décalage d'attentes. De ceux-ci peut naître la douleur mordante de la non-réciprocité. Celle qui vient nous chercher profondément, nous tenailler, ravivant des besoins inassouvis issus de l'enfance. Mettant à jour des vulnérabilités insoupçonnées. Pour moi, qui suis sensible à la sensibilité d'autrui, accompagner ce genre de situation est extrêmement délicat et a pu me mettre en échec. Être présent sans faire mal devient forcément périlleux puisque au coeur d'un antagonisme : rester proche et attentionné tout en ne pouvant pas l'être autant qu'espéré. Je n'ai pas toujours su faire.

Ce n'est pas fondamentalement impossible puisque je réussis l'exploit de partager une relation affective complexe depuis une douzaine d'années. Elle est cependant, depuis son origine, dans une perpétuelle précarité et se vit bien davantage dans l'absence que dans la présence.

Hormis cela, perturbé par trop d'expériences suspendues, j'ai mis mes désirs de rencontre en sommeil. Je n'ai plus su - plus pu, plus voulu - m'ouvrir à de nouveaux possibles. Et de fait, depuis une dizaine d'années il n'y a plus eu de rencontres aussi poussées. Par défaut, je suis redevenu "unipartenaire". Non par conviction, mais par pragmatisme. Par simplification. Par résignation. Par amitié, aussi. Par fidélité.

C'est bien beau tout ça, mais la vie, elle est où là-dedans ?

Mes énergies vitales se sont projetées vers d'autres champs de découverte, de réflexion et d'action. Je me suis engagé pour la cause écologique, qui a bien besoin d'être soutenue. Dans ce militantisme à ma mesure je trouve un contraste d'enthousiasmes et de déceptions qui a l'immense mérite de ne blesser personne.

Et la joie ? Elle est où, la joie ?

Dans les souvenirs, assurément, même si le passé n'est pas sa meilleure place. Au présent, si joie il y a, elle est dans la tranquillité du solitaire. Il s'agit davantage de contentement que de joie, d'ailleurs. Je me réjouis du modeste bonheur d'être épargné par le malheur. Et puis il y a ces moments partagés avec mes enfants, ma famille. Bien que solitaire, je ne suis pas seul. C'est ma chance !

Tout cela paraît sage, équilibré, satisfaisant. Reste à savoir si l'évitement de l'engagement relationnel est le meilleur choix à long terme.

 

[Et je me demande bien pourquoi j'ose encore aborder ce genre de sujet sur un blog en déréliction]

 

IMGP4703Plateau du Taillefer - Juillet 2022

 

 

Commentaires
C
Je rebondis sur une de tes expressions : excès d'empathie...C'est tout à fait vrai. Nous savons, toi comme moi, que nous sommes des empathes, des crèmes d'empathes comme je l'avais écrit un jour en commençant à réaliser que ce don est aussi un handicap, et réciproquement.<br /> <br /> On peut compatir, mais pas au point de devenir soi-même un sujet souffrant, car encore une fois, la souffrance est personnelle. Combien de fois me suis-je empêchée de m'exprimer par peur de faire souffrir autrui...<br /> <br /> Combien de fois ai-je culpabilisé ? Pour rien ? Et démesurément ?<br /> <br /> Méfions-nous de ces réactions un peu puériles qui ne tiennent pas compte du fait que les personnes en face de nous sont des adultes, consentants, responsables et capables de gérer leurs émotions... A moins qu'ils soient comme nous, des hypersensibles. Alors, la seule issue est de travailler sur soi encore et encore, pour que le "handicap" relationnel devienne vraiment et seulement un don magnifique.<br /> <br /> Je pense être sur la bonne voie à ce propos...<br /> <br /> •.¸¸.•*`*•.¸¸☆
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C
Je suis depuis toujours ton blog "en déréliction". Même si moins présente d'une manière générale, j'apprécie toujours ton écriture; et les vrais sujets que tu traites. J'y retrouve cette pensée foisonnante et pourtant ordonnée, ces considérations sur le temps, la vie, l'amour, la mort, qui font le suc de la pensée. Alors, oui, tu es tout à fait légitime à alimenter quand cela te chante cet espace où tu es vraiment toi.<br /> <br /> Il y a une grand richesse de réflexion et une opportunité de mise au point dans la relecture de lettres oubliées. C'est un exercice auquel je ne me livre pas très souvent, mais qui m'a toujours enrichie. Cela fonctionne aussi avec les vieux billets de blog.<br /> <br /> On mesure, à l'aune de ce que l'on écrivait (ou de ce que l'on nous écrivait) le chemin parcouru, parfois des années-lumière. <br /> <br /> Tu parles de souffrance occasionnée par tes propos, tes atermoiements, tes hésitations. Mais cette souffrance n'appartient qu'à ceux qui la vivent. C'est une des leçons que j'ai tiré de mes nombreuses explorations de moi-même, au cours des dernières années, et qui m'ont menée à une plus grande liberté, une meilleure assurance par rapport à ce que je désire vraiment, et, en résumé, une connaissance approfondie de ce qui me faisait souffrir. Je ne souffre plus inutilement pour un mot ou un regard de travers.<br /> <br /> Je me souviens comme cette sensibilité à fleur de peau (que d'aucun aurait appelée "poil hérissé) nous obligeait constamment à nous excuser, à être peu sûrs de nous et de nos ressentis, et cette crainte d'avoir mal été interprété(e), d'avoir mal dit, mal fait, était à la fois empoisonnante et paralysante. Je passais alors ma vie à m'exprimer, puis à regretter de m'être exprimée. C'est sans doute cela que tu désignes sous le qualificatif de "compliqué". <br /> <br /> Je suis toujours (toi aussi, j'en suis certaine) complexe, multifacettes, composite, nuancée, mais je ne suis plus "compliquée".<br /> <br /> J'ai arrêté de me prendre la tête en permanence (tiens, d'ailleurs, je n'ai plus de migraine, moi qui était sujette constamment à cette affection) et mes relations amicales, familiales, amoureuses s'en sont trouvées assainies.<br /> <br /> IL reste que tu poses une vraie question, puisque la seule chose qui nous sépare, c'est ce Rubicon que je n'ai pas hésité à franchir, celui de la relation de couple. La vraie. Pas celles que j'ai vécues quand ma méconnaissance de moi-même me menait à me fourvoyer dans des histoires souffrantes. <br /> <br /> C'est toi qui utilises le mot d" évitement" de l'engagement.<br /> <br /> Eviter est-il une solution ? Sans doute, si cela permet de ne pas souffrir. Eviter le sel quand on fait de l'hypertension, ou les émotions fortes quand on est cardiaque. Mais c'est se priver, renoncer à certains bonheurs qui font justement le sel de la vie.<br /> <br /> Alors éviter l'Amour ? La douceur d'être aimé(e) admiré(e) respecté(e) et la joie que procure d'aimer, admirer et respecter profondément quelqu'un. <br /> <br /> Le bonheur de s'appuyer sur une épaule bienveillante, et de partager les moments d'exception que nous donne la vie quand on la regarde comme une chance. Elle est là, la joie.<br /> <br /> Elle n'évite pas la souffrance. L'accident. La maladie. La mort. <br /> <br /> Les petites déceptions qui peuvent survenir. Et même une certaine routine qui pointe son nez si on n'y prend pas garde. Elle donne la force et l'ingéniosité de la tenir en respect, et de n'en prendre que le meilleur.<br /> <br /> Elle donne une énergie vitale qui décuple en fait nos forces. <br /> <br /> La principale de ces forces étant celle d'accepter que rien ne soit parfait.<br /> <br /> Je t'embrasse<br /> <br /> •.¸¸.•*`*•.¸¸☆
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