Racines
La fin d'année incite à tenter d'en réaliser le bilan. Il sera nécessairement incomplet, avec des éléments subjectifs choisis selon l'état du moment. Il peut être vu selon un angle élargi ou plus ou moins resserré. Pour moi ce sera ce dernier, quoique je ne puisse faire abstraction de certaines données d'ampleur mondiale. Je pense en particulier à la guerre en Ukraine et les souffrances infligées et endurées. Ce faisant j'omets d'autre souffrances et oppressions, plus lointaines ou moins médiatisées. Mais n'est-ce pas peu ou prou la même situation que les années précédentes, en un point du globe ou un autre ? Difficile aussi de ne pas songer à la perpétuation de l'exploitation des uns par les autres. Des humains dominateurs d'un côté ; tout le reste de l'autre : humains de toutes conditions (et plus particulièrement les femmes), animaux domestiques ou sauvages, forêts primaires tropicales et boréales, océans et mangroves, ainsi que moult autres espaces peu à peu dénaturés. Rien de nouveau pour l'année qui s'achève, si ce n'est le constat plus perceptible des effets du changement climatique un peu partout. La vague "prise de conscience" (?) qui en découle (où ?) fera t-elle changer quoi que ce soit dans la course vers l'abîme ? J'en doute. Jusque-là je ne vois rien de bien tangible...
Vu de ma fenêtre la notable sécheresse 2022 aura laissé des traces dans le paysage qui m'entoure. Et quelques morts : de vénérables arbres dix fois plus hauts que moi, que j'avais fait naître et laissé grandir presque sans encombre depuis trente ans. Leur vie s'est achevée bien plus tôt que prévu, avant la mienne, bouleversant l'ordre des choses. Et ce n'est que le début de l'hécatombe, selon toute vraisemblance. Une préfiguration des changements à venir, à l'échéance et aux contours incertains.
« L'avenir n'est plus ce qu'il était » disait Paul Valéry. Mais qu'était-il, en fait ? Promesse de temps meilleurs ? Chacun pouvait l'imaginer à sa guise et c'est seulement l'éventail des possibles qui semble se resserrer en montrant des impasses.
Il se trouve que, indépendamment de l'état actuel et futur du monde, j'entre dans l'âge auquel mon existence va prendre une nouvelle tournure. Une plus grande liberté est mon proche avenir et c'est plutôt réjouissant. Qu'en ferais-je ? Je l'ignore encore. Voyager, sans doute, bien que les distances lointaines autrefois envisagées ne puissent plus l'être sans états d'âme. Par contre je pourrai voir davantage mes enfants et les leurs. Et puis raviver, peut-être, des relations qui se sont distendues. J'envisage aussi, sérieusement, de travailler à la transmission des récits de vie et autres archives dont je suis dépositaire et héritier.
C'est d'ailleurs la notion qui transparaît dans les écrits que j'ai laissés ici cette année. Onze textes seulement (le douzième étant celui-ci) dont les lignes directrices seraient la disparition (mort, perte, finitude), la mémoire (souvenirs et lettres), la transmission (archiver, garder trace). Plus précisément j'ai relaté les pensées qui m'ont traversé lors du suicide de S., puis celles qui ont éclos autour du décès de ma mère. J'ai aussi été amené à revisiter mon passé à travers des lettres retrouvées, puis lors d'un travail analytique mettant en évidence mon ancrage fort dans le passé dont je suis héritier en ligne directe. C'est ce qui a forgé ma vision de l'existence, à travers le regard de ma mère et celui de son père. J'ai identifié l'origine atavique de mon fort intérêt pour le témoignage personnel, offert à qui pourra y trouver de quoi s'éclairer. C'est d'ailleurs bien avec un objectif de partage que j'ai entrepris, à l'origine, de livrer des éléments de mon auto-analyse et de mes réflexions. J'ignorais jusqu'à quelles racines et ramifications cela me mènerait...
Ainsi 2022 aura confirmé le bien-fondé d'une décision prise à l'aube de la quarantaine, sans qu'alors j'en identifie toutes les motivations. En exposant mes doutes et vunérabilités j'ai fait émerger mes forces. Si je devais en tirer une conclusion [provisoire], je dirais que ce choix - quelque peu audacieux - a été utile puisque je ne ressens plus la nécessité d'écrire. Il semble que je suis parvenu à résoudre ce qui pouvait l'être par ce vecteur d'expression et de conscience. Ou, du moins, suis-je parvenu à vivre bien avec moi-même, en acceptant mes limites.
Cependant demeure une incomplétude. Mais n'est-ce pas le propre de l'existence, en suscitant le désir de la vivre ?
Racines - Une page d'un carnet de dessin de mon grand père, retrouvé dans les archives parentales. Ce lieu (Brookhaven) se trouve aux Etats-unis, à Long Island (N-Y State), où mes parents ont vécu pendant un an.J'aime à imaginer y avoir fait mes premières explorations de la nature environnante.
Je n'avais jamais vraiment porté attention à ce croquis, pourtant vu dans ma jeunesse. Le qualificatif "indépendant", associé à mon prénom, m'a surpris. Cela me caractérisait-il déjà ? Aujourd'hui il me touche, en reliant le trait de ma silhouette d'enfant à la main de mon grand-père, mort quatre ans plus tard.
Facétieux, mon grand-père m'attribua cette "Marine", assurément rendue plus représentative par quelques coups de gomme et traits de crayon bien placés.